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Entretien avec Benoît Ers et Vincent Dugomier

« Notre histoire est nourrie par les souvenirs
de nos proches, de nos familles… »

Dans un petit village de France occupé par l'armée allemande, trois enfants refusent de se soumettre à l'ennemi. Mais comment s'opposer à un si puissant adversaire quand on n'a que dix ans ? Après Muriel et Boulon, Les Démons d’Alexia et Hell School, on retrouve avec plaisir les signatures de Benoît Ers et Vincent Dugomier pour une nouvelle série : Les Enfants de la Résistance. Premières armes, tome inaugural, est paru à la veille du 70ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Émouvant, documenté, instructif et bien construit, l’album suscite fort aisément l’adhésion, sur un terrain où on ne s’attendait pas forcément à retrouver ses auteurs. Bref, une belle surprise au sujet de laquelle Vincent Dugomier (scénario) et Benoît Ers (dessins et couleurs) répondent à nos questions !

À qui destinez-vous essentiellement cette nouvelle série ?

Vincent Dugomier : On a spécialement veillé à ce que ce premier album soit compréhensible par la jeunesse, à expliquer les choses afin de permettre aux enfants de les comprendre plus facilement, mais plus généralement on aborde Les Enfants de la Résistance comme une série tous publics, en ayant envie de dire, de raconter aux plus jeunes…

Vincent Dugomier

Vincent Dugomier

Est-ce pour cela qu’un dossier pédagogique complète Premières actions ?

VD : L’idée de ce dossier est apparue au cours de la réalisation de l’album. Il y avait beaucoup de choses intéressantes qui pouvaient compléter la BD, et expliquer davantage certains points. On en a discuté entre nous avec Benoît, et notre éditeur a trouvé qu’effectivement cela valait le coup.

On a connu le duo Ers-Dugomier en SF, en fantastique, vous sortez du thriller Hell School… on ne vous attendait pas forcément sur une série au cadre historique…

VD : Benoît avait pourtant cette envie depuis plus de 20 ans, et l’idée de montrer ce conflit du côté des civils plutôt que des militaires était séduisante. Et puis, nous avons tous les deux des membres de notre famille qui ont connu la guerre ou ont été résistants. On désirait donc montrer aux plus jeunes pourquoi certains « insoumis » avaient choisi de désobéir, et comment… Notre histoire est nourrie par les souvenirs de nos proches, de nos familles.

Benoît Ers

Benoît Ers

Benoît Ers : Cette période m’a toujours intéressé. La Seconde Guerre mondiale a eu une énorme influence sur le monde actuel, et en 5 ans je pense que la race humaine a montré ce qu’elle avait de meilleur et de pire. A priori, on y situe assez facilement les « méchants » et les « gentils » et ça semble relativement facile à comprendre, c’est également très porteur côté matériel et maquettes. Le petit garçon qui en construisait est devenu adulte et a continué à se passionner pour le sujet, et j’avais en tête l’idée d’une BD. Je n’avais pas envie d’en faire quelque chose de militaire, mais je me demandais comment moi, enfant, j’aurais compris ce qui se passait, comment j’aurais réagi, ou comment mes enfants auraient réagi. Or, en 1940, les choses sont très compliquées, les civils ne sont pas informés et ne comprennent pas forcément ce qui se passe. De très nombreux récits évoquent l’exode, mais les bouquins relatant ce tout début d’une prise de conscience sont rarissimes.

Vous évoquez dans Premières actions des aspects peu connus ou exploités de la Résistance ou de ce qu’elle combat, avec dans l’album tout ce qui touche au canal et aux écluses, ou encore les machines embarquées à bord de péniches vers l’Allemagne…

VD : C’était important de montrer ce pillage organisé, systématique. Et puis, ce qui différencie la Seconde Guerre mondiale des autres, c’est l’idéologie qu’imposent les envahisseurs. Il n’était pas possible d’accepter cela, ni l’armistice de Pétain. Or, en 1940, même le mot « Résistant » n’existe pas. Il n’y a pas de structures, pas de réseaux… tout ça reste à inventer. On parle généralement de la Résistance à partir de 1942-1943, mais au début rien n’existe. La population hésite, n’y voit pas clair. Pétain était pourtant un héros de 14-18... Dans ce contexte,  l’une des premières manifestations de ce qui deviendra la Résistance est une forme de contre-propagande pour la France et contre Pétain. À la fin de l’album, la tendance a basculé. La poignée de mains entre Hitler et Pétain est inacceptable !

