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Entretien avec Christian Darasse

« Nous restons bien gentils à côté de ce à quoi les mômes
sont exposés via différents médias. »

Triple actualité pour Christian Darasse. En effet, le 13e tome de Tamara, cosigné avec Bosse pour le dessin et Zidrou pour le scénario est sorti récemment, suivi du premier tome d'une intégrale attendue par tous les admirateurs du Gang Mazda. Souvenez-vous, pendant une dizaine d'années, cette série a constitué une véritable chronique des mésaventures professionnelles, déboires financiers et galères amoureuses de trois dessinateurs passionnés aux personnalités très différentes : Marc Michetz (Kogaratsu), Bernard Hislaire (Bidouille et Violette et Sambre) et Christian Darasse. Enfin, sous le soleil et en prévision des vacances, Les Minoukinis dessinés par Christian et scénarisés par Philippe Tome préparent eux aussi leur (bronzage) intégral(e) pour juin chez l'éditeur participatif Sandawe. Évoquons ce tiercé en recueillant les « tuyaux » de son dessinateur, Christian Darasse.

Un récent Tamara, le premier tome de l'intégrale du Gang Mazda et un projet en cours chez l'éditeur participatif Sandawe, votre actualité est particulièrement riche pour le moment...

Oui, c'est vrai, et ce n'est pas très courant ! Benoît Zidrou m'a taquiné avec cela en parlant d'une année Darasse pour 2015, mais nous n'en sommes tout de même pas là !

Entre les deux, mon coeur balance est le 13e album de Tamara, ce que l'on peut aujourd'hui considérer comme une longue série. Quel est le secret de sa longévité ?

Tamara grandit sans vieillir, elle évolue peu à peu. Dans les premiers albums, il s'agissait essentiellement de gags, sans véritable fil rouge hormis le poids de l'héroïne, mais le tome 7, intitulé Ma première fois a vraiment marqué un virage déterminant. On a beaucoup bossé dessus avec Zidrou, on a développé tout un petit monde autour de notre héroïne, et on a commencé à traiter des problématiques des adolescentes et à donner à la série son côté feuilletonesque. Tamara a ouvert la voie à la BD orientée vers les filles, puis Lou, Les Sisters et d'autres personnages ont suivi. Mais je pense que Tamara, plus globalement, a été la première série grand public, dans laquelle ont été abordés des aspects très réels du quotidien, comme l'homosexualité, le racisme etc. Nous ne nous censurons pas par rapport à ceux-ci. Si nécessaire, j'arrondis un rien les angles, étant quelque part garant de la publication de Tamara dans Spirou. Il est d'ailleurs probable que nous évoquerons le voile et les dérives que l'on connaît à propos de l'Islam dans le prochain album ou le suivant. Par ailleurs, en installant Tamara dans une famille recomposée, il semble assez logique que la série ait progressivement gagné cette orientation. J'imagine parfois Tamara dans la jungle adolescente, avec une machette et un chapeau à la Indiana Jones en train de défricher les problématiques ados ! Mais nous ne devons jamais oublier non plus que notre coeur de cible, comme disent les commerciaux, ce sont des lectrices de 12-13 ans, on doit dont donc être attentifs à ce que l'on raconte, même si nous restons bien gentils à côté de ce à quoi les mômes sont exposés via différents médias.

Vous partagez le dessin avec Bosse. Quelle est la part de chacun ?

Je connais Serge, son travail et ses qualités depuis Zowie. Pour Tamara, il réalise les crayonnés et j'assure l'encrage en « tamarisant » l'ensemble. Cette collaboration a démarré sur le tome 6 et se poursuit depuis. J'avais pris beaucoup d'avance sur cet album, et puis, pour différentes raisons, j'ai accumulé un gros retard dans mon travail, au point d'avoir à terminer 15 planches en 13 jours ! Vous comprendrez que le renfort de Serge ait été le bienvenu ! Ensuite, vu ce rendement hors du commun, notre éditeur a demandé que l'on enchaîne directement sur le tome 7, ce qui entraînait la publication de 2 albums en un an et demi ! On a donc continué à travailler ensemble, mais aujourd'hui nous avons une cadence plus classique d'un album de Tamara par an.

Votre fille Louise a également rejoint l'équipe depuis peu...

Officiellement, oui, mais elle était déjà là avec ses idées depuis un certain temps. Elle apporte un regard jeune et féminin, particulièrement appréciable, sur Tamara, et ce qu'elle nous propose est généralement très drôle. Les gags que l'on retrouve ces moments-ci dans Spirou sont cosignés par elle et Zidrou, et sa présence sera beaucoup plus marquée dans le prochain tome.

