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Entretien avec Jean-Claude Götting

"Je ne dessine que les albums que j'écris..."

À Watertown, Philip Whiting coule une vie ordinaire : un boulot dans les assurances, des week-ends de pêche et surtout les muffins de Mr Clarke qu'il dégustechaque matin après avoir fait un brin de causette avec la charmante Maggie Laeger. Mais un beau jour, tout bascule. Mr Clark est retrouvé mort dans sa cuisine, écrasé par une étagère, et la charmante Maggie Laeger s’est évaporée. Quand Philip la retrouve deux ans plus tard, elle est devenue Marie Hotkins et tient un magasin d’antiquités à Stockbridge. Elle feint surtout de ne pas le reconnaître. Philip décide alors de mener sa propre enquête.

Jean-Claude Götting signe avec Watertown un polar éloigné des modes, construit sur une enquête et son ambiance plutôt que sur l'action ou la violence. L'auteur nous immerge dans l'Amérique des années 60' et on emboîte volontiers le pas de son personnage principal sans soupçonner où il nous conduira. Dessiné d'un trait épais, Watertown ne manque pourtant pas de finesse. On en parle avec son auteur, Jean-Claude Götting.

Alors que les polars actuels sont souvent synonymes d'action ou de violence, Watertown prend presque le contre-pied de ces tendances... Pourquoi avoir opéré ce choix narratif ?

Mon style de dessin est peu compatible avec ce genre de choses, il convient mieux à l'exploitation d'aspects plus psychologiques, et personnellement c'est ce qui me plaît, la recherche, l'enquête... La narration prend son temps, on suit l'enquête, on découvre en même temps que Philip Withing. La narration s'est construite progressivement, avec le sujet. Je suis également attaché à cette époque qui, elle aussi, correspond à mon type de dessin. Mon trait est épais, j'ai besoin de choses structurées, je ne rentre pas vraiment dans les détails. Dessiner un costume me semble facile, mais pas deux blousons superposés et un jeans qui descend... J'ai plutôt tendance à dessiner des hommes en costumes et des femmes en robes. Ce sont des formes très nettes. Et puis, les USA constituent un univers graphique que j'aime bien, visuellement, avec des aspects qui se sont imposés dans la culture universelle.


photo © Manuel Braun

En lisant Watertown, et peut-être est-ce dû à votre large utilisation des narratifs ou à la structure en chapitres, on ne peut s'empêcher de penser qu'il aurait pu s'agir d'un roman...

Mais j'ai d'abord écrit cette histoire sous forme de nouvelle, et c'est ce qui a été présenté, au départ, à l'éditeur en tant que synopsis de BD ! Mais j'aime l'image, je ne me vois pas uniquement écrivain... Pour moi les deux sont complémentaires. Je suis auteur de BD, et cela passe par l'écriture.

Vous êtes également illustrateur, et dans l'album vous privilégiez de grandes cases construites avec soin...

Là aussi, je dois construire en fonction de l'épaisseur de mon trait, de mon type de dessin. Je peins également. Chaque discipline est différente et chacune d'elle permet quelque chose d'autre. La BD me permet de raconter une histoire, la peinture m'offre le grand format, les couleurs, alors que l'illustration pose le défi intéressant de capter l'esprit d'un roman, quand il s'agit d'une couverture de livre, et de le restituer au mieux en un seul dessin.

Un des éléments déclencheurs de Watertown a été pour vous l'achat d'un album de photos d'une famille américaine sur internet... En tant que tel, vous auriez pu trouver là un début d'histoire...

Quelqu'un m'a dit qu'un roman traitait de ce genre d'histoire. Mon objectif, avec l'achat de cet album de photos sur ebay, était de me procurer une documentation authentique, notamment pour les décors. Je voulais éviter ce que l'on trouve souvent dans les films, ainsi que les clichés des grands photographes. Je disposais de cet album et d'un début de scénario.

Combien de temps vous a demandé la réalisation de Watertown ?

Depuis l'idée première ? Celle-ci est ancienne, une phrase, un personnage qui disparaît... un indice de culpabilité... C'est ancien, mais j'avais mis ça de côté. Quant à l'écriture, je ne pourrais pas la quantifier. Mais la partie dessin, depuis le crayonné, a dû me prendre environ 8 mois.

Votre bibliographie comporte quelques collaborations, mais vous travaillez essentiellement seul...

Je n'ai rien contre les collaborations, mais à deux conditions : l'univers de la personne avec laquelle je travaille doit pouvoir rencontrer le mien et je ne dessine que les albums que j'écris. La réalisation d'une BD est longue et fastidieuse, particulièrement son dessin. Je ne pourrais pas ne me consacrer qu'à cette partie du travail sans avoir eu le plaisir de l'écriture.

L'ambiance et le type d'histoire de Watertown pourraient-elles aboutir à une série ?

Je n'y ai pas pensé, mais je ne crois pas. Je ne trouverais pas cela intéressant, et puis mon personnage est grillé, à l'issue de l'album. En plus, j'aime changer d'univers, de registre. L'idée de série, en elle-même, ne m'a jamais attiré.

Vous avez plusieurs fois évoqué votre dessin, l'épaisseur de votre trait. Quelle est votre technique ?

Il s'agit d'une vieille recette mise au point voici 30 ans pour Futuropolis. Je dessine les personnages et les décors et je trace leurs contours en noir, au pinceau. Je crée ensuite des trames grises avec un petit rouleau à gouache, en insistant plus ou moins en fonction des endroits et de l'effet recherché. Puis je module mes lumières à la gouache blanche, avant de travailler les couleurs. Au final, le processus est assez difficile à déceler, et à définir pour celui qui ne le connaît pas.

En tant qu'illustrateur vous avez réalisé les couvertures françaises de Harry Potter. Quel regard portez-vous sur cette participation, même lointaine, à ce qui est devenu un phénomène ?

C'était rigolo à faire, même si ça ne représente que 7 ou 8 dessins sur une dizaine d'années. C'était amusant de voir le phénomène grossir et grossir d'un volume à l'autre ! Et cela revêt maintenant un aspect un peu... « historique », ce genre de chose n'arrive pas tous les ans !

Travaillez-vous déjà sur un autre projet BD ?

Pas vraiment. Pour l'instant je donne priorité à la peinture. J'expose à la BRAFA (Brussels Arts Fair) du 23 au 31 janvier. Côté BD, il y aura une histoire - courte - pour Pandora, la revue que Casterman devrait lancer en février. Mais j'ai besoin d'alternance. Il existe un grand écart entre peinture et BD, et la peinture me permet, en quelque sorte, de m'aérer. 8 mois jour après jour sur une BD, c'est épuisant. Mais la peinture permet aussi, parfois, de raconter une histoire. J'y reviens régulièrement !

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Pierre Burssens
20/01/2016