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Entretien avec Luc Brunschwig, Aurélien Ducoudray, Dimitri Armand

« Qu'est-ce qu'un héros en 2015 ? »

Nigeria, 2012. Le jeune lieutenant Morane fait partie d'un groupe de casques bleus en patrouille, lorsqu'un enfant désemparé vient les supplier de l'aider. Son père vient d'être sorti de chez lui et mutilé par un groupe d'insurgés. Les ordres sont clairs : interdiction d'intervenir. Mais Bob Morane ne peut s'y résoudre. Seul un géant écossais, le sergent Bill Ballantine, sort du rang à son tour. Les deux hommes ne se connaissent pas encore mais avancent côte-à-côte vers le danger. C'est le début d'une amitié indestructible… et du premier tome de Bob Morane Renaissance, Les Terres rares.

Avec ce reboot, les scénaristes Luc Brunschwig et Aurélien Ducoudray et le dessinateur Dimitri Armand réinventent l’aventurier créé en 1953 par Henri Vernes, héros de plus de 200 romans et d’une centaine d’albums BD. Leur Bob Morane est contemporain, réaliste, fort et humain. Ses compagnons et adversaires prennent pied, eux aussi, dans le XXIème siècle. Les auteurs relèvent haut la main le pari de cette re-création. Alors que les reprises d’anciennes séries sont à la mode, Brunschwig, Ducoudray et Armand nous parlent de la genèse de ce nouveau Bob Morane et de quelques pistes tracées pour Renaissance.

Comment s’est élaborée cette idée de re-création de Bob Morane ?

Aurélien Ducoudray

Aurélien Ducoudray

Aurélien Ducoudray : Christophe Bec avait proposé un projet au Lombard, mais tenait à conserver le côté « vintage » de la série. Luc Brunschwig avait, de son côté, l’envie de plonger Bob Morane dans notre monde contemporain. L’éditeur semblait intéressé. Luc m’a appelé pour me dire qu’il avait un projet important en préparation, mais n’avait pas envie de se lancer seul dans cette aventure. Je lui ai demandé de quoi il s’agissait, il a évoqué la relance d’une série connue en me citant juste les initiales BM. J'ai pensé à… Blake et Mortimer, et si ça avait été ça, clairement, ce n’était pas pour moi ! Ce n’est pas du tout mon univers et je me voyais mal débarquer là-dedans ! Mais il a finalement prononcé le nom de Bob Morane, et j’ai accepté tout de suite.

Il n’y avait donc pas de cahier des charges établi précisément pour cette reprise ?

Luc Brunschwig : Non, car à partir du moment où nous ramenions Bob Morane dans notre monde contemporain, tout son univers devait forcément évoluer, ainsi que le regard porté sur celui-ci. Il n’était pas possible de conserver tels quels tous les fondamentaux de la série. Cette nouvelle approche devait correspondre à une nouvelle impulsion pour cette BD. Gauthier Van Meerbeeck, directeur éditorial du Lombard, a été séduit et a soutenu notre projet en nous laissant carte blanche…

Dimitri Armand (photo P-E. Prost)

Dimitri Armand
photo © P-E. Prost

Et d’un point de vue graphique ? Vous êtes-vous replongé dans les albums de vos prédécesseurs, Dimitri ?

Dimitri Armand : Pas du tout. Il y avait certes des caractéristiques de base à respecter, mais j’ai abordé la série comme quelque chose de complètement neuf et personnel. Cette approche impliquait logiquement de repartir à zéro.

Mais il n’y a pas que l’aventurier, Bob Morane c’est aussi un groupe de personnages très typés et récurrents…

AD : Effectivement, il y a un terreau de base très fort, avec des personnages devenus mythiques au cours des romans d’Henri Vernes et des albums BD. On avait envie d’explorer les relations qui les lient, de les expliquer et de les rendre intéressantes et fortes. Même leurs noms ou leurs appellations  sont devenus mythiques. L’Ombre jaune, ça sonne bien, mais on sent directement qu’il y a quelque chose derrière… Ca ne peut pas désigner un personnage anodin…

LB : Et nous devions faire évoluer ces personnages de manière cohérente avec le contexte contemporain. En procédant à des recherches sur la Cie Paramount, par exemple, j’ai découvert que son fondateur s’appelait Zukor, et j’ai conservé ce nom pour le personnage de Sophia. C’était tentant d’en faire un personnage élevé dans la richesse et l’opulence et qui, un jour, avait tout plaqué pour parcourir le monde comme grand reporter, avec un engagement un peu fou et un caractère bien particulier né de ce background, justement.

