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Entretien avec Philippe Berthet

« L'histoire est atypique, possède un tempo particulier... Elle s'éloigne de nombreuses constantes du polar, mais correspond bien à la collection. »

Australie, Nouvelle-Galles du Sud, 1970. À Dubbo City, la chaleur de la nuit est aussi poisseuse que les souvenirs et les rancoeurs. Accusé du meurtre de sa femme Lee, une jolie blonde peu farouche, Greg, condamné à être innocent, revient dans sa ville natale après vingt-sept ans de cavale. Avant d'être emporté par un cancer, son frère Ikke a balancé son grand secret : c'est lui qui a tué Lee. Mais la vérité n'est pas toujours là où on l'attend...

Après le diptyque Perico réalisé avec Régis Hautière, Philippe Berthet enrichit sa collection Ligne Noire d'un nouveau polar... noir de noir. Le Crime qui est le tien, scénarisé par le prolifique Zidrou, nous immerge dans une intrigue sanglante et familiale qui ne ménage pas le lecteur, et au sein de laquelle on se demande si quelqu'un a vraiment les mains propres... Philippe Berthet nous en dit plus.

C'est la première fois que vous collaborez avec Zidrou, comment cette association s'est-elle mise en place?

Benoît est quelqu'un dont je suis régulièrement les travaux, et certains de ses scénarios m'ont beaucoup plu, je pense notamment à La Peau de l'ours. Comme l'idée de la collection Ligne Noire, que nous avons définie avec Yves Schlirf, est de m'accorder de dessiner des polars one-shots avec des scénaristes différents, j'ai suggéré Zidrou. Benoît était intéressé, et ça a démarré de cette manière. Cette variété de scénaristes permet de réunir des récits très différents, avec une grande variété d'approches. Pour moi, il s'agit à chaque fois d'un défi mais aussi d'un bonheur, car je dois m'adapter à des écritures, des visions qui varient beaucoup, mais cela constitue aussi un moteur puissant...

Il n'y a donc pas de cahier des charges précis pour les scénarios de Ligne Noire ?

Pas vraiment. Je dirais que la condition principale est, pour moi, de ne pas refaire des choses que j'ai déjà réalisées. Je demande que l'on me propose quelque chose de différent. Je n'ai, par exemple, pas envie de retrouver une ambiance proche de Pin Up. Mais Ligne Noire est une collection très ouverte. Le terme « polar » en lui-même est assez vague. Dans Le Crime qui est le tien, on ne suit pas précisément une enquête ou une course-poursuite. L'histoire est atypique, possède un tempo particulier... Elle s'éloigne de nombreuses constantes du polar, mais correspond bien à la collection.

Vous parlez de défi, quel a été pour vous celui de Le Crime qui est le tien ?

Probablement, dans un premier temps, d'accepter la lenteur du récit ! Au début, on a l'impression qu'il ne se passe pas grand-chose, et l'intrigue se dévoile très progressivement. Mais ceci permet de prendre le temps de l'appréhender, de créer une empathie mais aussi de faire naître des doutes au sujet des personnages principaux... J'ai également du travailler pas mal sur les décors. Leur dessin ne représentait pas de difficulté insurmontable, mais il s'agit de décors récurrents, présents à différentes époques et je devais en tenir compte. Et puis le magasin de bonbons devait se trouver face à une plaine de jeux et à une école communale et il fallait pouvoir situer cela, pour moi articuler mon travail mais aussi...pour le lecteur.

Nombre de vos albums se déroulent dans les années 50' et 60'... Le Crime qui est le tien prend place dans les années 70'. Avez-vous une période de prédilection ?

