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Entretien avec André Taymans

« Ou je me tournais vers autre chose, ou je continuais la BD
mais dans un environnement proche de celui de mes débuts… »

Avec le tome 1 de La Main de Pangboche, André Taymans a effectué un fort beau retour à la BD, marqué par son entrée aux éditions Paquet. Devenu responsable éditorial de la structure Place du Sablon, consacrée à la BD franco-belge classique, l’auteur l’inaugure, par un concours de circonstances, avec le sombre Assassine, réédition en couleurs d’un album scénarisé par Patrick Delperdange paru en 2004. Mais l’actualité d’André Taymans, c’est aussi un album collectif mis en chantier dans l’urgence en solidarité avec le Népal.  Entretien avec un auteur très occupé !

Vous êtes responsable éditorial de Place du Sablon, pouvez-vous nous présenter ce nouveau label ?

Concrètement, Place du Sablon est un nouveau label, ou plutôt une nouvelle branche du groupe Paquet. Pierre Paquet a réalisé que rassembler de nombreux styles sous la seule dénomination des éditions Paquet, celles-ci comportant aussi pas mal de labels de collections, ne le servait pas forcément. C’est pourquoi il a choisi de développer différentes structures dédiées à tel ou tel style spécifique : Kramiek pour l’humour, Chours pour le livre jeunesse, et Place du Sablon pour mettre en avant une BD franco-belge classique. Place du Sablon proposera, dans un premier temps, 90 % de rééditions. La seule vraie nouveauté prévue jusqu’à maintenant est un 3ème tome de Sydney Bruce, de Carin et Rivière, série dont nous rééditerons les deux premiers épisodes.

Et c’est Assassine qui inaugure ses publications…

Oui, mais au départ, ce n’était pas prévu comme ça. Nous voulions justement débuter par Sydney Bruce, et puis nous avons été confrontés à plusieurs problèmes techniques : Glénat ne disposait plus de toutes les planches, donc, avec les auteurs, nous avons dû passer par des scans etc… Assassine, de son côté, était indisponible depuis plusieurs années dans son édition noir et blanc chez Casterman. On avait envie de proposer quelque chose de nouveau en le mettant en couleurs, et dans une édition cartonnée. Cette idée de mise en couleurs était un défi, car le récit avait vraiment été mis en images pour le noir et blanc. Patrick Delperdange, le scénariste, était contre, et finalement j’ai beaucoup tâtonné avec Fabien Alquier, le coloriste, pour atteindre une gamme très sobre qui ne dénaturait pas mon travail effectué en fonction du noir et blanc. Quand nous en avons défini les bases, ça a bien roulé, et Patrick Delperdange a été emballé. Les couleurs servent bien le récit, et  exposent même peut-être certaines choses que l’on ne remarquait pas ou que l’on ne ressentait pas en noir et blanc.

L’album original est sorti début 2004, vous souvenez-vous de la genèse d’Assassine ?

J’avais beaucoup aimé Coup de froid, un roman noir de Patrick Delperdange  paru chez Actes Sud, au point d’avoir envie de l’adapter en BD. Mais les discussions entre Casterman et Actes Sud n’ont pas abouti. Finalement, Patrick Delperdange m’a demandé ce qui m’avait plu dans Coup de froid. Il a ainsi repris certains éléments et a écrit un scénario alors inédit, qui est devenu Assassine et a été publié dans la collection Romans chez Casterman. À l’époque, j’étais heureux de pouvoir m’atteler à un one-shot, ça me changeait de la série Caroline Baldwin, et puis je travaillais avec un scénariste, alors que j’assurais scénario et dessin pour cette série… Je prenais un peu de distance par rapport à cette dernière et c’était une sorte de pause active !

