Entretien avec Alain Henriet
"J'essaye d'être le plus juste possible au niveau des costumes"
Début mai 1945. Une étrange aile volante largue sur New York une bombe qui contient une tonne d'uranium. La ville est complètement détruite. L'oberleutnant Werner Zweiköpfiger, espion US infiltré dans l'aviation allemande, se réveille : ce n'était qu'un cauchemar.
Mais ce rêve, c'est aussi le fantasme d'Hitler et la mission du flugkapitän Hanna Reitsch, l'amie d'enfance de Werner : bombarder New York pour sauver l'honneur du IIIe Reich. Hanna, elle, n'a pas renoncé à mener à bien l'ultime mission du Führer.
Avec Amerika Bomber, récemment publié, c’est un second cycle de 3 albums qui débute pour Dent d’ours. La série de Yann et Alain Henriet , qui met en scène 3 amis d’enfance projetés dans la deuxième guerre mondiale, a bien évolué et incontestablement gagné sa place dans le genre de l’aventure historique. Nous avons rencontré le dessinateur Alain Henriet à l’occasion de ce redémarrage.
Amerika Bomber entame un nouveau cycle de Dent d'ours...
Oui, d'une certaine manière, mais il s'agit bien d'une suite aux trois premiers albums. Au départ de la série, il nous a été difficile de définir un nombre précis de bouquins. Yann a enrichi progressivement son scénario. Ici on est repartis sur 3 bouquins et l'histoire de Dent d'ours s'achèvera avec ceux-ci. Le scénario de Yann est entièrement bouclé et nous avons déjà discuté d'autres idées, mais il est vraiment trop tôt pour en parler.
Quelle est la part historique d'Amerika Bomber ?
Le fonds reste historique et précis. Yann s'inspire du parcours de la véritable Hanna Reitsch, mais peut-être que, cette fois, notre fiction occupe plus de place à l'avant-plan.
Cela vous accorde-t-il davantage de liberté au dessin ?
En dédicace avec Usagi |
Non, pas du tout. Yann, dans la description d'une case, me laisse parfois beaucoup de liberté, mais à côté de cela. J'essaye d'être le plus précis possible en ce qui concerne les uniformes, les armes, les véhicules etc... Au niveau des « wunderwaffen », et particulièrement des avions, rien n'est inventé. Tout ce que nous mettons en scène a soit existé, ou a été construit au stade de prototype, ou a existé sur plan. Certains projets ont été améliorés et concrétisés par d'autres après la guerre, comme les « ailes volantes » américaines, directement inspirées des travaux des frères Horten sous Hitler. Dans le tome 5, on fait appel à quelque chose de bien réel, mais qui a seulement été découvert au cours des années 80' au sujet des nazis.
En tant que dessinateur, quel regard portez-vous sur Dent d'ours par rapport à vos séries précédentes ?
Pour moi c'est clair, il y a un avant et il y aura un après Dent d'ours. Ce projet m'a amené à une grosse remise en question. J'allais travailler avec un scénariste très connu, je me disais, quelque part, qu'il était temps que j'arrête de faire n'importe quoi. Je devais me montrer à la hauteur, le sujet n'était pas particulièrement simple, il était nécessaire de proposer quelque chose de solide. Et puis beaucoup de gens ne me connaissaient pas et ont découvert Dent d'ours via la prépublication dans Spirou. Damoclès, ma précédente série, n'en avait pas bénéficié. Mais au départ, tout s'est joué sur une période de 2 ou 3 mois. Les deux premiers tomes de Damoclès n'avaient pas mal fonctionné, mais les 3 et 4 n'ont pas eu le même succès. Je savais que la série allait s'arrêter. Yann et moi étions en contact pour un essai sur un Buck Danny « vintage », or il s'est avéré que les ayant-droits des créateurs de la série n’étaient pas très chaud pour Yann et ne me connaissaient pas. Le projet est tombé à l’eau, et Yann et moi nous sommes orientés vers Dent d'ours.
Certains épisodes d'Amerika Bomber ont d'ailleurs récemment côtoyé ceux de Buck Danny Classic dans Spirou...
Oui, c'était assez drôle de s'y retrouver ensemble de cette manière, mais voilà, ce sont deux séries différentes...
Vous avez conservé, pour les couvertures de ce second cycle, une construction similaire à celles du premier...
Ca n'a pas été simple de définir la couverture de Max, le premier album de la série. On voulait se différencier de ce qui existait dans le genre, et en même temps créer quelque chose d'aisément identifiable. Pour le premier cycle, les personnages principaux apparaissaient enfants en couverture, cette fois ils seront adultes. On différencie les deux cycles, mais on conserve quelque chose d'homogène. Reste à choisir les autres éléments qui doivent apparaître, ce qui n'est pas forcément évident.
Crayonné planche 4 |
Dès le départ, on a remarqué les couleurs d'Usagi qui contribuent, elles aussi, à caractériser la série...
Et c'est quelque chose qui me fait vraiment plaisir. Il y a peu d’albums dont on souligne l’importance des couleurs quand ils sont chroniqués. Pour Dent d’ours, c’est le cas depuis le début. Au départ, nous voulions nous différencier des BD de guerre existantes, et puis, au fur et à mesure, Usagi a affiné son travail qui, aujourd’hui, s’unifie complètement au dessin. Regardez le résultat sur les scènes de ce tome 4 se déroulant dans la base secrète SS ou encore sur la séquence avec le sous-marin…
Mais depuis l'album Max, votre dessin a, lui aussi, évolué…
Oui, mais ça s’est fait très progressivement. Aujourd’hui, j’essaye vraiment de caractériser beaucoup plus les personnages. J’ai observé des séries de photos de soldats de la Seconde Guerre mondiale, on y voit des rides, des coups… leurs visages sont marqués par la guerre. Pour certains, on pourrait presque parler de « gueules ». Et dans Amerika Bomber, j’ai essayé de retranscrire ça. Certains ont ainsi une sacrée gueule. Peut-être est-ce effectuer un pas en arrière par rapport à une sorte d’académisme du dessin, mais je pense que le résultat est plus efficace.
Vous remerciez plusieurs personnes, en début d’album, pour leur apport de documentation…
Dès le début de la série, j’ai heureusement pu bénéficier de l’aide de spécialistes. René Duculot, du Musée de l’Armée, m’envoyait souvent des remarques concernant des erreurs dans le matériel militaire, les uniformes… Il est, hélas, décédé avant la parution du tome 3. J’ai rencontré Michel Desgagnés voici 7 ans au Canada. Il travaille chez Bombardier et conçoit des cockpits d’avions. Il connaît donc très bien le domaine aéronautique et est passionné par la Seconde Guerre mondiale. Et puis, suite à un drôle de concours de circonstances, