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Entretien avec Yuio


© Yuio

YUIO est Namurois. Un pied dans la trentaine, il a à son actif un beau palmarès en matière d'illustrations (Artis/Historia, Ville de Namur, …), de colorisations (Pedro le Coati, Green Manor, Louis au Ski, …) et de bandes dessinées (divers collectifs, Trikäär, histoires courtes dans Spirou, …). Frères de la Côte, son premier "vrai" album de BD vient de sortir, l'occasion pour nous de nous entretenir avec ce grand (au sens propre) Monsieur à la plume agile et au verbe acéré...

D'abord la question bateau... Quel a été ton parcours dans le monde artistique ?

J'ai suivi des études inférieures en arts plastiques et j'ai continué la voie en supérieur. C'est assez banal donc.

Quelle est la signification de ton pseudo "Yuio" ?

C'est à la base une fainéantise pour ne pas m'identifier sur le net qui m'a fait choisir YUIO comme pseudo, ce sont 4 lettres qui se suivent sur le clavier. Par la suite, j'ai découvert que c'est aussi un prénom asiatique d'un des films japonais que j'avais dans mes archives... C'est aussi assez banal.


Travail d'illustration pour une carte postale

Pourquoi ce besoin de distinguer de la sorte le travail de coloriste et celui de dessinateur ?

Il faudrait plutôt parler de nécessité que de besoin. Mon nom "Simon" est évocateur de pleins de choses en BD mais qui ne m'appartiennent pas et du coup, on m'a attribué des boulots qui ne sont pas les miens ou on m'a volé le crédit de mes travaux. Un Simon devant sans doute en valoir un autre. Comme j'avais commencé sous ce nom à la couleur, j'ai continué à signer de la même manière pour ne pas casser l'idée d'une masse de production m'appartenant dans le domaine... mais pour le dessin, je pouvais changer facilement de nom puisque les gens n'ont pas pu voir de suite des planches de ma production.

Tu as travaillé, et tu travailles encore, avec quelques grands noms de la BD (Larcenet, Gaudelette, Bodart, Delisle, ...). Comment se sont passées ces rencontres professionnelles ?

Pour beaucoup, c'est le fait du hasard. Être là à un moment donné et parfois être mis à contribution sur un projet commun hors du cadre strict de la BD, ça m'a aidé à étoffer les possibilités de travailler dans le milieu. Par exemple, la collaboration avec Guy Delisle ou Denis Bodart s'est déroulée au départ sur des illustrations servant à de la communication et c'est par la suite qu'on a collaboré sur des albums. Je dirais donc que si l'expérience s'est répétée ou continue, c'est parce que l'alchimie fonctionne et qu'il y a eu avec plusieurs personnes de véritables rencontres.

Des amitiés sont-elles nées de ces rencontres ?

Je dois avoir assez peu de vrais amis... mais Denis Bodart est l'un d'eux. En fait, depuis peu, j'essaye de ne plus mettre trop d'affects dans les collaborations parce qu'elles sont la plupart du temps juste des occasions inédites de faire quelque chose avec un auteur et non de réaliser une vraie rencontre. 

Eprouves-tu une certaine amertume, de la déception, sur des collaborations ou des projets avortés ?

Comme dit ci-dessus, j'essaye de ne plus mettre trop d'affects dans les collaborations... et autant travailler le futur que pleurer le passé. La poussière à la poussière, la terre à la terre et la merde reste la merde.

Tu es plutôt branché mangas dans tes lectures, comment se retrouve-t-on à dessiner une histoire de pirates et plus précisément, comment est née la collaboration avec CV7 et Sylvain Ricard, les scénaristes de "Frères de la Côte" ?