Les années 50' je connais bien, mais y revenir trop souvent aurait, à mon sens, tendance à me ramener à des choses déjà faites, donc j'aime bien en sortir. Ici on se trouve dans les années 70', mais ce n'est pas vraiment important. Ca me permet de dessiner d'autres voitures et, dans ce cas, de les faire rouler à gauche, mais je n'ai pas pour autant dessiné des hippies ni des pantalons pattes d'eph... De même, dans l'album, le décor australien ne diffère pas vraiment de ce qu'il aurait pu être si, par exemple, l'intrigue s'était déroulée au Texas... En fait, je crois que la seule chose qui m'arrêterait serait de dessiner un récit totalement contemporain avec des exigences très précises quant à sa situation géographique. Je ne recherche pas un réalisme touristique. Ma vision des USA, dans d'autres albums, est fantasmée. Je n'y ai jamais mis les pieds...

Mais vous glissez tout de même dans ce volume quelques images bien australiennes : personnages aborigènes, moutons, chiens sauvages, foot australien...

J'ai tout de même évité les kangourous ! (rires). Mais au tout départ, Zidrou avait situé son histoire ailleurs, en Espagne je pense. Moi j'avais envie d'Australie, il a accepté ce changement, et pour ma part j'ai renforcé, graphiquement, le côté australien...

L'album a, de nouveau, un personnage féminin pour pivot. Au fil des ans, on vous a complètement associé à ces personnages séduisants ou... inquiétants...

C'est vrai que c'est un peu devenu une marque de fabrique, et que c'est plus facile aujourd'hui qu'à mes débuts. Ca a vraiment démarré avec Pin Up, pour lequel Yann m'avait vraiment écrit du sur-mesure, et à partir de la notoriété acquise avec cette série c'est devenu une sorte de label. Mais là aussi il y a une forme de défi, car les femmes endossent dans mes histoires des rôles très différents. Pour cet album, Lee devait être attirante, intrigante, mais elle devait rester humaine. Je ne voulais pas non plus en faire une simple bimbo sexy. Je devais jouer sur différents dosages pour que mon dessin épouse la personnalité définie par le scénario.

Lee apparaît de manière très particulière sur l'impressionnante couverture. Comment avez-vous défini ce dessin très symbolique ?

Ca n'a pas été évident du tout. J'ai dû réaliser une vingtaine de projets de couverture, mais soit ils ne me convainquaient pas, soit ils étaient refusés... Je n'arrivais pas à trouver ce qui pouvait convenir. Un soir, à un vernissage, j'en ai discuté avec un maquettiste brillant, connu, que je remercie dans l'album. On en a parlé pendant une demi-heure et finalement, c'est lui qui a attiré mon attention sur l'importance des moutons dans l'histoire. Et j'ai « vu » cette image, Lee lardée de coups de couteaux et cet agneau, symbole de pureté, qui lèche ses plaies. L'idée était là, il me restait à me débrouiller pour la dessiner. J'aime beaucoup cette couverture, intrigante, un peu malsaine peut-être, qui correspond bien au contenu. Elle contient quelque chose de quasi fantastique, mais n'oublions pas que c'est le fantôme de Lee qui apparaît dans le récit...

Êtes-vous, personnellement, un gros lecteur de polars ou de romans noirs ?

Non, par manque de temps ! Je lis peu pendant l'année, car je travaille beaucoup et que j'ai horreur d'entamer un livre et de le laisser là des semaines ou des mois avant de pouvoir en reprendre la lecture. Je lis plutôt en été et en vacances, 4 ou 5 romans. C'est pourquoi mes influences sont plutôt à rechercher du côté du cinéma, des films noirs américains des années 50'.

Perico avec Régis Hautière, Le Crime qui est le tien avec Zidrou... Pouvez-vous déjà nous parler du prochain Ligne Noire ?

J'ai déjà embrayé sur une troisième histoire, avec laquelle on changera encore radicalement d'ambiance puisqu'il s'agit d'un polar nordique, scénarisé par Sylvain Runberg. L'action se déroulera en Suède. Et pour celui-là, je me dis que je pourrais peut-être aller sur place... mais je ne sais pas si ce sera nécessaire. Avec Internet on peut disposer d'une telle documentation. Et puis, je vous l'ai dit, j'aime bien fantasmer les lieux !

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Pierre Burssens
19/10/2015