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Entretien avec Jérôme Jouvray

Jérôme Jouvray

Jérôme Jouvray

« Savez-vous comment s'appelle l'acteur qui jouait Tarzan avant Johnny Weismuller ? Lincoln, Elmo Lincoln. C'est une drôle de coïncidence non ? »

Johnny Jungle, première partie

Johnny Jungle, première partie
© Jouvray - Deveney / Glénat

Rencontre avec le dessinateur Jérôme Jouvray qui revient pour nous sur la genèse de Johnny Jungle, un diptyque qu’il cosigne avec le scénariste Jean-Christophe Deveney et la coloriste Anne-Claire Jouvray. Le second tome de ce récit délirant paraît chez Glénat ce 3 septembre.

Dans Johnny Jungle, vous racontez la vie romancée d'un mélange de Johnny Weismuller et de Tarzan, mais on peut y rajouter Jungle Jim, non ?

Tout à fait ! Quand Jean-Christophe Deveney m'a proposé le projet, il était question de mélanger le destin de Johnny Weismuller, l'acteur, et le personnage qu'il a incarné, Tarzan, pour en faire un mix. Après Tarzan, l'acteur a incarné un personnage de bande dessinée, Jungle Jim, à la télévision. On ne pouvait pas passer à côté.

Est-ce que le scénario est entièrement écrit par Jean-Christophe ou avez-vous travaillé ensemble ?

S'il a écrit le scénario de son côté, nous avons conçu le storyboard ensemble. Il y a un échange sur la mise en scène, le cadrage, la modification et le rythme des dialogues...

Johnny Jungle, seconde partie

Johnny Jungle, seconde partie
© Jouvray - Deveney / Gléna

Est-ce que ce projet vous a replongé dans votre enfance ? Je pense bien sûr au livre d'Edgar Rice Burroughs, mais aussi à la série de dessins animés produite par Filmation (1976), et au film Greystoke, la légende de Tarzan avec Christophe Lambert (1984)…

Il y a de çà. Je crois que mon premier contact avec Tarzan, le mythe de l'enfant élevé par les singes, c'est d'abord Greystoke avec Christophe Lambert plutôt que l'adaptation du Livre de la Jungle. C'est resté un souvenir marquant, mais le projet ne m'a pas fait remonter en enfance puisque le personnage n'en faisait pas partie. J'ai appris à le connaître à travers ses clichés, les parodies qui ont été faites, alors que le personnage classique, je le connaissais peu. Johnny Jungle m'a permis de ré-apprendre la mythologie, le personnage, tout ce qui tourne autour.

Avez-vous vu les douze films tournés par Johnny Weismuller ?

Non, j'en ai visionné cinq ou six. À l'occasion de la sortie du premier tome, une soirée a été organisée à Lyon avec projection du premier film, suivie d'une conférence et d'une séance de dédicaces. L'occasion de voir ce film à plusieurs et dans une ambiance particulière, avec tout ce qu'il comporte comme connotations de l'époque colonialiste et un humour involontaire... La salle a souvent réagi avec humour au détriment du réalisateur et de l'acteur ! On y sent l'envie de faire un film d'aventures impressionnant et qui fait peur. Certaines séquences, pour l'époque, devaient vraiment faire trembler. Le film est très premier degré et ça a été une vraie source d'inspiration pour Jean-Christophe.

Vu certaines planches, il y a des emprunts à un autre film, celui avec LA bête sauvage : King Kong.

Tout à fait. Comme le premier King Kong date aussi de cette époque, le scénariste a voulu faire le lien. Johnny Jungle est ami avec un gorille dénommé Kinka, qui va devenir lui-même acteur à Hollywood et jouer, entre-autre, le rôle de King Kong. Ce sont des passerelles, des parallèles comme çà qui nous amusaient beaucoup.

Johnny Jungle, première partie, extrait de la planche 1

Johnny Jungle, première partie, extrait de la planche 1 © Jouvray - Deveney / Glénat

Les personnages principaux et secondaires sont vraiment réussis. Ils sont touchants et drôles.

La galerie de personnages conçue par Jean-Christophe était sympathique dans le scénario, mais quand nous avons fait le storyboard, on a poussé la barre plus loin. En tant que dessinateur, j'aime faire jouer des personnages. Il faut trouver la bonne attitude, la bonne expression... J'ai adoré représenter les personnages se battre avec les animaux, faire du catch et on ne s'est pas privé. C'était l'idée : faire des personnages gratinés et drôles.

Johnny Jungle, première partie, extrait de la planche 1

Johnny Jungle, première partie, extrait
© Jouvray - Deveney / Glénat

Avez-vous utilisé la 3D pour vous aider dans les décors ou dans les positions des personnages ?

Je l'ai utilisé pour L'Idole dans la bombe et certains Lincoln, mais pas ici. Je m'en détache petit à petit. Par contre, j'avais besoin de documentation. L'album se passe dans les années 1930 à New York. J'avais des photos de voitures, des immeubles ainsi que des personnages. Par contre, il y a un parallèle avec la série Lincoln. Le personnage traverse les époques et nous le faisons souffrir. Il se casse la figure, il se bagarre et dans le graphisme, dans la gestuelle cartoon, on retrouve du Johnny Jungle. Pour l'anecdote, Jean-Christophe avait donné l'idée du catch avec les animaux. On travaillait dans l'atelier en regardant des vidéos de catch (ce qui faisait rire les copains !). Les différents visionnages nous ont inspiré et maintenant, je sais ce qu'est un souplex arrière ! Pour la transposition dans l'histoire, il fallait savoir comment représenter les prises.

