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Entretien avec Cédric Babouche

"J'ai dessiné l'album de la manière la plus logique pour moi
et la seule que je connaisse..."

Le lieutenant Katz et ses soldats ne sont pas des lâches. Combattants aguerris, ils ont souvent surgi de leur tranchée pour charger sous la mitraille. Mais aujourd'hui, ils en ont assez. Ils décident de déserter pour se rendre ensemble à Paris et déposer une pétition au parlement au nom de leurs frères de bataille. Commence alors le plus beau et le plus désespéré des périples...

Avec Le Chant du Cygne, road-movie zigzaguant entre tranchées et trous d'obus, Cédric babouche, jusque-là essentiellement actif dans l'animation, effectue une entrée remarquée en BD. En effet, ce n'est pas tous les jours qu'un nouveau venu pousse les portes de la prestigieuse collection Signé du Lombard, même associé à des scénaristes chevronnés (Xavier Dorison et Emmanuel Herzet). Le tome 1, Déjà morts demain, avait été bien accueilli, et le second volet de cette épopée, intitulé Qu'un seul nous entende, vient de paraître. Cédric Babouche l'évoque pour nous son itinéraire et cette nouvelle expérience dans la BD.

Votre carrière étant davantage tournée vers l'animation, qu'est-ce qui vous a amené à la BD ?

Ma rencontre avec Xavier Dorison a été déterminante. Nous nous sommes rencontrés à l'école Émile Cohl ou j'enseignais en même temps que lui. Vu que l'école est à Lyon et que nous sommes tous deux Parisiens, il nous arrivait de discuter longuement dans le TGV. Il savait que je souhaitais faire de la BD à un moment ou un autre, nous appréciions nos travaux respectifs. Ce n'était qu'une question de temps et de projets. Quand il m'a présenté le projet, l'addition "Dorison + Lombard + collection Signé" était difficilement refusable pour un premier album !

Comment s'est construit votre travail et la collaboration avec Xavier Dorison et Emmanuel Herzet ?

L'ensemble coule tout seul. Emmanuel et Xavier écrivent puis Xavier fait un prédécoupage écrit assez précis. Parfois, il crobarde une mise en place pour certaines planches. Je récupère l'ensemble et me l'approprie. Rien n'est gravé dans le marbre. Je peux proposer d'autres choses. Par exemple, les 3 premières pages de l'album étaient regroupées en une. C'est moi qui ai proposé cette entrée plus dure en l'étendant sur 3 avec Morvan et ses hommes, dans un sale état après l'explosion de la station essence. On avait fini le 1er tome sur une note bucolique avec Pat et Katz qui partaient dans un beau paysage luxuriant. Il fallait poser la dureté du second tome. C'est pourquoi j'ai proposé à Xavier et Emmanuel une entrée plus contrastée dans Qu'un seul nous entende. Ce qu'ils ont accepté. Ensuite, je fais le découpage de tout l'album. J'aime l'espace. C'est pourquoi, à la différence du 1er tome, ils m'ont laissé des pages libres que je pouvais exploiter où et comme je le souhaitais. Gauthier, notre éditeur, m'a accordé d'autres pages, quand c'était nécessaire, afin d'affiner la narration. Une fois ce découpage validé, autour d'un bon déjeuner avec Xavier, je me lance dans l'encrage et la couleur. Ils me laissent beaucoup de liberté par la suite. J'ai quelques remarques qui me font râler mais c'est toujours bienvenu et étayé !

Quel était pour vous le principal défi en entamant ce diptyque ?

Je ne suis absolument pas fan de la BD historique ni de l'Histoire en général. Je peux m'y intéresser mais cela ne me passionne pas plus que ça. Cet album était donc un défi. Il fallait que je me frotte à un univers différent de ce que je peux faire en animation. J'ai mis un certain temps à me documenter (livres, vidéos et sites internet spécialisés), c'était assez effrayant au début puis, petit à petit, je me suis pris au jeu. 

Traiter un tel thème dans un style semi-réaliste vous permettait-il davantage de liberté ?

Déjà morts demain était mon 1er album. Je me suis mis un peu de pression tout seul et la seule zone de confort que j'avais, c'était mon dessin. Le style de l'album correspond à ce que j'aime faire. J'ai donc dessiné l'album de la manière la plus logique pour moi et la seule que je connaisse. Réaliste ou semi-realiste, je ne me suis jamais posé la question. J'avais déjà beaucoup de défis à relever pour ne pas, en plus, trop expérimenter artistiquement même si tout faire en couleur directe était déjà bien osé selon certains de mes collègues. 

Quel parallèle peut-on tracer entre l'animation et la BD, et que vous apporte une discipline par rapport à l'autre ?

