Entretien avec Ralph Meyer et Xavier Dorison
"C'est très compliqué, un western..."
On pourrait imaginer que tout a été fait en western. Pourtant, le genre se porte bien comme l'ont démontré plusieurs albums cette année. Récemment, on a ainsi eu droit au remarquable Sykes (Le Lombard) de Pierre Dubois et Dimitri Armand, et à La Danse des vautours, deuxième tome des aventures d'Undertaker (Dargaud).
Depuis notre entretien avec Ralph Meyer (dessin) et Xavier Dorison (scénario), Le Mangeur d'or, très remarqué premier album de cette série, s'est vu proclamé BD de l'année par Le Parisien et sélectionné pour le festival d'Angoulême. Les légendes de l'Ouest ne meurent jamais et l'Undertaker semble avoir empunté la bonne piste pour gagner leur trépidant pantheon.
À la lecture de ce premier cycle d'Undertaker, on sent que, tous les deux, vous avez pris beaucoup de plaisir à sa réalisation...
Xavier Dorison : Ah non, pas du tout ! On s'est lancés là-dedans pour souffrir, s'ennuyer et accumuler les problèmes (rires)... Oui, plus sérieusement, il y a un côté rêve de gosse à travailler sur ce type d'histoire ! Et l'envie d'aborder ce genre était là depuis longtemps, plus encore chez Ralph que chez moi...
Ralph Meyer : L'envie était là, mais personnellement j'ai l'impression que je me suis, inconsciemment, interdit de la concrétiser. À première vue on ne s'en rend pas vraiment compte, mais c'est très compliqué, un western... Et je pense qu'Undertaker arrive, pour Xavier et moi, au bon moment dans nos carrières.
Xavier Dorison |
XD : On a eu, tous les deux, enfants, nos panoplies de cow-boys, et puis on a découvert ça dans les salles de cinéma, les duels, les cavalcades... les grandes composantes du western, en fait. Et ça s'est niché sur l'étagère à souvenirs... Mais comme le dit Ralph, il s'agit d'un genre difficile. Au niveau du dessin, il y a les chevaux, et toute une gestuelle bien particulière, et côté scénario on ne dispose pas d' « effets spéciaux », de mystères, tout se construit sur des conflits de personnes ! Il me semble qu'il nous fallait avoir atteint une forme de maturité dans notre travail pour pouvoir aborder convenablement cela.
En même temps, alors que l'on pourrait croire que tout a été fait dans le western, vous y amenez une originalité...
XD : On essaye, en tous cas ! Il fallait travailler sur les personnages, j'ai essayé d'y apporter quelque chose d'amusant, avec des caractères bien trempés...
RM : Graphiquement, c'est un peu un fantasme de dessiner des rochers, des saloons, des chevaux. Le western possède sa propre iconographie, devenue universelle, et je devais me l'approprier au mieux... Mais avec beaucoup de plaisir, et en commençant à travailler sur Undertaker, il m'est arrivé de me dire « woaw, j'ai dessiné mon premier saloon, ou mon premier canyon... »
En associant l'idée de western et de fossoyeur, l'image qui m'est venue à l'esprit est celle du croque-mort dans Lucky Luke, jamais très éloigné de « son » vautour... L'avez-vous croisé en développant votre personnage ?
XD : Il s'agit d'une référence en BD, humoristique celle-là, mais si vous étudiez ce qui existe en western en BD et au cinéma, le personnage du fossoyeur est assez fréquent. Il est cependant très souvent représenté comme quelqu'un de grave et dépressif. J'avais envie de jouer la carte du contraste, d'en faire l'opposé de ce cliché, et donc de construire l'histoire de mon personnage...
Au début du Mangeur d'or, l'Undertaker est un solitaire. On le retrouve accompagné de Rose et de Li à la fin de La Danse des vautours. Ces personnages seront-ils récurrents ?
XD : Pour l'instant, ils sont associés pour le meilleur et pour le pire ! Mais nous ne pouvons vous garantir la viabilité de ces personnages dans de prochaines aventures... (rires)
Le choix du dyptique s'est-il imposé dès le départ ?
