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Entretien avec Rodolphe

© Rita Scaglia / Dargaud

© Rita Scaglia / Dargaud

« Le temps efface la douleur. Mais il faut du temps pour pouvoir vivre avec ses propres fantômes… »

Le Francilien Rodolphe, de son nom complet Daniel Rodolphe Jacquette, est un scénariste prolixe. Il a collaboré avec Leo, Jacques Ferrandez, Serge Le Tendre, André Juillard, Griffo, Annie Goetzinger... En tout, plus de 150 albums à son actif. Aujourd'hui, il publie aux éditions Daniel Maghen Le Temps perdu, un album réalisé avec Vink, alias Khoa Vinh, créateur du Moine fou, qui avait toujours travaillé (presque) seul auparavant. L'occasion d'une remise en cause…

© Vink - Rodolphe / Daniel Maghen

© Vink - Rodolphe / Daniel Maghen

Comment vous êtes-vous retrouvé scénariste de Vink ?

Khoa m'a contacté pour me dire qu'il avait envie de travailler avec moi. Cela m'a flatté, parce que c'est un auteur que j'apprécie et dont la sensibilité me semble assez proche de la mienne, même si nous sommes de deux cultures différentes. Son appel tombait au bon moment, car je travaillais alors sur un projet pour Daniel Maghen, pour lequel nous n’avions pas encore de dessinateur. L’adéquation dessinateur-scénariste-éditeur semblait bonne. Il faut dire que Daniel Maghen connaissait déjà bien le travail de Vink, et vice-versa.

C’est la première fois que Vink, auteur complet qui a toujours travaillé seul, fait appel à un scénariste ?

J’imagine qu’il a dû se bousculer lui-même un peu quant à sa façon de travailler ; la thématique du récit l’amenait également à remettre en cause certaines de ses habitudes de travail. Son registre le plus fréquent est l’Orient d’antan. Là, avec Le Temps perdu, je l'amenais sur de « l'Occidental contemporain », situé géographiquement entre France et Belgique ; je le sollicitais encore sur le domaine de l'onirisme et du fantastique. Ces territoires graphiques n'étaient pas automatiquement les siens, exception faite peut-être de son Passager, qui était une tentative de sortir de ses thématiques récurrentes.

© Vink - Rodolphe / Daniel Maghen

extrait du Temps perdu © Vink - Rodolphe / Daniel Maghen

De quelle façon avez-vous travaillé votre scénario ?

Comme je le fais pour chacune de mes histoires : un bref synopsis, puis je me lance, improvisant le récit au jour le jour pour l’essentiel. Bien sûr, savoir que c’était Khoa qui allait le dessiner orientait mon travail : je voyais le type d’images qui allait surgir en prolongement de mon découpage…

Comment cette collaboration s’est-elle passée au quotidien ?

Nous habitons à quelques centaines de kilomètres l’un de l’autre, lui en Belgique, moi près de Paris. L’essentiel de cette collaboration s’est donc faite par téléphone et par mail. Vink a respecté l’essentiel du scénario. Ses interventions personnelles ont concerné principalement le physique des principaux personnages ; il les a travaillés à partir de modèles empruntés à son quotidien (parents, voisins, amis). Même chose pour certains lieux. Il a fait appel à sa documentation propre, ce qui me paraît une très bonne chose : le dessinateur interprète l'histoire à sa façon et se l’approprie d’une certaine manière.

© Vink - Rodolphe / Daniel Maghen

extrait du Temps perdu © Vink - Rodolphe / Daniel Maghen

Vink travaille seul depuis ses débuts, il a donc ses habitudes. Comment avez-vous ressenti ce travail en binôme, trinôme en intégrant Cine, son épouse, qui se charge entre autres des couleurs, des décors ou des costumes ?

Chaque collaboration est une histoire originale, singulière. Mes rapports avec chaque dessinateur sont différents. Ce sont des rapports de travail et de création, mais encore de camaraderie et d’amitié… Khoa m’envoyait les pages par mail au fur et à mesure de leur réalisation et je l’appelais pour lui donner mon sentiment à leur sujet. À deux ou trois détails près, mes réactions étaient généralement enthousiastes !

extrait du Temps perdu © Vink - Rodolphe / Daniel Maghen

extrait du Temps perdu © Vink - Rodolphe / Daniel Maghen

© Rodolphe / Hugo & Desinge

© Rodolphe / Hugo & Desinge

Hors cet album, vous avez d’autres actualités, notamment dans le domaine du rock…

Oui, je viens de publier deux livres sur le sujet. Le premier, Les Disques que vous n'écouterez plus jamais, paru en mars 2014 chez Hugo & Desinge, présente une anthologie des 700 pochettes les plus laides, ridicules, absurdes ou obscènes qui aient jamais existé ! Un certain nombre d’entre elles appartiennent à ma collection, riche d’environ 11 000 vinyles. Je suis fan de rock, et tout particulièrement de rock’n’roll depuis toujours ! Je suis tombé dedans étant petit ! Aujourd’hui, je continue à acheter, à écouter, à collectionner…

