Entretien avec Mathieu Reynès

"C'est LA série que je rêvais de dessiner depuis très longtemps..."

Lorsque la jeune Harmony se réveille, amnésique, dans une cave inconnue, l'adolescente ne dispose que de peu d'informations pour comprendre sa situation : le nom de son logeur, de mystérieuses voix dans sa tête et... un don nouveau pour la télékinésie. Mais il va falloir que sa mémoire se débloque  pour affronter les dangers qui la menacent... Le mystère et le fantastique sont au menu de Memento, premier tome d'Harmony, la nouvelle série de Mathieu Reynès.

Tantôt scénariste (La Mémoire de l'eau), tantôt dessinateur (Alter Ego, La Peur géante), celui-ci se lance pour la première fois dans un projet solo. Avec une intrigue prenante et originale, une prépublication remarquée dans Spirou et une belle visibilité assurée par l'éditeur, le charme étrange d'Harmony a tout pour agir. Mathieu Reynès évoque pour nous ce projet longuement mûri et enfin concrétisé.

Comment est née Harmony ?

Harmony est née de la fusion de plusieurs projets qui tournaient autour des mêmes thèmes : l'adolescence, le paranormal, les mutations génétiques, l'équilibre des forces, etc. J'ai écrit le scénario en 2012 mais je travaillais alors sur Alter Ego et La peur géante et il m'a fallu attendre 2 ans avant de pouvoir m'y mettre réellement.

Quand on découvre certains de vos anciens dessins, on a l'impression que vous portiez cette idée depuis longtemps...

Les premières ébauches d'Harmony remontent à 2006, je n'avais alors ni l'histoire ni le nom du personnage mais j'avais déjà en tête une adolescente aux pouvoirs de télékinésie. J'ai toujours été fasciné par les phénomènes paranormaux, quand l'impossible se réalise. Harmony n'est pas pour moi qu'une nouvelle série, j'y ai mis beaucoup de moi, mes références, mes influences, mes craintes et mes fantasmes. C'est LA série que je rêvais de dessiner depuis très longtemps.

Comment la définiriez-vous   ?

Je dirais que le tome 1 est plutôt intimiste et fantastique. Les autres tomes seront plus axés vers le fantastique mais je tiens à conserver une base réaliste, je ne veux pas aller vers du fantastique pur ou de la science-fiction. J'aime quand le surnaturel n'est qu'un grain de sable dans les rouages du réel.

Qu'est-ce qui vous a conduit à réaliser un projet totalement en solo, dessin et scénario ?

Avant tout l'envie de raconter une histoire que j'aurais aimé lire. Avec La Mémoire de l'eau, j'ai vu que j'étais capable d'écrire un scénario long et pas seulement des gags ou des histoires courtes comme j'avais fait jusque-là. Après quelques années à travailler en équipe sur Alter Ego, je crois que j'ai eu besoin de "m'isoler", de me retrouver seul aux commandes. Et puis, à presque 40 ans, je me suis enfin senti prêt à me lancer.

En la découvrant en prépublication dans Spirou, j'ai pensé aux pouvoirs de certaines héroïnes de Stephen King (Carrie, Charlie...), s'agit-il d'une de vos références ?

Je pourrais difficilement le cacher en effet ! Ce sont mes lectures d'ado et elles sont sans doute à l'origine du projet. À cette époque, j'ai dévoré tous les romans de Stephen King, j'aimais cette façon qu'il avait d'amener le fantastique et l'épouvante "à la campagne", beaucoup de ses romans se déroulant à Castle Rock, un petit village imaginaire du Maine. J'aimais aussi sa narration très lente qui prend le temps de présenter et faire vivre les personnages. Je dirais que ces 2 romans et les mangas Dômu et Akira d'Otomo sont mes principales références pour Harmony.

Dans ce premier tome, comme dans La Mémoire de l'eau ou, récemment, Bahuni, histoire courte publiée dans Spirou, vous construisez une histoire sur très peu de personnages. Est-ce pour mieux creuser leur personnalité, leur psychologie ?

Oui, je me sens plus à l'aise avec peu de personnages parce que j'aime les faire vivre et leur donner de la personnalité. Je préfère gérer peu de personnages et prendre le temps de les développer de les rendre plus complexes que de simples figurants. Dans la suite d'Harmony, d'autres personnages vont arriver et densifier le récit, les tomes 2 et 3 seront très différents de ce premier album.