XD : Non. Ce qui était clair, c'est que nous ne voulions pas faire d'Undertaker une série « à suite » avec une même intrigue qui s'étalerait sur de nombreux albums. On pense privilégier des récits one-shot. Si l'histoire l'exige, cela devient un diptyque. Mais de toutes manières, c'est l'histoire qui dicte le format.
XIII Mystery, Asgard, Undertaker... comment a évolué votre travail au fil de ces collaborations ?
Ralph Meyer |
RM : Elle s'affine et se bonifie vraiment d'album en album. Notre degré d'exigence grandit, mais il correspond à notre envie commune de raconter les mêmes histoires. Pour XIII Mystery, Xavier avait travaillé seul au départ, et donc il est arrivé avec un projet assez avancé. Par contre, Asgard et Undertaker sont partis d'envies communes. On échange donc beaucoup plus, sur l'ensemble du processus, et ce partage est beaucoup plus agréable.
Ralph, il est impossible de ne pas penser à Jean Giraud en découvrant vos planches. S'agit-il de votre référence en matière de western ?
RM : Il n'y a peut-être pas matière à comparer... Non, si on doit évoquer une forme de filiation, elle est beaucoup plus large. Je crois que mon dessin s'inscrit dans la tradition franco-belge, et pour le western ça part de Jijé, on peut citer Giraud, mais il y a également Rossi, Boucq et beaucoup d'autres...
Graphiquement, quel était pour vous LE défi du western ?
RM : Les chevaux, sans hésitation ! Il s'agit d'un élément omniprésent, ou presque, et qui est tout le temps difficile à dessiner, même si j'ai gagné un peu plus d'expérience avec ces deux albums... Pour les chevaux, je me situe clairement en-dehors de ma zone de confort, mais ça constitue aussi un défi exaltant.
Le nom de la coloriste Caroline Delabie est présent de la même manière que les vôtres en couverture de La Danse des vautours...
XD : Et ce devrait être beaucoup plus fréquent ! L'apport des coloristes est essentiel dans la réalisation d'une BD, il serait temps que chacun le reconnaisse enfin. Imaginez un tableau de peinture, signé par la seule personne qui pose les noirs et les masses, alors que d'autres viennent apporter les nuances, la lumière, toute la richesse de cette oeuvre... Mon exemple est caricatural mais ne pas créditer à sa juste valeur le travail des coloristes revient un peu à ça. Sur d'autres séries, il m'est arrivé de voir des planches d'essai réalisées par différents coloristes, et croyez qu'il existe des différences énormes. Les couleurs créent une atmosphère, mais elles aident aussi, dans une certaine mesure, à la lecture, et le travail du coloriste fait vraiment partie de la réalisation de l'album.
Les deux volets de ce premier diptyque sont sortis cette année, mais combien de temps de travail vous ont demandé, globalement, ces albums ?
XD : La Danse des vautours a du me demander environ 5 mois d'écriture...
RM : Le Mangeur d'or a demandé un an de travail, La Danse des vautours un peu moins, mais il y a eu pas mal de recherches en amont, et un gros mois de travail préparatoire sur les personnages.
Xavier, nous nous entretenions, il y a peu, à propos du Maître d'Armes, aujourd'hui au sujet d'Undertaker, mais hormis ces deux titres, vous êtes très présent en librairie en cette fin d'année...
XD : Avec Comment faire fortune en juin 40, aussi, et le nouveau Kriss de Valnor... Ce sont les hasards des plannings éditoriaux, tout simplement. Je ne travaille pas en me disant que je vais inonder le marché des nouveautés pendant 3 ou 4 mois, heureusement (rires). Je serai encore assez présent en janvier, et puis, après... un peu de calme, c'est promis !
Propos recueillis par Pierre Burssens le 3 décembre 2015
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© Pierre Burssens / Auracan.com
visuels © Meyer - Dorison / Dargaud
photos © Rita Scaglia / Dargaud