Oui mais il y a quelque chose que les gens devraient comprendre ou tenter d'assimiler, c'est que ce que je lis, écoute ou regarde n'est pas nécessairement ce vers quoi je veux me tourner instinctivement. Par exemple, je trouve que mon univers graphique est en apparence calme et malgré moi souvent trop lisse... alors que j'ai dessiné des pages de "Frères de la Côte" en écoutant des choses à du 120 BPM. Du coup, j'aurai pu faire des pirates survitaminés avec un encrage hyper jeté mais au final, c'est presque de la bd classique.
La collaboration avec mes deux scénaristes est arrivée par le hasard du net et des rencontres. J'ai reçu tout l'album écrit avec les dialogues via Sylvain et je l'ai lu pour à la fin m'entendre dire : " ça, je peux le faire !". On a conversé ensuite avec Sylvain et CV7 pour préparer un dossier de présentation. Si j'avais eu un résumé de 10 lignes, j'aurais peut-être pas voulu tenter l'expérience mais le scénario complet me rappelait les délires enfantins que j'avais avec mon cousin. À l'époque ça a sans doute aidé.

De quelle manière as-tu travaillé sur cet album ?

Au début très doucement, presque une année pour préparer le dossier et puis un peu plus d'un an et demi pour finir l'album. J'ai étalé au fur et à mesure les 46 pages devant moi pour presque toutes les finir en même temps. Une journée de travail était alternée par des jeux entre les pages, des encrages de séquences et des mises en couleurs. Je ne me perdais pas vraiment mais je pense que j'ai une technique assez déroutante.

Tu as eu un petit "accident" en fin de parcours...

Oui, j'ai eu le malheur de faire tomber mon disque dur avec presque un tiers de l'album que je n'ai pas pu récupérer. J'ai tué mes nuits et mes jours pour ne pas me décevoir. Je déteste ne pas rendre mes projets à temps. 


Etude de personnage pour Frères de la Côte

Comment s'est passé la relation avec ton éditeur (La Caravelle) ? Et avec ton directeur artistique ?

Au début, il y a eu un moment de flottement. À titre personnel, on a signé l'album alors qu'il y avait pleins de changements dans ma vie et donc l'avancement des premières planches a été lent. À titre professionnel, le directeur artistique a été changé en cours de route. C'est après cette période trouble que j'ai remis la tête dans le guidon et que les contacts avec le directeur artistique se sont instaurés comme "récurrents".
Au final, sentir l'attente et l'intérêt sur son travail, comme a pu le faire le D.A, m'a aidé à boucler le monstre à 46 pages !

Quel est ton sentiment maintenant que ton album (ta première BD de 46 planches)  est imprimé ?

Le doute... Depuis 9 ans, j'ai dessiné et commencé mon travail en freelance. On m'a plusieurs fois dit que la publication de sa première BD est un accomplissement en soi et quelque chose d'important mais en même temps, je n'ignore pas que des "jeunes" auteurs de talents existent tout autant que moi et je sais aussi que "Pirates des Caraïbes" a redonné du souffle à la piraterie en BD. Bref, il y aura encore cette année pas mal de bateaux et de jambes de bois... alors je me permets de douter de l'achat compulsif pour "Frères de la Côte".


Etude de personnages pour Frères de la Côte

Tu es très actif dans la "blogosphère", notamment via ton propre blog (http://chairafauteuil.over-blog.com/) ou par tes interventions sur "café salé". N'y aurait-il pas là un besoin de communiquer avec l'extérieur ? Est-ce dû à la "solitude de l'artiste" ?

Il y a avec l'extérieur une relation d'amour/haine que j'ai du mal à gérer et socialement parlant, je suis comme beaucoup d'auteurs en déficit évident de contact. Seulement, le net n'est pas ma première source de communication, c'est un moyen pour avoir un retour sur ce que je publie et ce que je dessine. Mon blog me sert de banques d'images pour démarcher des nouveaux clients et des endroits comme le cafésalé, sont des lieux d'échanges sur ce qui se fait en illustrations, animations, photos, etc. Le champ de discussion est réduit et il faut en être conscient. 
Le terme "blogosphère" m'ennuie d'ailleurs... sans doute parce que ce mot donne une allure de club ou d'équipe de foot alors qu'on ne se connaît pas.
Pour ce qui est de briser la solitude, j'ai trouvé différents moyens de le faire... mais le net en est de plus en plus absent.