De nombreuses mettent en scène Harmony, seule ou avec Nita, dans la cave de sa maison. Comment fait-on pour ne pas se répéter et lasser le lecteur dans un décor aussi "fermé" ?

C'est un peu le but d'être répétitif pour justement faire ressentir au lecteur cette sensation d'enfermement et d'ennui. Je voulais qu'il vive cet isolement comme Harmony. Du fait qu'il cherche lui aussi à comprendre ce qui se passe et ce qui arrive à Harmony, je pense (j'espère) que le lecteur n'a pas le temps de se lasser. La séquence de la cave ne dure qu'une dizaine de pages sur un album de 54. Bon, ok, il y a quelques pages dans un grenier après ! (rires)

Le tome 2 est déjà annoncé pour septembre, s'agit-il d'une volonté de l'éditeur pour "lancer" la série ou cette cadence se poursuivra-t-elle à l'avenir ?

On voulait effectivement un premier cycle (3 albums) qui sorte en moins de 2 ans pour que le lecteur n'ait pas trop à attendre entre chaque album, d'autant que les albums se répondent, ce n'est pas une chronologie linéaire. Le tome 1 est assez énigmatique et nécessitera la lecture du 2 pour bien le comprendre. Je place beaucoup d'indices qui ne prendront sens qu'en ayant lu la suite. Pour le cycle suivant, on reviendra sans doute à un rythme plus classique d'un album par an.

Avez-vous déjà un nombre de tomes défini pour Harmony et disposez-vous d'un synopsis global ?

Les 3 premiers albums sont écrits. Pour la suite, j'ai différentes pistes possibles, j'attends de voir l'accueil et les retours des lecteurs avant de décider celle que je vais suivre.

L'album sort en 2 versions, classique et "luxe", ce qui est rare pour un tome 1. Un plus ?

Je préféré parler d'édition spéciale ou limitée, je n'aime pas trop le terme "luxe" parce qu'on est loin d'un tirage de tête hors de prix. L'idée de départ était de sortir l'édition limitée pour Noël 2015, quelques semaines avant l'édition classique mais au vu des très nombreuses sorties d'albums en fin d'année, l'éditeur a préféré ne pas prendre le risque de noyer ce tome 1. Finalement, les deux éditions paraissent en même temps. J'ai tenu à ce que l'édition limitée contienne, en plus d'un cahier d'illustrations et de dessins préparatoires, les 6 premières pages du tome 2 en guise d'avant-goût.

Les lecteurs de La Mémoire de l'eau, ont, généralement, vraiment aimé et été touchés. Vous attendiez-vous à un tel accueil ?

Absolument pas ! Je l'espérais évidemment mais comme c'était mon premier scénario je ne savais pas du tout à quoi m'attendre, j'étais vraiment inquiet de l'accueil que nous ferait le public... et je le suis encore plus avec Harmony !

Vous aviez défini, graphiquement, les personnages d'Alter Ego. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur cette aventure, son "studio virtuel" et son interruption abrupte ?

Houlà ! Sujet sensible ! ;-) Je suis vraiment déçu que la série se soit arrêtée ainsi après 2 saisons et malgré de bonnes ventes et des lecteurs enthousiastes. J'avais de toute façon décidé de ne pas poursuivre l'aventure pour pouvoir me consacrer à Harmony mais tout était en place pour qu'une saison démarre... et puis non. J'ai du mal à comprendre comment on en est arrivé là, c'est vraiment dommage. Néanmoins je garde un très bon souvenir de cette expérience de travail en équipe et entre amis, j'ai appris énormément et ça m'a permis d'acquérir la confiance d'éditeurs pour faire d'autres choses aujourd'hui.

Vous avez déjà exploré de nombreux genres de BD, de récits... Hormis Harmony, y'en a-t-il un autre auquel vous aimeriez vous essayer ?

Je commence tout juste à plancher sur un nouveau projet avec Valérie Vernay, c'est encore trop tôt pour en parler mais j'aimerais sortir du format classique franco-belge et partir vers une pagination et une mise en page plus libre type "roman graphique".

Propos recueillis par Pierre Burssens le 26 janvier 2016
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© Pierre Burssens / Auracan.com
visuels © Reynès / Dupuis
photo © D.R. / Dupuis