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Entretien avec Pierre Paquet 1/2

« Peut-être que ce qui fait la richesse d'un livre
est que chacun y trouve son compte... »

Si certaines séries plus ou moins autobiographiques mettent en scène des auteurs, Pierre Paquet innove en levant le voile sur ses débuts d'éditeur dans PDM. Paquet de merde dessiné par Jesus Alonso. En un imposant album de 250 pages, le patron du Groupe Paquet nous conte une aventure étonnante et émouvante, itinéraire chaotique d'un enfant pas gâté, quête d'un passionné enthousiaste et un rien naïf à la poursuite d'une étoile qui semble inaccessible. Les coups bas, les faux amis, les joies et les peines, Pierre Paquet se livre sans fard sur des années compliquées traversées par une présence sincère et un élément essentiel de stabilité : son chien, Fiston. Et c'est avec la même sensibilité qu'il répond à nos questions.

Qu'est-ce qui vous a décidé à scénariser cet album et pourquoi maintenant ?

Je crois que l'envie de le faire était présente depuis 3 ans, depuis la sortie d'Un regard par-dessus l'épaule, dessiné par Tony Sandoval. Je voulais voir si je pouvais être scénariste ! Et puis, en écrivant PDM, j'avais envie de rendre une sorte d'hommage à plusieurs compagnons qui m'ont suivi dans cette aventure, à commencer par mon chien, Fiston, qui y a occupé une place très importante et très particulière. D'autre part, quand j'évoquais cette période lors de conversations, je mesurais que mes interlocuteurs étaient généralement assez dubitatifs par rapport à ça. J'avais envie de leur expliquer...

En lisant l'album, on peut aisément y associer une démarche quasi thérapeutique...

Oui, je pense que beaucoup de choses s'y croisent. Il s'agit d'une espèce de thérapie sur papier, plus intellectuellement c'est un regard porté sur des années difficiles, compliquées, et c'est sans doute aussi une grosse remise en question du cliché ou du mythe récurrent de l'éditeur, en costume luxueux et invariablement affublé d'un gros cigare...

Tout au long des 250 pages, on vous voit passer, régulièrement, d'un enthousiasme euphorique à des périodes de déprime...

C'était comme cela. Heureusement, l'album ne retrace qu'une courte étape de mon itinéraire, mais elle était marquée par cette alternance d'états et de sentiments. Même certains dessinateurs n'imaginaient pas toutes les difficultés et les tensions auxquelles j'étais confronté alors. Après ça, par rapport au bouquin, se pose toujours la question du message... Souvent, je demande à des auteurs qui me présentent un projet : quel sentiment voulez-vous laisser au lecteur quand il refermera votre album ? C'est une question à laquelle il est généralement difficile de répondre. Pour PDM, je pense qu'il y en a beaucoup à retenir, mais finalement, peut-être que ce qui fait la richesse d'un livre est que chacun y trouve son compte. Moi, je crois que je poursuivais une étoile, que je me suis battu pour un rêve sans personne pour m'encourager, hormis la présence et fidélité de mon chien.

Justement, la fin de l'album, marquée par le départ de Fiston, est déchirante...

Vous l'avez ressentie de cette manière, et ça me touche. Mais il existe deux catégories de gens : ceux qui aiment les animaux et ceux qui ne les aiment pas. Comment ceux qui ne las aiment pas percevront-ils la place et le rôle de mon chien dans le récit et dans ces moments ? Je n'en sais rien. Peut-être seront-ils davantage sensibles à d'autres aspects.

Pouvez-vous nous parler du choix du titre ?

En couverture, à première vue, on voit PDM, et en plus petit, en sous-titre, ce à quoi correspondent ces initiales : Paquet de merde. Au départ, c'était ça le titre, Paquet de merde ! On peut trouver ça un peu lourd, il y a un aspect provocateur, mais je tenais à ce que cela participe à la sincérité de ma démarche. Je dis aux lecteurs, vous voulez voir ce que c'est, comment ça a commencé, si c'était facile ? Venez voir, entrez, ouvrez le livre et suivez-moi... Et comme vous évoquiez l'alternance de mes états et de mes sentiments dans une question précédente, ben oui, à force, dans les périodes sombres, je me suis plus d'une fois senti comme une merde !

Vous êtes éditeur, vous scénarisez un album que vous publiez, n'est-ce pas être à la fois juge et partie ?

Si, mais j'assume ! Je n'allais pas imposer cet album à un autre éditeur non plus ! Et puis, j'ai souvent pensé qu'un éditeur, à travers son boulot, doit forcément être un peu scénariste. Autrement comment conseiller, comment guider l'évolution d'un projet, comment convaincre les auteurs d'y apporter telle ou telle modification ? D'ailleurs, plus d'un éditeur s'est essayé au scénario, regardez Yves Sente... Peut-être sommes-nous, finalement, des scénaristes frustrés (rires) !

Votre démarche risque également de vous exposer à la critique, à la polémique...

J'en suis conscient, même si j'ai du mal à comprendre ce genre de réaction. J'ai, à mon sens, suffisamment de bouteille pour y faire face. De toutes manières, ça n'a pas tardé, ça a rapidement enflé sur les réseaux sociaux. On ne s'attaquait ni au bouquin ni à moi, on s'attaquait au principe du livre. Certains trouvaient scandaleux qu'en cette période de surproduction, ce soit un éditeur qui devienne auteur d'un album. Certains auteurs ont également pris ma défense et je les en remercie. Mais ce n'est pas très grave, et, sincèrement, je pense que l'impact de PDM sur les difficultés du secteur de la BD et la surproduction sera tout de même relativement limité. Par contre, je voulais absolument que l'album soit dessiné par un « nouveau » dessinateur, et Jesus Alonso a réalisé un très beau boulot !

Pour lui aussi, travailler avec vous, sur un projet aussi spécifique, devait revêtir un caractère particulier...

Oui, d'ailleurs il a hésité un moment, un premier livre un peu spécial, un éditeur comme scénariste... Je pouvais le comprendre. Je l'ai convaincu d'aborder ce travail comme un simple travail de commande. Je lui ai envoyé le chapitre centré sur Jeffrey Jones comme test. Ca a bien fonctionné. Jesus Alonso m'a juste posé une question : « c 'est vrai ? », je lui ai répondu par l'affirmative, et en lui disant que tout le reste du bouquin le serait aussi. À partir de là, c'est devenu plus simple. J'avais trouvé un dessinateur et mon premier lecteur !

 

 

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Pierre Burssens
09/03/2015