Tu sembles très rigoureux et parfois très dur envers toi-même et aussi envers les autres ?

Je me fixe clairement des interdits et des obligations pour avancer dans la vie. En fait, j'ai une tendance à vouloir être clair et sans détour : le noir est noir, le blanc est blanc. Je ne suis pas crédule mais la personne qui promet quelque chose, par exemple, doit s'y tenir. Concrètement, si on planifie une date avec moi, je mettrai tout en oeuvre pour la respecter... même si parfois je dors vraiment peu et que mes yeux piquent. Après, je pense que ce que je fais sentir éventuellement aux autres est entre le presque rien et la demi-mesure mais comme on oublie de parler clairement des choses dans le monde actuel, ça peut perturber dans un premier temps. Il faudrait pouvoir se dire sans détours quand on foire ou que quelque chose est à remettre en question mais un auteur de BD a toujours de l'ego... beaucoup d'ego.


Essai en couleur pour Frères de la Côte

Quelles sont tes envies en matière de BD ?

Le réel problème, c'est que je n'en ai pour le moment aucunes idées ou alors que des bases sans intérêt. Le mieux est donc de ne pas en parler.

Graphiquement, quelles sont tes influences majeures et comment définirais-tu ton style ? Manga ? Ligne claire ? Nouvelle BD (Trondheim, Sfar et compagnie) Un hybride de tout cela ?

En fait, je m'illusionne à croire que je suis hybride à cause des différents travaux que j'ai pu faire. Avec les différentes réalisations de communication que j'ai fait, j'ai pu presque toucher autant au mainstream qu'à l'underground et l'illustration me donne souvent l'occasion d'essayer de me réinventer.

Mes influences sont partout, temporaires et variées. J'ai des designers de toys comme référence, des auteurs de bd's, des illustrateurs, etc. J'étale souvent mes coups de cœur et j'essaye de comprendre ce qui me plait pour digérer la chose si c'est possible.

Tu étais guitariste dans un groupe de "hard-core", c'était une sorte d'exutoire ?

C'était ma partie sociale visible facilement. Au lieu de sortir boire un verre, on faisait l'animation et on mouillait son t-shirt en sautant contre les murs. On était parti en soirée un week-end sur deux. C'était une bonne période de ma vie et, oui, c'était un bon moment de faire sortir le trop plein.

Actuellement tu t'essaye à des petites séquences musicales réalisées avec ton ordinateur...

C'est juste des morceaux de morceaux et d'énormes moments de solitude. Il ne doit pas y avoir pire chose qu'un type tentant d'aligner autant de pistes que s’il était avec un groupe complet. Je les ai fait écouter parce que, malgré tout, ça m'amuse mais c'est pas vraiment un produit commercial ou fini.

 De part ta stature, ton allure, ton regard perçant, le ton que tu emploies parfois sur ton blog, ta rigueur, ... De quelle manière penses-tu être perçu par les personnes qui fréquentent ton blog ou qui t'on croisé à l'une ou l'autre reprises ? Es-tu conscient que parfois, tu fais "peur" ?

Je dois être sans doute assez mal cerné. Les gens penseront toujours pleins de choses sur les dessinateurs de BD et sur les belges: on est sympathique, marrant, farceur, bon-vivant,... 

Comme physiquement je ne rentre déjà pas dans leur idée du cliché, ils font déjà erreur. Après, s’ils veulent, ils peuvent lire les choses sur le web et y mettre un ton précis qui est peut-être juste ou peut-être pas. C'est la force et la faiblesse de l'écrit, je ne juge pas parce que je le manipule sans doute mal.

Propos recueillis par Tony Lariviere le 24 août 2007
Tous droits réservés © Tony Larivière 2007
Photo de l'auteur et illustrations © Yuio
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Tony Larivière
31/08/2007