On vous retrouve aujourd’hui chez Paquet, avec Place du Sablon et Assassine, mais avant ça avec La Main de Pangboche qui marque le retour d’une autre de vos héroïnes, Roxane Leduc…

Après le tome 16 de Caroline Baldwin, j’ai ressenti un ras-le-bol absolu. Comme je l’ai dit dans une autre interview, j’avais la sensation d’être réduit à un code-barre, et que chez mon éditeur d’alors, Casterman, je devais me trouver, avec Caroline, dans un listing « vieilles séries », alors que la politique de Casterman était plutôt de mettre l’accent sur d’hypothétiques nouveaux succès. Mes albums étaient mis en rayon, mais sans réelle promo, sans rien. Je me suis même demandé si on les lisait encore, chez l’éditeur… J’ai tout arrêté pendant un an et demi, j’ai voyagé, notamment au Népal, j’ai fait du trekking… Ensuite, je me suis trouvé face à un dilemme : ou je me tournais vers autre chose, ou je continuais la BD mais dans un environnement proche de celui de mes débuts, avec un éditeur attentif et qui aime ça, qui suit les albums qu’il édite, qui leur accorde beaucoup de soin dans la forme également, avec un service presse qui fait bien son boulot, et j’ai trouvé ça chez Paquet, un « petit » éditeur mais qui est en train de gagner en puissance. Aujourd’hui, je n’ai aucun regret par rapport à mon choix, et je pense qu’un véritable avenir de la BD passe par de petites structures.

Cela signe-t-il la fin de Caroline Baldwin ?

Je n’en sais rien. J’ai beaucoup d’autres choses au feu, et je n’y pense pas trop. J’ai beaucoup d’idées et d’envies à développer autour de Roxane, Caroline est un personnage complexe du fait de sa séropositivité, et de nouvelles aventures devraient, à mon sens, suivre des évolutions scientifiques, on verra bien… Prenez Cosey, il a interrompu les aventures de Jonathan pendant une dizaine d’années avant de leur donner une suite. A priori, mais en fonction du succès du tome 2, Roxane continuera à évoluer sous le label Paquet. Le tome 1 de La Main de Pangboche a été bien accueilli, et personnellement j’ai été très heureux de le réaliser en couleurs directes ! Et on envisage de rééditer La Traque, chez Place du Sablon , une histoire parue chez Point image en 2000 et qui marque la première apparition de Roxane Leduc.

Pour le Népal : Thierry Dubois

Pour le Népal : Thierry Dubois

Vous évoquez La Main de Pangboche et vous citez Cosey. On vous sait amoureux du Népal. La récente catastrophe qui s’y est produite entraînera-t-elle des changements dans le tome 2 de cette histoire ?

Évidemment, je ne pouvais pas faire l’impasse sur cette tragédie, et j’ai remanié une grosse partie du scénario du tome à venir en fonction de cela. J’ai des amis à Katmandou, ils ont vraiment eu très très peur lors du deuxième tremblement de terre. Et on considère que le pire est à venir avec l’arrivée de la mousson. Les pluies risquent de provoquer d’autres glissements de terrain, les risques d’épidémies se précisent, et il y a une véritable course contre la montre pour retrouver les cadavres et les brûler. 70% des bâtiments encore debout sont fissurés et dangereux, et devront être abattus. Il faudra de nombreuses années au Népal pour se relever de cette catastrophe.

Et vous avez lancé le projet d’un album collectif en solidarité avec le Népal…

Pour le Népal : Emmanuel Despujol

Pour le Népal : Emmanuel Despujol

Oui. Je connais ce pays, je m’y suis rendu à de nombreuses reprises et j’y ai des amis, particulièrement dans la région martyre. Le village de Langtang comptait 200 habitants, 4 ou 5 personnes ont survécu au tremblement de terre. Cet endroit je le connaissais comme ma poche… Mes amis sur place ont vécu un véritable traumatisme. De mon côté, après quelques heures d’angoisse, je me suis demandé que faire, ici, avec les moyens dont je disposais, dessiner et scénariser ? L’idée d’un album collectif s’est précisée et celui-ci rassemblera les créations d’une cinquantaine d’amis dessinateurs. La mise en page est assurée au fur et à mesure, et on espère pouvoir sortir le bouquin pour la fin du mois de juin.

Comment avez-vous procédé ? Certains de vos collègues se sont-ils manifestés spontanément ?

Au départ, j’ai contacté une centaine de confrères, d'autres se sont manifestés spontanément, et Zidrou a donné un gros coup de pouce au projet grâce à sa liste de contacts. Tous les bénéfices dégagés par la vente de cet album seront versés à la Croix Rouge, pour le Népal. L’album bénéficiera de la maquette Place du Sablon, on a envie de faire quelque chose de sobre et d’une certaine classe, pour un prix contenu. Et nous espérons obtenir une distribution en grandes surfaces.

Pour le Népal : André Taymans

Pour le Népal : André Taymans

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Pierre Burssens
27/05/2015