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Entretien avec Porcel et Zidrou

L'écriture est le fait de nombreuses circonstances, pourquoi s'orienter vers ceci plutôt que vers cela ? Je ne sais pas!

Après Folies Bergère, Zidrou et Porcel abordent un Moyen-Âge impitoyable dans Bouffon (Dargaud), un conte noir et cruel ! Un garçon, si laid qu'il est appelé Glaviot, grandit dans les geôles d'un château, sous la protection du tortionnaire des lieux. Que pourrait-il espérer de plus qu'être le bouffon éperdument amoureux de la belle Livia, la fille du Comte ?

Francis Porcel et Zidrou

Francis Porcel et Zidrou
© Pierre Burssens / Auracan.com

Avec une exposition consacrée à « ses » dessinateurs et les sorties quasi simultanées de Bouffon et des Beaux Étés (dessin Jordi Lafebre, Dargaud), Zidrou (alias Benoït Drousie, initiales BD) était présent à la récente fête de la BD de Bruxelles. L'occasion était belle de l'interroger, avec Francis Porcel, quant à ce Bouffon, aussi impressionnant que remarquable...

Comment votre tandem s'est-il reformé après Folies Bergères, et sur un projet aussi différent ?

Zidrou : Francis avait envie de dessiner un récit se déroulant au Moyen-Âge. On en a discuté et partagé quelques idées, mais il y en avait que je ne pouvais pas développer telles quelles, au risque de me rapprocher d'autres histoires... Mais j'ai pu rebondir à partir de celles-ci et au final toutes les pièces se sont assemblées assez facilement, ce qui, à mon sens, m'indiquait que je tenais un scénario valable, voilà tout...

Francis Porcel : À l'époque, je travaillais sur un film d'animation qui m'avait amené à me documenter sur le Moyen-Âge, mais dans une direction plus fantastique. Je faisais confiance à Benoît pour l'écriture et j'étais ouvert à ce qu'il pourrait me proposer. On se connaît mieux aujourd'hui qu'au moment de Folies Bergère et il y a eu fort peu de choses à adapter à partir de son scénario initial. On a travaillé de manière plus rapide et plus efficace sur Bouffon, et ce sera encore mieux sur le prochain projet...

Dans Bouffon, on retrouve un côté conte qui figurait déjà dans Les 3 fruits. Êtes-vous particulièrement attaché à cette forme de narration ?

Z : Non, pas particulièrement, et je ne ne réfléchis pas de cette manière. Il y a des points communs, mais Bouffon, malgré sa noirceur, a tout de même, selon moi, un côté plus humain. On va tout de même vers la lumière, elle n'est pas resplendissante, mais on y va... Bouffon a quelque chose de plus moderne, aussi... Mais l'écriture est le fait de nombreuses circonstances, pourquoi s'orienter vers ceci plutôt que vers cela ? Je ne sais pas ! À certains moments on a aussi envie de choses plus tendres ou plus amusantes. C'est pourquoi je travaille presque toujours simultanément sur deux histoires, un truc grave et un truc rigolo, ou une histoire familiale et encore autre chose...

C'est une question d'équilibre ?

Z : Oui et non. Mais après avoir travaillé 4 heures sur un projet humoristique, j'aime bien de passer à autre chose. Passer de quelque chose de léger à quelque chose de plus lourd ou plus technique... Ca peut être l'inverse mais c'est souvent dans ce sens-là que je fonctionne...

Raoul Cauvin dit vous admirer beaucoup pour cela, cette capacité de passer de l'humoristique au réaliste, avec la même réussite...

Z : Quand un lecteur vous dit avoir apprécié un album, c'est une belle récompense, quand il s'agit d'un enfant, c'est encore plus touchant. Quand vous recevez un prix décerné par vos pairs, ça vous fait vraiment plaisir, car ils connaissent le boulot, ce que ça représente comme difficulté et comme énergie investie. Venant de Raoul Cauvin, je ne peux qu'être flatté, car si quelqu'un a pu passer des heures et des heures à travailler sur des gags, des histoires, et avec une inspiration impressionnante, c'est bien lui !

