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Entretien avec Jean-Charles Kraehn

« Il s'agit d'un album grand public
à qui je voulais offrir du grand spectacle ! »

Futura, une planète lointaine et oubliée. Une petite colonie tente de survivre dans un environnement hostile. Il serait suicidaire de s’aventurer au delà de frontières définies, et plus encore de s’approcher de "la Grande Faille". Pourtant Chérine, Bart et Théo décident de voler un engin militaire pour franchir cette  faille qui sépare leur pays de territoires inconnus et explorer la Terra Incognita... Tel est le pitch de Futura, la nouvelle série de Jean-Charles Kraehn aux éditions Paquet. Le tome 1 séduit aisément, et surprend aussi à de nombreux égards. L'auteur s'essaye avec succès à la science-fiction et explore, à l'image de ses héros, une terra incognita. Et en interview, enthousiaste, il partage avec nous ses nombreuses découvertes !

Vous êtes un habitué des BD d'aventures, ou à caractère historique. On ne vous attendait pas forcément dans un univers de science-fiction...

Mais j'ai des goûts éclectiques ! Globalement, avec Futura, je reste fidèle à ma philosophie. Il s'agit d'une BD d'aventures qui se veut distrayante, davantage qu'une BD de SF pure et dure. Certes, il existe bien un aspect technologique, mais l'histoire n'est pas axée là-dessus. Personnellement, je ne suis pas un gros consommateur de SF, ne comptez pas sur moi pour innover au sujet de cette technologie. Je dirais plutôt que le cadre du récit est un cadre de SF, mais l'histoire que je voulais raconter s'apparente plus à l'aventure d'explorateurs au XIXème siècle en quête de découvertes.

S'agit-il d'un projet récent, ou aviez-vous cette idée en tête depuis longtemps ?

Le projet traînait depuis longtemps, mais j'étais occupé sur d'autres choses. J'avais déjà effectué certaines recherches pour la faune et la flore, mais j'ai l'impression que ce n'était pas vraiment mûr. Le bon moment pour le faire devait se présenter, et aujourd'hui j'en suis très content.

En lisant Futura, on remarque que vous expérimentez et innovez dans votre dessin et votre découpage...

Je rêvais de ça, et le thème me le permettait. Avant de privilégier l'histoire, j'avais envie de privilégier le dessin. De toute manière, à mon sens, les deux se répondent. Alors oui, je me suis octroyé de plus grandes cases, et même une double page. Il s'agit d'un album grand public, et je voulais lui offrir du grand spectacle à ce public ! Peut-être devrai-je resserrer un peu plus les choses dans les prochains albums, mais pour Terra Incognita, je me suis offert de l'espace dans lequel je me suis bien amusé.

Quand on vous écoute, on ressent chez vous comme une libération...

Totalement. Le domaine abordé m'a permis de laisser libre cours à mon imagination, alors que dans mes précédentes séries, le passage par une documentation précise était indispensable. Ici aussi, je me suis documenté, mais différemment, et la documentation a, en quelque sorte, nourri mon imagination. Attention, je ne pouvais pas me permettre n'importe quoi ! Même si on est dans l'imaginaire, mon univers devait tenir, être cohérent, crédible. Je n'avais pas envie d'aborder une SF délirante. Vous découvrirez progressivement que le fond de l'histoire est très documenté, mais c'est à la fin de celle-ci que le lecteur en prendra la pleine mesure.

Vous laissez aussi s'exprimer les couleurs...

