Auracan » Interviews » Entretien avec Bosse

Entretien avec Bosse

« Dans Taro, Kogaratsu prend une première battue pour remonter la  pente. »

Taro, 14èmealbum de la série, marque un beau retour de Kogaratsu. Le samouraï dessiné avec brio par Marc Michetz est apparu voici près de 30 ans. Sa nouvelle aventure démontre que la série ne s’essouffle pas, mieux, qu’elle peut encore nous réserver de fort belles surprises. Depuis sa création, Bosse (alias Serge Bosmans) au scénario guide les pas du héros sur des chemins parfois incertains. Auracan lui a proposé une halte afin qu’il réponde à nos questions.

Après un épisode aux limites du fantastique, Taro marque un retour de Kogaratsu vers quelque chose de beaucoup plus traditionnel, et les retrouvailles avec des personnages apparus dans des épisodes plus anciens, peut-on parler d’un nouveau départ ?

C’est vrai que l’on revient vers des éléments plus classiques, mais cela correspond à l’itinéraire de Kogaratsu. Dans Le Protocole du mal, Kogaratsu touchait, d’une certaine manière, le fond du trou. Il était confronté à ses démons, touchait à quelque chose de bizarre dans le domaine de l’esprit, et à travers son regard, le lecteur était confronté à un certain dérapage de la réalité. Dans Taro, je dirais que le samouraï prend une première battue pour remonter la pente. On y retrouve certains symboles, la princesse Ishi qui est son amour passé, et puis l’enfant, Taro. L’enfant symbolise l’espoir, et puis, peut-être est-il le fils de Kogaratsu… Kogaratsu, en tant que samouraï, est « aux ordres », mais de qui ? Ses aventures précédentes ont fait naître en lui beaucoup de doutes. Il se pose de nombreuses  questions sur son positionnement dans le monde et le prochain album, qui s’intitulera Le Cimetière des sabres, apportera une forme de conclusion à ce questionnement.

Les trois premiers tomes de la série avaient une orientation « aventure » plus marquée, et on a l’impression qu’après ceux-ci vous avez vraiment commencé à approfondir le personnage…

Oui, on a ramené la caméra au niveau des acteurs. Il faut savoir qu’au départ, nous envisagions, Michetz et moi, Kogaratsu comme une grande saga en 8 albums. Mais Dupuis nous a demandé de nous orienter vers des épisodes pouvant être lus comme des one-shots. Les trois premiers tomes ont ce côté saga, on a ensuite publié Le Pont de nulle part, numéro zéro qui achève, en quelque sorte, le socle sur lequel a été construite la suite de l’histoire de Kogaratsu. Il se retrouve ensuite ronin, samouraï sans maître, ce à quoi nous l’aurions conduit tôt ou tard. Et c’est en errant sur les chemins qu’il trouve l’aventure.

Kogaratsu est apparu voici près de 30 ans, Taro en constitue le 13èmealbum, le 14èmeen incluant Le Pont de nulle part. On est loin de la tendance actuelle qui privilégie de hautes cadences de publication, et tend vers 2 albums par an pour une même série…

Il ne s’agit pas d’un choix de notre part, mais ce sont aussi les circonstances de la vie. Marc Michetz a été confronté à différents heurts qui l’ont empêché de travailler à Kogaratsu  pendant 6 ans, les albums de Tako scénarisés par Yann lui ont également demandé du temps. Si on déduit ces périodes, Kogaratsu paraît à un rythme à peu près normal. En tant que scénariste, j’ai souvent une histoire d’avance sur Marc, mais je sur-écris beaucoup, et je dois à chaque fois couper des tas de choses. Ce rythme qui semble peut-être lent me permet de laisser mûrir le récit et d’opérer les choix qui me semblent les plus opportuns au moment de sa version finale.

Étiez-vous, dès le départ, un passionné du Japon médiéval ?

