Auracan » Interviews » Entretien avec Nathalie Van Campenhoudt

Entretien avec Nathalie Van Campenhoudt

« Hubert Reeves était un peu sceptique au départ,
et finalement il a été conquis par cette collaboration »

Faire comprendre le monde en BD, telle est l’ambition de La Petite Bédéthèque des Savoirs, nouvelle collection au Lombard. Ses 4 premiers volumes, présentés en avant-première à la Foire du Livre de Bruxelles, viennent de sortir et donnent un bel aperçu de la diversité des sujets évoqués.

L’Univers, L’Intelligence artificielle, Les Requins et Le Heavy metal se déclinent en d’attrayants petits bouquins  conjuguant sciences et BD, plaisir de lecture et copieuses informations. Chacun est réalisé par un spécialiste du sujet associé à un auteur de BD.

12 titres par an sont d’ores et déjà prévus pour 2016 et 2017, suivant 7 grandes thématiques. Nathalie Van Campenhoudt, éditrice de la collection, nous guide dans cette Petite Bédéthèque des Savoirs, petite peut-être par la taille, mais d’un grand intérêt.

Comment est née La Petite Bédéthèque des Savoirs ?

L'idée de départ vient de David Vandermeulen, qui a constaté que la BD pouvait explorer d'autres domaines que les siens, comme les sciences en général... Des expériences avaient déjà été tentées en ce sens dans le passé, mais rien de systématique, à part La Revue Dessinée, mais cette dernière associe un auteur de BD et un journaliste, alors que La Petite Bédéthèque associe un spécialiste du sujet à un auteur de BD.

Justement, qu'est-ce qui détermine les thèmes abordés, et de quelle manière constituez-vous ces duos ?

David Vandermeulen, directeur de la collection, et moi discutons des thèmes, de sujets dans l'air du temps, plus ou moins médiatisés et qui pourraient rencontrer les préoccupations des lecteurs. Une fois ceux-ci définis, nous essayons de trouver un spécialiste en la matière. L'accord de ce dernier obtenu, on recherche le dessinateur susceptible d'aborder tel ou tel thème et capable de s'accorder avec la personne ressource. Ensuite, il n'y a pas vraiment de règle. Il arrive qu'un dessinateur apprécie tel ou tel spécialiste et ait envie de travailler avec lui. On essaye, en tous cas, de respecter une certaine logique et les affinités des uns et des autres. Nous sommes parfois surpris. On ne s'attendait pas à ce qu'Alfred se propose pour le livre consacré au tatouage. Mais le thème l'intéresse, et il avait envie de travailler avec Jérôme Pierrat.

Quelle est la réaction des spécialistes quand vous leur proposez de se lancer dans cette aventure ?

Il s'agit à chaque fois d'un petit défi, mais ce n'est pas aussi compliqué qu'on pouvait l'imaginer au départ. Je pense que la réputation de la BD s'est améliorée ces dernières années grâce à la diversification de ses thèmes, aux romans graphiques etc. Elle a gagné en crédibilité et généralement notre démarche est bien accueillie, c'est rassurant pour la BD ! Le célèbre astrophysicien Hubert Reeves était un peu sceptique au départ, et finalement il a été conquis par cette collaboration, car il a été surpris des possibilités du média et du résultat obtenu !

Mais quand on connaît Daniel Casanave via Romantica, on ne s'attend pas forcément, non plus, à le voir évoquer l'univers avec Hubert Reeves...

C'est vrai, mais Daniel est quelqu'un de cultivé qui possède aussi une facette poétique, un peu métaphysique, qui pouvait aisément se marier avec la vision de l'univers d'Hubert Reeves.

Les 4 premiers volumes sont sortis récemment, depuis combien de temps travaillez-vous à ce projet ?

Un an et demi, car nous avons programmé la publication de 24 titres sur deux ans, à raison de 3 sorties de 4 titres chaque année. 24 titres, cela signifie aussi 48 auteurs...


L'Univers, par Hubert Reeves et Daniel Casanave (extrait)

En tant qu'éditrice, on peut imaginer que la collection représente une grosse part de votre travail...