Dans le 1er tome, pendant cinq cases traitées en noir et blanc, votre graphisme devient bien plus réaliste...

En effet ! C'est une parenthèse dans l'album. Ces cinq cases jouent l'introduction d'un chapitre. On va découvrir, discrètement, que ce sont les pages d'une bande dessinée, sans doute dessinée par divers auteurs qui faisaient du Tarzan officiel à une certaine époque. Dans l'histoire, cette bande dessinée sert de documentation à un réalisateur mégalo, qui veut faire un documentaire-vérité sur l'Afrique. Sa vérité, sa documentation étant cette bande dessinée qu'il veut retranscrire au cinéma.

Que ce soit la couverture ou la séquence du rêve, je trouve votre mise en page dantesque.

Merci. Moi qui suis d'un naturel concret, quand on me propose de dessiner des séquences surréalistes, j'ai toujours du mal, parce que ce n'est pas mon créneau. J'ai toujours l'impression que ça ne sert à rien. Évidemment, après que Jean-Christophe m'ait expliqué comment il voit la séquence, comment la travailler, ça prend forme dans mon esprit. Après l'avoir réalisée, je donne la planche à Anne-Claire qui en prend possession d'une manière inattendue pour moi. Elle met des couleurs rouge, orange, alors que je n'avais pas du tout imaginé çà. D'un seul coup, la séquence prend une ampleur que je ne soupçonnais pas au moment où je lisais le scénario. Dans cet album, il y a un tournant et cette séquence le traduit bien.

Johnny Jungle, première partie, extrait de la planche 1

Johnny Jungle, première partie, extrait © Jouvray - Deveney / Glénat

D'ailleurs les couleurs sont superbes, pour une histoire où les films étaient en noir et blanc...

Johnny Weissmuller

Johnny Weissmuller (1904-1984)

C'est vrai. La référence de l'époque en noir et blanc fait qu'on a quelques cases comme çà. Photos, documents sont tous représentés en noir et blancs. Anne-Claire s'est éclatée à faire cet album, notamment parce qu'il y a des palettes de couleurs qu'elle utilise rarement. Le résultat a plu à toute l'équipe, que ce soit les auteurs ou l'éditeur. Elle n'est pas allée dans des registres de couleurs classiques. Elle n'aime pas trop faire le ciel bleu et l'herbe verte, donc elle va vers des ciels jaunes, rouges... Il y a des planches portées par la couleur qui donnent une dimension que j'adore.

Pour la couleur, comment votre coloriste a-t-elle travaillé ? 

L'aquarelle qu'on a utilisée sur l'album est une technique issue d'un autre livre : La Pès Requin (Futuropolis). C'est une technique qui mélange encrage, aquarelle et couleurs informatiques. Comme l'aquarelle fait partie du dessin, c'est moi qui m'en occupe. Je m'en sers surtout pour les arrière-plans sans encrage. C'est un mélange d'encrage, un peu d'aquarelle (un monochrome bleu mais pas forcément). Je l'utilise pour obtenir des effets de volume, des ombres et des lumières. Anne-Claire vient par-dessus retravailler à la couleur informatique. Le tout se mélange et donne un résultat un peu plus chaleureux que ce qu'on pouvait faire au trait noir et en à plats informatiques. La frustration d'Anne-Claire est d'avoir un peu moins de travail sur le volume et la lumière, mais le résultat est tel que tout le monde est content. Et son travail sur les couleurs n'en est pas diminué. C'est une technique qui nous a bien plu, donc on a voulu faire Johnny Jungle comme çà et Lincoln aussi. Elle fait un travail génial, même si on se dispute sur le violet. Je déteste la couleur, elle veut en mettre partout.

Johnny Jungle, seconde partie, extrait

Johnny Jungle, seconde partie, extrait © Jouvray - Deveney / Glénat

Ça n'a pas été le cas avec le vert ?

Anne-Claire n'aime pas la couleur verte, c'est vrai, donc quand elle a commencé les couleurs de la forêt, elle a trouvé des jaunes, des bruns, puis petit à petit, elle a trouvé un équilibre pour que tout trouve sa place, dans un effet de verdure.

Johnny Jungle, seconde partie, extrait

Johnny Jungle, seconde partie, extrait © Jouvray - Deveney / Glénat

Johnny Jungle, seconde partie, extrait

Johnny trouve un fils, affiche fictive
© Jouvray - Deveney / Glénat

Ce fut un album thérapeutique…

Oui (rires), pour tout le monde !

On ne pouvait pas se séparer sans parler des bonus qui reprennent les affiches originales des films, à la sauce KCS, du nom de votre atelier…

Quand Jean-Christophe a travaillé sur ce projet, il s'est aperçu qu'il y avait un véritable parallèle entre les différents films et la véritable vie de Johnny Weismuller. Il y avait des connections, comme Tarzan trouve un fils qui sort au moment où Johnny Weismuller se prend des procès en paternité. Ces parallèles, Jean-Christophe voulait qu'on le retrouve en ponctuant les chapitres par les affiches de films. On les a faites à notre manière, mais elles sont assez fidèles en terme de composition et de couleurs. Ce sont des parodies-citations.

Johnny Jungle, seconde partie, extrait

Johnny Jungle, seconde partie, planche 57
© Jouvray - Deveney / Glénat

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Hervé Beilvaire
02/09/2014