Je m’y intéressais beaucoup, mais la passion s’est construite et enrichie peu à peu. Quand on a commencé, on ne disposait pas d’Internet. La documentation venait essentiellement des bouquins, mais si vous lisez 25 livres sur cette période, vous allez généralement trouver 25 fois les mêmes informations avant de découvrir un truc vraiment différent. Je m’intéressais à la littérature et au cinéma japonais, mais nous devions trouver notre chemin dans un Japon « historique », même si nous n’avons jamais véritablement eu pour objectif de faire de Kogaratsu une série historique à proprement parler. Malgré ces efforts et ces recherches, le Japon de Kogaratsu reste « notre » Japon, nous en sommes conscients. J’en ai discuté avec des amis japonais, qui saluent la cohérence de la série, mais j’ai souvent un doute concernant l’une ou l’autre erreur possible, même par rapport à notre documentation. Mais nous n’avons pas choisi un sujet facile.

Un des aspects surprenants de Taro est l’alternance de scènes d’action fulgurantes et de passages plus contemplatifs, alors que l’on se trouve vraiment dans une histoire à suspense. Il  y a également la pudeur avec laquelle vous abordez les retrouvailles de Kogaratsu et Ishi…

Je crois que cette alternance entre action et scènes plus contemplatives se retrouve dans d’autres albums aussi, mais chaque histoire offre plus ou moins de place et d’opportunités pour l’articuler de cette manière. Peut-être celle-ci s’y prêtait-elle mieux… Quant à la rencontre avec Ishi, c’est une séquence que nous avions bien en tête Marc et moi. Nous voulions donner à travers celle-ci l’impression d’une digue qui se rompt. Ils se retrouvent dans une maison de thé, un lieu clos. Il s’agit d’un face-à-face, qui va parler ? Comment ça va se passer ? On avait envie de construire toute cette tension avant d’aboutir à autre chose.

Kogaratsu a été une des premières séries à mettre en scène un samouraï. Entre-temps, le Japon s’est imposé dans notre paysage BD à travers les animés et les mangas. Cela a-t-il eu une quelconque influence sur vous ?

Absolument aucune ! Ca n’a rien changé. Nous avons dédicacé lors d’une édition de Japan Expo, mais il s’agit d’un autre public. Les fans veulent du matériel japonais, je pense qu’ils sont peut-être à la recherche d’une forme d’exotisme plutôt que d’histoires. Il y a un aspect un peu « geek » dans ce mouvement et dans son approche des choses. Quant à faire diffuser Kogaratsu au Japon, c’est totalement impossible. Les Japonais sont extrêmement protectionnistes vis-à-vis de la BD européenne, sauf de rares exceptions, comme Moebius ou Schuiten, mais leur intérêt relève alors peut-être davantage de l’esthétisme.

À ses débuts, Kogaratsu ne bénéficiait-il pas d’une prépublication dans l’hebdomadaire Spirou ?

En effet, mais ça a changé plusieurs fois en fonction des rédac’chefs qui s’y succédaient et qui en voulaient ou pas. Parfois, on nous a demandé de raboter certaines scènes. Finalement, on nous a laissé nous adresser à un public ado-adulte et dès lors il était difficile de faire marche arrière pour retrouver cette prépublication. On ne voulait pas jouer au yo-yo, même si parfois j’essaie d’imaginer les formes d’évolution, probablement très différentes, que ça aurait apporté à la série.

Vous co-dessinez Tamara avec Darasse, sur des scénarios de Zidrou, pourrait-on imaginer de vous retrouver un jour scénariste et dessinateur d’un projet 100 % Bosse ?

Pourquoi pas, si j’avais des journées de 36 heures… Il existe plein de choses que j’aimerais faire, mais on n’a qu’une vie et il faut… vivre ! Actuellement, je travaille 10 h par jour, 7 jours sur 7… pour un revenu minime. Quand j’ai débuté, Franquin m’a dit qu’on entrait en BD comme on entre en religion, et il avait raison ! Or, à l’époque, il y avait peut-être 300 ou 400 nouveautés par an, et nous en sommes aujourd’hui à 6000. C’est devenu très difficile, et je crains que les jeunes qui veulent se lancer dans ce métier ne s’en rendent pas compte.

Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
30/07/2014