Entretien avec Philippe Aymond
« Quand on aborde un style de dessin réaliste,
à mon sens, tout doit l'être... »
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Alors que la fin de Pour la peau d'une femme pouvait presque laisser croire à la conclusion de la série, c'est avec plaisir que l'on retrouve la jolie Lady S. dans un dixième album intitulé ADN. Changement important du côté des auteurs : Philippe Aymond, son dessinateur, assure également le scénario et s'en tire avec les honneurs. Succéder à Jean Van Hamme n'est pourtant pas chose simple, et cela justifiait bien quelques questions de la part d' Auracan.
Vous avez assuré le dessin de Lady S. depuis le début de la série. Aujourd'hui vous en signez également le scénario, comment avez-vous abordé cette reprise ?
L'idée qui a prévalu pour l'écriture de ce tome 10, ADN, est un peu celle d'un nouveau départ. Pour la peau d'une femme avait un côté « récapitulatif » assez logique. En effet, Jean Van Hamme m'avait confié son envie de lever le pied pour se consacrer plus tranquillement à autre chose dès la fin du tome 8, Raison d'État. Or, à l'heure actuelle, si on veut qu'une série vive, il est impératif de lui assurer un album par an...
Succéder à un scénariste aussi renommé que Jean Van Hamme constitue aussi un pari...
Oui, mais j'aime bien ce genre de défi. De plus, depuis le début, au-delà du dessin, on discutait tout de même ensemble de certaines idées avec Jean, et je pouvais me permettre de lui suggérer certaines choses, même s'il était incontestablement le scénariste de Lady S. Et puis, depuis la création de Lady S., je me suis considérablement attaché au personnage. Nous avions évoqué la possibilité de poursuivre avec un autre scénariste, Jean me l'avait proposé en me demandant de réfléchir à cette possibilité, mais je trouvais que c'était difficile de redémarrer une autre collaboration sur une série déjà existante.
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L'intégrale de votre diptyque Highlands est sortie récemment. Sans cette expérience en solo, auriez-vous relevé ce défi ?
En fait, avec Highlands, j'avais envie de me confronter à un univers complètement différent, justement, de celui de Lady S., à quelque chose de totalement nouveau pour moi. Et c'est vrai que j'ai mené ce projet entièrement seul à chacune de ces étapes : conception, écriture, dessin, couleurs... Oui, peut-être était-ce un passage obligé pour me sentir capable d'écrire un scénario. Jean van Hamme n'a pas aimé Highlands, mais il ne m'a pas pour autant empêché de poursuivre seul les aventures de Lady S. Au sujet de Highlands, je vous avoue qu'en débutant dans ce métier, voici 22 ou 23 ans, j'étais persuadé de ne jamais aborder le genre historique...
Plus encore que les albums précédents, ADN peut quasi être abordé comme un one-shot...
Effectivement. Les épisodes précédents fonctionnaient plutôt par diptyques, mais personnellement j'ai toujours eu, quelque part, cette envie d'histoires complètes. Même si certains éléments de l'intrigue résultent des épisodes précédents, je pense, et j'espère, que l'on peut comprendre l'essentiel de l'histoire telle quelle. Et j'ai envie de continuer dans cet esprit.
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ADN démontre encore une constante dans votre travail : la documentation. Dans cet ordre d'idée, qu'en est-il des recherches, effrayantes, menées par votre inquiétant personnage, Grewitz ?
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La documentation est très importante, pour moi. Il s'agit d'une sorte de principe. À partir du moment ou on aborde un style de dessin réaliste, à mon sens, tout doit l'être, tout doit être juste. Je pourrais difficilement situer une action dans une ville existante dans des décors qui, eux, seraient totalement imaginaires. La documentation constitue aussi une solide aide à l'écriture. Quant aux recherches de Grewitz, je peux vous dire que le syndrome de l'Amok existe et est étudié en psychiatrie. Peut-être ai-je poussé un peu le bouchon, mais vous savez comme moi que la réalité dépasse parfois la fiction. Alors...
Qu'est-ce qui, selon vous, caractérise votre apport dans ce premier album solo ?
D'un album à l'autre, j'essaye de ne pas stagner, d'évoluer un peu à chaque fois. Graphiquement, je me confronte à de nouvelles difficultés, mais celles-ci sont entraînées par le scénario. La scène nocturne autour de Grewitz a été assez compliquée à mettre en place, mais je pense qu'à l'arrivée elle fonctionne pas mal. J'ai également joué davantage sur les gros plans, en les poussant un peu plus que dans les épisodes précédents.
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Assurer scénario et dessin d'une série telle que Lady S. vous permet-il encore d'envisager des projets parallèles ?
C'est difficile à dire pour le moment. J'ai logiquement recentré mon activité sur Lady S., mais la structure de la série était déjà existante. Pratiquement, l'écriture d'un album me demande de 2 à 3 mois de travail et le dessin de 8 à 9 mois. Comme je vous l'ai dit, on peut difficilement dépasser un délai d'un an entre deux publications pour une même série, donc Lady S. m'assure une sérieuse occupation. Qui sait ? Comme dans la vie, une rencontre peut parfois changer beaucoup de choses, mais il est clair que si un autre projet devait se mettre en place, ce ne serait pas dans le court terme.
Comme celle de Pour la peau d'une femme, on peut aisément imaginer que la couverture d'ADN surprendra les lecteurs...
Dans les deux cas, le récit justifiait ces choix. On avait hésité pour les coupures de journaux de l'album précédent, mais ça collait bien à l'histoire. Pour ADN, ce personnage au look gothique me permettait de construire une image très contrastée, entre le déguisement de Shania (on retrouve son grain de beauté dans le visage) et un décor très clinique, froid et aseptisé. La couverture est un élément très important d'un album, j'espère que celle-ci interpellera les fans de Lady S.
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Lady S. est un des rares personnages réalistes à figurer au sommaire du journal Spirou. Que représente pour vous une telle prépublication ?
J'en suis vraiment très heureux. J'ai toujours trouvé que les magazines de BD défendaient plus un style qu'un autre. Je me souviens du journal Tintin qui comportait beaucoup de séries réalistes, alors que Spirou avait quelque chose de peut-être plus enfantin, des séries et des personnages arrondis... Par compte, à la même époque, dans Pif Gadget, une série comme Docteur Justice ou Rahan pouvait côtoyer Pif et Hercule ou La jungle en folie. Le Spirou actuel est beaucoup plus varié et opère cette synthèse. Et la prépublication permet à ses lecteurs de découvrir et d'apprécier des séries très diverses, dont Lady S.
Propos recueillis par Pierre Burssens le 10 novembre 2014
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© Pierre Burssens / Auracan.com
visuels © Aymond / Dupuis
photos © Jean-Jacques Procureur