Oui, car je dois m'assurer de la régularité des parutions mais aussi travailler sur certains événements. Les 4 albums ont été présentés en avant-première à la Foire du Livre de Bruxelles, et une exposition est consacrée à la collection au Salon du Livre de Paris, la semaine prochaine. Cela prend du temps. La Petite Bédéthèque des Savoirs constitue aussi une des priorités du Lombard pour les années 2016 et 2017, pour son 70e anniversaire, à côté d'événements patrimoniaux. Cela peut surprendre, mais finalement c'est assez logique, car le Lombard, par le journal Tintin notamment, a toujours eu une visée éducative pour la jeunesse.

... et un travail différent de celui que vous effectuez pour un album classique...

Complètement, car il y a chaque fois ce duo à accorder, on doit construire les bonnes équipes. Il y a aussi une part de l'élaboration de la matière à mener, notamment en sélectionnant les infos, parmi tout ce que nous amènent les spécialistes. Là, David et moi devons, d'une certaine manière, fonctionner dans une autre ambiance pour être à la hauteur de la rigueur du contenu, nous devons être vigilants. Parallèlement, David mène un travail de recherche afin de rédiger l'introduction de chaque livre, qui représente une forme de mise en perspective des pages de BD qui suivent. Enfin, je procède à une relecture attentive et aux éventuelles corrections, une étape indispensable quand de nombreux noms, ou noms scientifiques apparaissent, et je pense ici particulièrement aux titres consacrés aux requins et au heavy metal.


Les Requins, par Bernard Séret et Julien Solé (extrait)

Ce dernier diffère des autres dans son traitement. On est moins dans une narration BD avec ses planches, ses cases. Les auteurs ont-ils carte blanche quant à la forme, à leur manière d'aborder le sujet ?

Oui, nous ne désirions pas aller vers quelque chose de standardisé ou d'uniformisé, on laisse donc la liberté aux auteurs de travailler selon une forme qu'ils jugent adéquate au propos. Côté dessinateurs, on essaye de choisir des auteurs complets, afin que ceux-ci s'emparent du sujet, accompagnent et conseillent le spécialiste. Et pour l'instant, nous n'avons eu que des bonnes surprises de ce côté !

On sent que « l'objet livre » a également été très travaillé...

On voulait que La Petite Bédéthèque puisse séduire un public non BD. Il ne fallait pas qu'elle ait, dès le départ, une image cheap. On a conservé un cartonnage BD, mais le petit format constitue un clin d'oeil à d'autres collections de vulgarisation. On espère intéresser des étudiants, des enseignants...  Un public large et de tous âges. Un album va être consacré aux droits d'auteur, on espère qu'il pourra fournir un aperçu de cette matière à des étudiants ou futurs étudiants en droit... On évoque un public ado/adultes, notamment par rapport à certains sujets « adultes », mais d'autres volumes pourraient aussi, par leur thème, intéresser les plus jeunes, comme le livre consacré aux requins...

Vous évoquez un public non BD. Les albums de la collection bénéficieront-ils d'une distribution plus large que celle de la BD ?

Nous allons essayer de toucher davantage de librairies généralistes, et, en fonction des titres, on devrait aussi pouvoir les trouver, par exemple, dans certains musées.

La Petite Bédéthèque des Savoirs, la collection Sociorama chez Casterman, Le Mystère du monde quantique chez Dargaud... Peut-on parler pour la BD de tendance scientifique actuelle, et selon vous, à quoi est-elle due ?

Je pense que c’est une nécessité pour la BD de toujours évoluer. Certaines tentatives ont bien fonctionné, voyez le succès de Quai d’Orsay, et ont attiré un public plus large. Quelqu’un comme Marion Montaigne, qui a réalisé l’album consacré à l’intelligence artificielle avec Jean-Noël Lafargue a connu un succès remarquable avec son blog Tu mourras moins bête ! (mais tu mourras quand même!) repris ensuite en albums. Les mangas ont amené un nouveau public, les romans graphiques aussi, et peut-être la BD de savoir est-elle la prochaine étape. La BD a conquis certains intellectuels et spécialistes par de la non-fiction, et aujourd’hui, oui, la tendance se précise chez certains éditeurs. Notre démarche est à la fois complémentaire et différente de celle de Sociorama, qui ne traite que de sociologie. La Revue dessinée met en avant des enquêtes journalistiques, avec un côté plus éphémère lié à l’actualité. Nous essayons pour notre part de choisir des thèmes dont on parle, mais en prenant du recul par rapport à ceux-ci, en essayant de faire le point sur les connaissances liées à ce thème et en fournissant des clés d’entrée vers celui-ci.

Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
15/03/2016