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Entretien avec Etienne Willem

« Utiliser des personnages animaliers
permet de les situer très facilement… »

Comme dans une célèbre série télévisée, l’hiver vient dans Nuhy, le quatrième tome de L’Épée d’Ardenois (éd. Paquet). Alors que certains ont un peu trop facilement comparé son traitement animalier à celui du Robin des Bois de Disney, les quatre volets qui la composent délivrent une histoire nettement plus complexe et adulte. Les apparences sont souvent trompeuses, et la quête du pouvoir constitue le principal moteur de nombre de ses protagonistes. Enrichi de scènes particulièrement spectaculaires, Nuhy clôture la série en apothéose et permet d’en mesurer l’envergure. Etienne Willem l’évoque avec nous.

Nuhy, récemment paru, clôture la saga de L'Épée d'Ardenois. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur la série ?

Il y a évidemment un petit pincement au coeur en abandonnant des personnages qui m'ont accompagné pendant 6 ans, mais aussi la satisfaction d'avoir bouclé une histoire de 200 pages ! Au fil des albums, j'ai également pu mesurer l'évolution de mon travail, là aussi c'est positif. Et puis, c'est sur L'Épée d'Ardenois que je me suis attaqué aux couleurs pour la première fois, sur le deuxième album. Je vous assure que j'en ai bavé. Sur Nuhy, c'était devenu un vrai plaisir. Je ne veux pas tomber dans l'auto-satisfaction, mais au-delà d'avoir pu raconter l'histoire dont j'avais envie, ces 4 albums m'ont fait évoluer dans différents domaines, je ne peux qu'être content !

Pourquoi avoir choisi de passer par le dessin animalier pour une histoire aussi complexe et pas particulièrement cataloguée « jeunesse » ? Aujourd'hui, la référence est un peu galvaudée, mais on pense parfois à Game of Thrones...

J'avais envie de raconter une histoire d'heroïc fantasy différente et je ne connaissais pas, à ce moment, Game of Thrones. Or, de la fantasy, j'en ai consommé en grande quantité quand j'étais ado. Mais le genre m'a, sauf exception, finalement semblé fort répétitif. Dans la très grande majorité des cas, en fantasy, on vous présente d'abord un univers très riche et complexe. Et puis, au fur et à mesure de l'avancement de l'histoire, ça se simplifie et se recentre sur l'éternel affrontement du bien et du mal. Avec L'Épée d'Ardenois, je voulais prendre complètement le contre-pied de cette construction, que l'on rentre facilement dans l'histoire, et qu'elle s'enrichisse et se complexifie progressivement. Parallèlement à ça, il y a de nombreux éléments que je n'invente pas. Les châteaux, les armures... c'est documenté ! Utiliser des personnages animaliers permet de les situer très facilement. On associe inconsciemment un caractère, une personnalité à tel ou tel animal. Donc on va plus vite à l'essentiel. Mais c'est parfois trompeur, comme on le découvre dans L'Épée...

Choisir le dessin animalier implique-t-il un intérêt particulier pour les animaux ?

Euh... je vis avec disons..un chat et demi... J'aime bien les animaux mais on ne peut pas dire que ce soit ma passion ultime. Par contre, au niveau graphique, c'est formidable de travailler de cette manière, j'y trouve beaucoup de plaisir et de possibilités. Les animaux qui interviennent dans L'Épée d'Ardenois sont représentatifs de la faune de l'Europe du Nord au Moyen-Âge, j'ai juste élargi un rien le champ vers l'Est pour trouver des bisons. Vous voyez, on peut encore beaucoup diversifier, et le projet sur lequel je travaille actuellement sera, lui aussi, animalier.

Pourtant, à la lecture, en découvrant l'histoire, on perd presque conscience de cette représentation sous forme d'animaux. C'est aussi le cas dans les grandes scènes de bataille que l'on trouve dans Nuhy...

Parce qu'alors, comme je vous l'ai dit, le caractère du personnage prend le dessus sur son apparence. On joue sur deux tableaux. Garen est un petit lapin mignon. Mais il est confronté aux réalités de la guerre, à une violence très crue. On ne le voit alors plus comme un lapin, parce qu'on partage ce qu'il vit ou ressent. Quant aux scènes de bataille, l'histoire appelait une fin spectaculaire, et là, les armures, les chevaux ramènent à un contexte plus humain.

Disposiez-vous, dès le départ, d'un plan précis de votre récit ?

Oui, une fois le premier épisode écrit, j'avais les grandes lignes de l'histoire jusqu'à son aboutissement. Mais certaines choses ont été modifiées ou se sont ajoutées en cours d'écriture. Ainsi, par exemple, le rôle des 3 compagnons restants s'est précisé progressivement, pour arriver à quelque chose qui peut évoquer Les trois mousquetaires - Vingt ans après. Ces personnages existaient dès le début, il fallait leur trouver un rôle logique dans le développement de l'histoire qui puisse servir sa dynamique.

Parallèlement à l'album classique, Paquet propose une édition regroupant les crayonnés de vos planches. Le must ultime aux yeux du dessinateur ?

J'y vois plutôt une belle reconnaissance du travail effectué, d'autant que ces albums (les 4 tomes existent sous cette forme) sont beaux, bien réalisés et proposés, pour des ouvrages à tirage limité, à un prix tout-à-fait honnête. Pas mal de gens ne mesurent pas le travail que représente la réalisation d'une BD, et si ça peut changer leur regard, tant mieux. Je l'ai déjà constaté lors de séances de dédicaces. Mais les albums couleurs sont très bien aussi ! Dites-le à vos lecteurs ! J'ai transpiré, moi, pour ces couleurs ! (rires)

Vous travaillez également dans un studio d'animation. Y trouvez-vous une complémentarité à la BD ?

Chacune de ces activités constitue une bulle d'air par rapport à l'autre, mais chacune a ses limites. En animation, on travaille en équipe, on peut échanger des idées, discuter, alors qu'en BD on bosse en solitaire, a fortiori quand on assure l'ensemble du travail, scénario, dessin et couleurs. Par contre, l'animation coûte cher, et on se trouve tôt ou tard limité par le budget du projet. Or, en BD, tout est possible. Vos seules limites sont vos envies, vos capacités de dessinateur et votre imagination.

Vous évoquiez un nouveau projet. Peut-on en savoir plus ?

Le scénario vient d'en être validé. L'histoire se déroulera dans le New-York des années 30'. J'en suis au stade des recherches graphiques pour m'orienter plus précisément. Il s'agira d'un récit très documenté mais pas « historique » à proprement parler. Un récit d'aventure animalier.

Quand on tape Etienne Willem sur Google, on vous retrouve aussi associé au steampunk et à un groupe de reconstitution historique. N'avez-vous jamais pensé associer ces domaines et la BD ?

Oui et non. Le steampunk, que l'on appelle aussi rétro-fiction, une forme de SF telle qu’on aurait pu l’imaginer à l’époque victorienne, m’aurait plu. Mais il y a beaucoup de choses en BD autour de ça. Et ces deux hobbys me permettent de retrouver des copains, de discuter. Non, je pense que ça doit rester des hobbys. Exploiter cela pour la BD me donnerait l’impression de tirer la couverture à moi, alors que dans un cas comme dans l’autre ça rassemble des gens d’horizons très différents et que le partage y tient une grande place.

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Pierre Burssens
17/06/2015