Vous portez donc regard tout paternel sur sa production...

Ainsi que le regard d'un dessinateur chiant sur ce que lui propose une jeune scénariste (rires) !

Lors d'une précédente interview, vous aviez confié qu'un projet d'intégrale du Gang Mazda était depuis longtemps dans l'air. Aujourd'hui, nous y sommes enfin, avec la parution du premier volume.

Initialement, il était prévu qu'il sorte en même temps que le nouveau Tamara, mais nous ne disposions pas de toute la matière ! J'ai travaillé sur sa maquette via Skype avec Dominique Paquet, la graphiste qui a réalisé un boulot remarquable. C'est d'ailleurs elle qui a suggéré la couverture. Entre-temps Bernard Hislaire a accepté de participer au dossier, nous avons retrouvé des choses que nous avions oubliées, et à l'arrivée, tout le monde est très content de ce bouquin. Le dossier représente un beau gros bonus et franchement, j'adore ce tome 1.

Hormis Pauvre Lampil de Lambil et Cauvin, vous étiez les premiers à dévoiler cet « envers du décor » des auteurs de BD...

Oui, mais notre approche était très différente. Les gags de Pauvre Lampil, ça restait tout de même du Cauvin. Même s'il mettait en scène son épouse et celle de Lambil... Dans Le Gang Mazda, tout ce que je montre a existé, et tous les personnages sont réels. Le Gang Mazda est très autobiographique, surtout les 3 premiers albums. À l'époque, c'était novateur, puis c'est devenu à la mode... On s'amusait bien, on travaillait la nuit et plein de gens passaient nous saluer, c'était une période un peu folle. Au petit matin, on attendait qu'une sandwicherie ouvre ses portes pour aller boire un premier café et manger un croissant. Le Gang a vraiment vécu de cette manière, et travailler sur l'intégrale m'a rappelé beaucoup de choses en m'inspirant quand même un petit peu de nostalgie...

Serait-ce encore imaginable aujourd'hui ?

Je ne le pense pas. La BD était encore un artisanat à ce moment, chaque éditeur publiait peut-être une centaine de titres par an. Aujourd'hui c'est très différent, à l'image du monde tel qu'il est maintenant. Par contre, la BD a malgré tout conservé un côté gentil, sympa, et il n'existe pas trop de jalousies entre les auteurs, par exemple. Je me souviens d'une rencontre avec le comédien Bruno Solo, nous étions plusieurs dessinateurs et il était surpris de la bonne ambiance et de l'entente qui régnaient entre nous. Il m'avait confié que c'était inimaginable à la télé. Peut-être est-ce parce que les enjeux liés à la BD sont plus modestes que ceux de la télé ?

Les Minoukinis représentent le troisième pan de votre actualité, rebaptisés Bronzage intégral chez l'éditeur participatif Sandawe. Un retour inattendu ?

Inattendu mais qui nous fait plaisir, à Philippe Tome et moi, car nous avons toujours ressenti une sorte de frustration à l'arrêt de cette série. Patrick Pinchart, directeur et fondateur de Sandawe, et ancien rédacteur en chef de Spirou nous a appelé, nous a dit qu'il appréciait beaucoup les deux albums qui avaient été publiés chez Glénat, et nous a proposé de les rééditer sous forme d'intégrale. D'où le titre Bronzage intégral. Mais nous nous sommes retrouvés confrontés à un problème technique, car nous ne disposons ni des planches originales, ni des films. Nous sommes donc amenés à retravailler des scans de haute qualité.

Comment vivez-vous ce qu'entraîne ce système de financement participatif, dont les contacts avec les édinautes ?

Je trouve ça chouette, on a un métier de solitaire, et là, à travers le blog, on est amenés à expliquer notre travail, ses différentes étapes, répondre aux questions... C'est pas mal ! Je ne sais pas si ça se déroule chaque fois de cette manière, mais le système est intéressant. De plus, Patrick Pinchart connaît son secteur, il est très respectueux et nous sommes peut-être finalement mieux lotis chez Sandawe, toute petite structure, que dans certaines grosses boîtes où les conditions proposées sont honteuses !

Bronzage intégral comportera-t-il du matériel inédit ?

Oui, des croquis, la réalisation de pages étape par étape, des dessins réalisés spécialement pour cette intégrale etc. Le tout représentera une vingtaine de pages, et je pense que l'album devrait sortir en juin, comme un avant-goût de vacances.

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Pierre Burssens
30/03/2015