AD : Nous voulions d’ailleurs amener des personnages féminins plus forts dans la série. Sophia en est un bon exemple, une « dure » qui arpente le monde… À un moment, on a même dû se limiter car à travers certains dialogues, la copine de Bob semblait prendre la main sur lui. Or le héros reste Bob Morane !

Vous évoquez le héros, or la séquence dans laquelle le Lieutenant Morane choisit de désobéir à sa hiérarchie peut interpeller. Qu’est-ce qu’un héros ? Vous êtes-vous posés la question ?

Luc Brunschwig (photo : Virginie Garnier)

Luc Brunschwig
photo © Virginie Garnier

LB : Oui, on y a pas mal réfléchi, en précisant, en s’interrogeant : qu’est-ce qu’un héros en 2015 ? Il peut y avoir beaucoup de définitions en fonction des contextes, mais finalement j’ai retenu une phrase des Raisins de la Colère de Steinbeck, dans laquelle un personnage dit qu’il sera présent partout où régnera une forme d’injustice sociale. Et je pense qu’il peut s’agir d’une bonne définition pour notre Bob Morane !

Vous rendez Bob Morane plus actuel, plus réaliste. Cela n’entraîne-t-il pas une coupure avec toute une dimension SF ou fantastique qui était aussi une composante importante des romans et de la série-mère ?

LB : L’approche de Bob Morane Renaissance est plus adulte et séduira peut-être un autre public. La série se déroule avec une très légère anticipation. Quand nous évoquons les neurocasques, on aborde une forme d’anticipation technologique, et on devrait conserver cette dimension dans les prochains cycles. Que va faire le public de ces casques ? Quelles seront les conséquences de leur utilisation ? Et si le principe de ces casques était implanté dans la tête des individus ? Aujourd’hui tout s’accélère, et la SF a finalement quelque chose de très relatif. Il y a 10 ans, on a cloné une brebis en y intégrant une partie d’ADN d’une méduse phosphorescente. Et on a créé une brebis phosphorescente ! Finalement, on n’est pas loin des Fourmis de l’Ombre jaune, et on est dans le réel ! Le troisième cycle de Bob Morane Renaissance abordera le déficit de femmes dans certaines régions de la Chine, dû à la limitation des naissances, et surtout des naissances de petites filles. Miss Ylang Ylang y jouera un rôle… L’idée vient d’un article lu il y a 3 ou 4 ans, et aujourd’hui on « importe » des femmes dans ces régions…  Parfois la réalité rejoint et va même plus loin que la SF !

Dimitri, quel était, pour vous, le principal challenge de ce reboot ?

DA : Aborder l’époque contemporaine, sans aucun doute ! Je sortais de la fantasy et du western, et Bob Morane Renaissance exigeait de moi d’aborder l’univers que j’appréhendais le plus…

AD : En même temps, il fallait penser, comme nous sommes dans une légère anticipation, à ce que certains éléments de cet album ne soient pas dépassés dans 5 ans…

DA : Je me documente régulièrement sur des blogs technologique qui me permettent de travailler sur des bases réalistes et concrètes !

La série est donc prévue pour se développer sous forme de diptyques…

AD : Oui, chaque diptyque pourra être abordé séparément, mais l’ensemble formera, à un autre niveau, une longue histoire. Géographiquement, chaque diptyque se déroulera dans un endroit différent : l’Ukraine… ou ce qu’il en restera  pour le prochain, la Chine pour le suivant, un retour en Afrique pour le quatrième… Pas forcément des endroits sympas, accueillants et touristiques, faut-il le préciser…

DA : Mais des endroits intéressants pour le dessinateur, avec un renouvellement et une variété qui lui permettront de ne pas s’ennuyer !

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Pierre Burssens
09/11/2015