Peut-on parler d'une réelle « école espagnole » de dessinateurs de BD  ?

FP : En Espagne, c'est très difficile d'en vivre. On dit parfois qu'il y a plus de dessinateurs que de lecteurs. On exagère un peu, mais ça caractérise assez bien la situation. Le marché est restreint et concerne finalement un seul type de lecteurs...

Z : Quand Francis est venu en France pour Folies Bergère, il a rencontré un public de bédéphiles, de passionnés d'histoire et de passionnés de la Première Guerre mondiale, l'album a eu un large feedback. En Espagne, on lit assez peu et les enfants ne lisent presque pas. Il faudrait peut-être un phénomène comparable à Harry Potter, qui a ramené les enfants à la lecture et, en plus, à des gros volumes, pour relancer l'envie de lire, et ramener des lecteurs à l'édition en général et à la BD en particulier.

Francis, vous avez dû créer Glaviot, le héros de Bouffon, un personnage difforme que vous avez dû rendre attachant. S'agissait-il d'un challenge ?

FP : Oui, peut-être était-ce la chose la plus difficile à réaliser sur tout l'album. Mais c'était une étape essentielle puisqu'il s'agit du personnage principal. L'histoire le rend attachant, mais je devais lui trouver une image. Et pendant deux ou trois mois je me suis consacré à ça, avec de nombreuses recherches, de nombreux essais. Il fallait définir la particularité qui allait permettre de traduire ses sentiments, ses émotions, et parvenir à le faire aimer par le lecteur. Je me suis attaché au regard, auquel il fallait donner le plus de place possible. Le personnage est difforme, donc, au fil des essais, j'en suis venu à supprimer son nez et une partie de sa bouche. Nous sommes dans un style graphique réaliste, donc je ne pouvais pas surdimensionner ses yeux, je devais jouer sur d'autres éléments. Cette étape a été compliquée, et risquée aussi. Définir un personnage principal classique d'une histoire n'est pas simple. Glaviot est difforme, et le lecteur doit d'abord pouvoir l'accepter, puis s'y attacher.

L'utilisation de très nombreux narratifs, comme dans ce cas, exige-t-elle une discipline de travail particulière, notamment au niveau du découpage des planches ?

Z : Pour moi, c'est venu comme ça, sans réfléchir. Je n'analyse pas ma manière de travailler sur telle ou telle histoire. J'essaye de voir si ça fonctionne ou pas, ou, mieux, si ça fonctionne bien ou très bien. Et si on se trouve dans ces dernières possibilités, je bosse, j'avance...

FP : J'ai du prendre en compte ces blocs de textes pour le découpage. Mais l'utilisation des narratifs impliquait, pour moi, d'amener le dessin à montrer ou expliquer autre chose que ce qui est écrit, ou à le compléter. Ca m'a permis d'introduire parfois une certaine poésie sur telle ou telle case, ou des informations supplémentaires. Ca pouvait être une contrainte, mais ça me laissait aussi beaucoup de liberté. Généralement, quand je reçois le scénario, j'essaye de l'imaginer, découpé, dessiné, avec mes images. Quand je commence à travailler, si j'ai le sentiment que ça fonctionne bien, je prends confiance et j'avance seul. Mais pour ça je dois ressentir l'histoire, un peu comme si je l'avais écrite, je dois , d'une certaine manière, me l'approprier, un peu comme un acteur...

En tant qu'objet aussi, on constate que l'album est particulièrement soigné...

Z : Oui, et on en est plutôt contents. On s'est beaucoup questionnés quant au dessin de couverture, qui devait caractériser l'histoire, son climat, et en même temps sortir de l'ordinaire. Et je pense que celle-ci se remarque dans une vitrine ou sur le présentoir d'un libraire. Et l'emploi des liserés dorés lui ajoute également un cachet bien particulier...

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Pierre Burssens
09/09/2015