Quand on me demande ce que je préfère entre les 2, je réponds souvent que j'ai besoin des 2. L'animation nourrit mes pages par mes connaissances en narration, découpage cinématographique, lumière et couleurs et la BD nourrit mes compétences de réalisateur en éprouvant ces mêmes techniques tout en travaillant énormément mon dessin. Faire des centaines de dessins et croquis pour la BD a énormément apporté à mes compétences de dessinateur en animation. 

Votre expérience dans un domaine peut donc  influencer votre manière de travailler dans l'autre...

Oui. Tout à fait. Quand j'ai commencé le 1er tome, je me lançais également dans la réalisation d'un film d'animation, Houdini, pour France Télévisions, la RTBF et la VRT. J'étais donc très pris. 3 jours sur le film et 2 jours pour la BD par semaine pendant 1 an et demi. Pour y arriver sans perdre de temps, j'ai décidé d'utiliser dans la BD certaines techniques que j'utilise en animation dans la création de décors. Le trait était numérique sous Photoshop, imprimé sur papier aquarelle pour la mise en couleur puis le trait était remonté après scan sur Photoshop à nouveau. Cela me permettait de ne pas perdre mon tracé si je me ratais en couleur et, surtout, d'avoir la main sur la colorisation de mon encrage. Je pouvais le recolorer en fonction des ambiances. Mon trait n'est jamais noir. Un peu comme dans certains films d'animation. 

Alors que de nombreux dessinateurs privilégient le numérique, vous vous attachez à une technique particulièrement exigeante : l'aquarelle. Pouvez-vous nous en parler ?

Je fais de l'aquarelle depuis que j'ai 14 ans. C'est un médium que j'adore et que je connais bien. J'aime les accidents qu'il peut engendrer et qui apportent beaucoup de personnalité à une planche. On doit faire avec et finalement on y gagne beaucoup. De plus, je vais bien plus vite avec un pinceau en main que sur tablette. Pour moi le crtl+Z (undo) est la plus belle création sur ordinateur, car elle permet de faire et refaire, mais aussi la pire car elle enlève une grande part de spontanéité. Je peux, ainsi, mettre 1 journée pour faire une planche sur Photoshop, alors que je peux en faire 3 voire 4 dans les bons jours en aquarelle (ce que je m'empêche pas de la retoucher numériquement à la fin). J'aime aussi le contact du papier et avoir ma planche entre les mains à la fin. C'est mon petit plaisir égoïste. C'est donc un choix artistique, personnel et logistique. 

En vous suivant sur Facebook, on découvre que vous continuez à dessiner et peindre même en vacances. Une passion, un besoin ?

Les deux ! Aller peindre dans la nature, c'est se balader, observer tout. De la lumière à travers les feuillages, la forme des nuages jusqu'au petites pousses de mousse à la base d'un arbre. Une belle maison se dessine grâce au ciel et aux arbres autours. L'observation améliore mon dessin, nourrit mes réflexions d'auteur et me rend heureux.

Question très "terre à terre", comment faites-vous, pratiquement, pour mener toutes vos activités en parallèle ?

En animation, j'ai de vrais automatismes avec mes partenaires. Ils me connaissent bien, que ce soit dans mon approche artistique ou dans ma capacité de travail. Comme je le disais plus haut, je passe de l'animation à la BD en divisant ma semaine en fonction. Cela se règle selon l'importance de chaque projet. En ce moment, je ne fais que de l'animation mais cela va changer à partir de mars avec un nouveau projet au Lombard. Mais globalement, je dirais juste que je suis malheureux si je ne fais qu'une chose. Je suis un boulimique de travail et, du coup, j'aime bien pouvoir faire plusieurs choses en même temps.

Pouvez-vous déjà évoquer Mitsuo, votre projet BD scénarisé par Jérôme Hamon ? Son univers semble totalement différent de celui du Chant du Cygne...


Mitsuo, travail en cours (scénario Jérome Hamon)
© Babouche - Hamon / Le Lombard

Mitsuo est un superbe projet, un one-shot de 80 pages pour Le Lombard, que m'a proposé Jérome. Une histoire très humaine sur une mère que va tout faire pour sauver son fils, qui est enfermé dans une forme d'autisme, jusqu'aux limites de la folie. Je ne peux pas en dire plus mais malgré le thème, nous souhaitons rester léger, drôle et lumineux. Graphiquement, ce sera toujours de la couleur directe. L'univers est ancré dans une réalité et période proche de la nôtre mais matinée de pleins d'influences culturelles différentes, un peu dans l'esprit du film d'animation Amer BétonC'est effectivement très différent du Chant du cygne. J'aime bien changer et me donner de nouveaux défis.

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Pierre Burssens
27/01/2016