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Entretien avec Xavier Coste

« La narration exige forcément des concessions
pour que le résultat soit agréable à lire »

Egon Schiele, Rimbaud, ce sont ces portraits d’artistes passablement torturés, réalisés avec une grande sensibilité, qui ont révélé le nom de Xavier Coste dans le monde du 9e art. L'auteur associe ses différents talents de peintre et d'illustrateur dans son album au sujet plus libre et libératoire. Le décor de cette histoire est Paris lors de la grande crue de 1910. Situé à la quasi-charnière de deux siècles, À la dérive pourrait bien constituer un tournant dans la jeune carrière de Xavier Coste. Il l’évoque avec nous.

Après deux remarquables  portraits, vous abordez quelque chose de complètement différent, qui rassemble plusieurs genres. Comment définiriez-vous À la dérive ?

C’est vrai que plusieurs genres se croisent dans cette histoire. On peut y trouver un côté polar, mais pas seulement. Il y a une aventure, une histoire de couple… Tout ça correspond d’abord pour moi à une envie graphique,. Mais j'avais aussi envie d’aborder quelque chose de différent avec plus de liberté, plus de légèreté que jusqu’ici. À la dérive est inspiré d’un fait réel, mais qui s’est déroulé en 1903. J’ai pris pas mal de distance avec cet événement pour le situer en 1910. Je sortais de deux portraits assez tristes et un peu lourds à porter. Je souhaitais graphiquement revenir à la peinture. J’ai découvert des cartes postales des inondations de Paris et ça m’a plu. J’avais des images en tête, je savais que j’aurais plaisir à les dessiner, et c’est à partir de celles-ci que j’ai tenté de construire un scénario cohérent. J’ai réalisé près d’une moitié de l’album sur ordinateur, comme les précédents, et puis, finalement, j’ai tout redémarré à zéro. Il me semblait indispensable d’utiliser de l’eau pour la représenter, j’ai donc repris mes aquarelles. L’aquarelle crée des imprévus, des accidents qui sont souvent très intéressants à exploiter.

On vous sent très attaché à cette époque, comme en témoignent, notamment, les vieilles annonces publicitaires reprises en pages de garde…

En préparant À la dérive, j’ai parcouru toute la presse de l’époque, et j’ai vraiment été surpris et séduit par le souci de perfection et d’esthétisme qu’on y trouve, même dans la manière d’agencer les paragraphes. Je m’en suis notamment inspiré pour certains cartouches présentant les voix off dans l’histoire.

On retrouve cet intérêt dans des planches construites de manière art déco…

La première partie de l’histoire se déroule dans ce décor étonnant de Paris inondé. Il sert, d’une certaine manière, de prétexte à un hommage à l’imaginaire de l’époque. J’ai été frappé par l’imagerie des fictions populaires de ce temps-là, un peu kitsch. Ca m’a donné envie de bousculer la mise en page, de construire mes planches autrement, en tentant d’épouser cette esthétique. Mais il ne s’agit pas, précisez-le, d’un pastiche de roman de gare…

Certaines cases, ou planches, semblent plus « finies », plus détaillées que d’autres. Est-ce pour laisser place à la peinture ?

Non, ce n’est pas réellement réfléchi, en fait. Il me semble qu’il est parfois inutile d’ajouter des détails quand, à un point précis, le dessin parvient à suffisamment exprimer ce à quoi il est destiné. Pour ce qui est de la peinture, il est vrai que je viens de là et que j’essaye d’associer les deux. Mais la narration exige forcément des concessions pour que le résultat soit agréable à lire par un large public.

Même la maquette de la couverture se différencie de ce que l’on voit généralement…

On a beaucoup travaillé dessus ! Je voulais cet embossage et un espace important pour la typographie du titre, ainsi que cet espace blanc autour du dessin. Je trouve qu’elle associe des aspects rétros et modernes.

Hormis cet intérêt graphique, qu’est-ce qui vous attire plus généralement vers cette charnière entre deux siècles ?

Dans l’histoire de l’art, elle constitue une période qui va déboucher sur d’énormes chamboulements. Tous les peintres que j’admire vont émerger et développer leur oeuvre à partir de là. C’est un passage vraiment intense de l’histoire artistique et littéraire. À cette époque, Paris connaît, pour moi, ses derniers grands changements. Aujourd’hui, en me baladant, ça me touche particulièrement de retrouver certains immeubles d’alors, dont quelques-uns que j’ai dessiné les pieds dans l’eau !

Vous l’avez dit, À la dérive est inspiré de l’histoire de deux bandits irlandais réels, qui ont réalisé le casse que vous attribuez à vos personnages…

On connaît leur histoire dans les grandes lignes, et le casse de l’American Express, à deux pas de l’Opéra Garnier, a eu un retentissement certain alors. Mais je n’ai conservé que les grandes lignes de leur histoire. Eddie Guerin et Chicago May ont, eux, fini par se retrouver. Dans mon récit, Agatha et Eddie sont séparés, et on suit Eddie davantage qu’Agatha. Je trouvais intéressant que l’on ne sache plus ce qu’elle fait, pour montrer combien Eddie, malgré les circonstances, ne parvient pas à s’affranchir d’elle. Finalement, même s’il prépare et commet ce vol, il s’agit d’un personnage assez faible… mais porté par cette volonté de la retrouver.

La lettre perdue par un « apache » associé à Eddie, fait tragiquement penser à une carte d’identité retrouvée dans une voiture après l’attentat contre Charlie Hebdo

C’est un douloureux hasard. Mais si mes souvenirs sont bons, il s’agit d’un fait authentique de l’histoire d’Eddie Guerin et Chicago May. Dans l’album, cette lettre permet à la police de démanteler la bande de « mon » Eddie et de remonter jusqu’à lui, ce qui le conduira au bagne.

Vous êtes en pleine promotion de cet album, mais avez-vous déjà d’autres projets ?

Oui, quelque chose de très différent puisque d’une part j’y travaille avec un scénariste, et que d’autre part il s’agit de science-fiction ! Une envie de changer d’univers qui ne se serait peut-être pas manifestée sans À la dérive. J’ai vraiment l’impression que cet album m’a enfin permis de me sentir à l’aise par rapport à son sujet. Il m’a permis de me libérer, de repousser mes limites. J’ai bien dû revenir 10 fois sur certaines planches, mais ça m’a procuré un énorme plaisir graphique. J’espère que les lecteurs le partageront.

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Pierre Burssens
26/01/2015