© Rodolphe / Michalon

© Rodolphe / Michalon

Le rock est d’ailleurs le fond sonore de mon second livre, Petits Fantômes, un roman sorti en janvier 2014 chez Michalon, qui représente une forme de pont entre l’Angleterre d’aujourd'hui et celle des années 50’. Le personnage principal est un journaliste qui enquête sur une star du rock disparue tragiquement. Ce travail d’investigation permet d’évoquer la musique et les rites d’un temps révolu. À travers la figure du rockeur Dickie Force, personnage fictif mais construit à partir de modèles ayant existé, on revisite vingt ans de musique pop et rock, de Marty Wilde à Brian Jones, de Jimi Hendrix à Paul McCartney, évoquant le « swingin’ London » des soirées folles où les stars du temps fêtaient leur gloire dans l’alcool et la coke…

projet de couverture © Faure - Rodolphe / Glénat

projet de couverture du Baron fou T1
à paraître en 2015
© Faure - Rodolphe / Glénat

Votre roman peut-il se lire comme une réminiscence de votre jeunesse rock ?

Si on veut… Chacun d’entre nous a son petit côté « Madame Bovary, c’est moi ». Donc, je dois être tout à la fois un peu Charlie Waughn, le journaliste investigateur, et Dickie Force, la star disparue… Adolescent, je suis allé en plusieurs fois en Angleterre dans le cadre de séjours linguistiques. Ce n’était pas dans les années 50’, mais un peu plus tard, au début des années 60’. J’ai gardé un souvenir fort, chargé d’émotions de ces parenthèses culturelles. C’est pourquoi j’ai pris plaisir à situer ce roman dans ce pays, à cette époque. Cela dit, le rock’n’roll n’est pas l’unique sujet du récit. Disons que c’en est une des principales composantes. Mais il y en a d’autres, notamment la réalité des choses et l’illusion. Charlie, le narrateur, croise (ou tout au moins pense croiser) des proches disparus, des gens qui ne sont plus de ce monde et qui néanmoins lui apparaissent. Pourtant Charlie n’est pas le genre de type à croire à toutes les histoires de parapsychologie ou de réincarnation. Qu’en est-il vraiment de ses « visions » ?

Vous parlez de ce fameux « temps qui passe » qui aide à lisser la douleur de la perte d’un être cher…

En effet, le temps efface la douleur. Mais il faut du temps pour pouvoir vivre avec ses propres fantômes, transformer le chagrin profond en une forme de tristesse douce, un sentiment un peu automnal… Les aspérités de notre douleur finissent à la longue par se lisser comme des galets sur une plage.

© Coutelis - Rodolphe / Albiana

© Coutelis - Rodolphe
Albiana

En référence à deux de vos personnages : whisky avec ou sans glace ?

Ça dépend des jours. Certains avec, certains non. Par contre, ce qui est sûr, c’est que je tolérerai pas le voisinage de coca ou de soda avec un vrai whisky. Mes préférés ? Des Islay, Caol Ila, Ardbeg, Talisker ou encore Jura. J’apprécie aussi les whiskys vieillis en fût de cherry.

© Maucler - Rodolphe / Tartamudo

© Maucler - Rodolphe
Tartamudo

Votre actualité s’annonce encore chargée d’ici à la fin de l’année.

Oui, plusieurs titres sont programmées. Déjà, un diptyque avec Alexandre Coutelis au dessin, Sargasses, initialement publié en 1984 chez Dargaud, sous le titre Le Cimetière des Fous en grande partie réécrit et redessiné. Ensuite, un Commissaire Raffini avec Christian Maucler, L’Inconnue du Tower Bridge, prévu en septembre chez Tartamundo, la maison d’édition de José Jover. Fin août, ce sera le tome 2 de MemphisLa Ville morte – dessiné par Bertrand Marchal, chez Glénat. En 2015, le premier tome de Centaurus, une nouvelle série en 5 tomes, co-écrite avec Leo et dessinée par Zoran Janjetov (chez Delcourt). Ce sera un space-opera assez décoiffant, genre que j’explore pour la première fois. Toujours en 2015, il y aura encore Le Baron fou, un diptyque avec Michel Faure chez Glénat, et Sax, une série avec Louis Alloing. Ensemble, nous avions réalisé la série Les Moineaux chez Bayard, et plus récemment La Marque Jacobs, une bio BD du créateur de Blake et Mortimer. Notre série aura pour titre générique Sax, du nom du personnage principal Robert Sax, et son premier volume paraîtra en janvier chez Delcourt. Cette histoire mi-policière mi-espionnage se passera à Bruxelles en 1957 et racontera l’histoire d’une curieuse invention…

première case de Sax à paraître en 2015 © Alloing - Rodolphe / Delcourt

première case de Sax à paraître en janvier 2015 © Alloing - Rodolphe / Delcourt

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Mickael du Gouret
01/07/2014