Oui, et leur apport est important. Avec mon épouse Patricia Jambers, nous avions toujours, jusque-là, travaillé de manière traditionnelle, avec le système des bleus de coloriage. Or, le dernier tome de Gil St André (Glénat) a été très mal imprimé, notamment parce que les machines étaient réglées pour le numérique. Pour Patricia, il était difficile de passer directement, seule, à cette façon de faire. Mais ma fille aînée, Sophie, qui est graphiste, maîtrise parfaitement ces nouveaux outils, elle nous a donc donné un fameux coup de main et a notamment réalisé les couleurs de la couverture. Entre-temps, Patricia a progressé, et devrait être tout-à-fait au point pour le deuxième album. Vous parliez de libération, on doit pouvoir se remettre en cause, et finalement, avec Futura, j'ai abordé un nouvel univers pour moi, nous avons dû nous habituer à ces nouvelles techniques, le tout chez un nouvel éditeur ! Mais le changement permet aussi de se relancer...

Croquis préparatoires

Croquis préparatoires

Et pour le dessin, avez-vous conservé votre crayon ou vous êtes-vous laissé séduire par le numérique ?

Le tome 1 de Futura a été dessiné de manière classique, mais pour le tome 2 je me suis laissé tenter par une tablette graphique. Il faut vivre avec son époque. Ca remotive, ça me permet d'aborder le dessin d'une manière différente. Peut-être est-ce embêtant pour les galeries, ou pour les collectionneurs, mais ma préoccupation est de mettre mon dessin au service de l'histoire, et je retrouve un grand plaisir à dessiner. On doit parfois se creuser les méninges pour explorer les possibilités qu'ils offrent, mais on dispose de formidables outils de création !

Recherche de personnage (Chérine)

Recherches pour le
personnage de Chérine

Hormis ces nouveautés techniques, aborder un univers aussi différent de ceux de vos précédentes séries entraînait-il, graphiquement, des difficultés particulières ?

J'ai beaucoup travaillé sur les 3 héros, Chérine, Bart et Théo. Ces personnages devaient être assez jeunes, et je ne voulais pas les caricaturer, ni qu'il soient moches ! Je me suis fié aux conseils de mon épouse, mais j'avoue avoir eu quelques difficultés à me les approprier, surtout les deux garçons. De plus, mon envie de simplifier, d' éclaircir mon graphisme entraînait une diminution du nombre de traits. Je devais parvenir à les rendre expressifs, à restituer leurs sentiments, leur psychologie... Après un album, je commence à les avoir bien en main.

En combien d'albums la série est-elle prévue ?

Nous avons prévu 3 albums avec l'éditeur. Cependant, à mon sens, l'histoire devrait idéalement être développée sur 4 ou 5 tomes, mais nous verrons si les lecteurs seront au rendez-vous... J'ai beaucoup de choses à raconter dans Futura, et j'aimerais pouvoir développer convenablement les personnages, leur psychologie, pour les rendre attachants. Cela demande du temps, mais cela contribue à donner vie aux personnages. La pagination classique des albums laisse assez peu de place pour ça, or il en faut pour que les héros gagnent vraiment en épaisseur. Le tome 2 devrait sortir l'an prochain à la même période. Le scénario était bouclé mais je n'étais pas entièrement satisfait, j'ai donc réécrit toute la partie centrale.

Peut-on parler d'un renouveau de Jean-Charles Kraehn ?

Je suis, en tous cas, heureux de Futura et heureux d'en parler. Je suis toujours enthousiaste quand démarre un nouveau projet, mais ici j'ai l'impression, toutes proportions gardées, de retrouver une âme de gamin. Je vous l'ai dit, j'aurais rêvé de pouvoir raconter une histoire d'exploration, et la SF me le permet. Je m'amuse en travaillant sur cette série, je me fais plaisir,et j'espère que, si je ressens cela, le plaisir de lire sera aussi au rendez-vous pour le lecteur. Vous savez, on a un métier difficile. Un album représente un an de travail, solitaire, qui ouvre la porte à pas mal de questionnements, de doutes... Plus j'avance, et plus je ressens cela. C'est donc très important de pouvoir s'amuser sur un projet. J'essaye de me surprendre moi-même, car après tout, je suis mon premier lecteur !

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Pierre Burssens
23/03/2015