Aborder cette période du côté civil entraîne-t-il un effort de documentation particulier ?

BE : Je disposais de beaucoup de documentation sur l'époque et le conflit, mais les vêtements civils m’ont posé pas mal de problème. Les gens ne s’habillaient pas de la même manière à la campagne qu’en ville, et la mode de la fin des années 30’ était très changeante. J’ai eu beaucoup de surprises en cherchant de la documentation là-dessus, et certains éléments  pourtant réels présentaient le risque de ne pas paraître réalistes. J’ai donc procédé à un tri, en essayant de trouver l’équilibre entre le réel et ce que le public d’aujourd’hui pouvait admettre comme tel.

Graphiquement, on constate une importante évolution dans Premières actions, à la fois dans le dessin et les couleurs…

BE : Je ne parlerais pas d’une grosse évolution, peut-être que je vais vers un peu plus de réalisme, mais il ne s’agit pas d’une recherche délibérée. Techniquement, j’ai toujours encré au pinceau. Cette fois, j’ai choisi de prendre le contre-pied total de ce moyen en utilisant un stylo-bille complètement ordinaire, et j’ai tout misé sur la couleur pour apporter relief et profondeur. Il y avait d’ailleurs longtemps que je n’avais plus réalisé entièrement les couleurs d’un album. De ce côté aussi, j’ai essayé d’utiliser des couleurs « anciennes » correspondant à l’époque tout en les adaptant…

On aurait pu les imaginer très sombres, or l’album, dans son ensemble, bénéficie d’un traitement très lumineux…

BE : J’ai toujours tenté de respecter cette option de légèreté dans les couleurs, mais dans ce cas précis, l’association avec un trait plus fin renforce cette impression. Par ailleurs, je me suis rendu compte, en regardant quelques séries télévisées françaises, que plus d’une fois, mêmes si elles évoquent des événements tragiques, on a envie d’y être parce que ça se déroule dans une belle région, avec une belle lumière, et je voulais aller vers ça. Il s’agit d’un parti-pris intéressant mais difficile. L’enfer semble se produire dans un endroit agréable ! Ca rend peut-être aussi l’album plus plaisant à lire.

Écrire les narratifs d’une telle histoire à la première personne constituait-il une difficulté supplémentaire ?

VD : Pas vraiment. J’ai beaucoup pensé à ce que m’avaient confié mes parents, mes oncles et mes tantes en écrivant cette histoire et l’emploi de la première personne est venu assez naturellement. François raconte « sa » guerre, et ce choix de forme le rapproche du lecteur et transmet davantage d’émotion… J’ai pensé au Journal d’Anne Frank aussi, mais loin de moi la prétention de vouloir lui comparer notre BD !

Le personnage de Lisa est très particulier…

VD : Oui, elle vit une situation très très compliquée. Elle vient des cantons de l’Est, en Belgique, qui, comme l’Alsace et la Lorraine, avaient été définis zone de repeuplement allemand. Ca nous intéressait de montrer quelqu’un ayant une culture double, et le destin d’une petite allemande à cette époque. On parle beaucoup des enfants soldats aujourd’hui, mais on en « fabriquait » en Europe voici plus de 70 ans. Lisa permet aussi d’aborder le nazisme, je voulais en parler aux plus jeunes, et le rappeler aux plus âgés qui, trop souvent, oublient…

Comment avez-vous défini le trio François-Eusèbe-Lisa ?

BE : J’aborde souvent la période du casting assez difficilement. Je vois parfois ça comme un cauchemar et, finalement, pas tant que ça ! Pour Hell School, j’avais eu beaucoup de difficultés. Ici, concrètement, quelques croquis préparatoires ont suffi. Je pense que nous savions précisément vers quoi nous allions et que c’est venu assez naturellement : le gamin de ferme, la petite allemande… Oui, ça semblait couler de source !

Combien d’albums prévoyez-vous pour Les Enfants de la Résistance ?

VD : Au minimum 3, c’est ce qui est convenu avec l’éditeur, mais si l’accueil  du public est au rendez-vous, vous connaissez la formule, nous avons de quoi aller vers 5 ou 6 tomes. On a envie de raconter progressivement, toute la durée de la guerre, et même au-delà… On a pensé à l’intégration des FFI dans l’armée française, la reconnaissance officielle de la Résistance… Tout est ouvert et possible.

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Pierre Burssens
18/05/2015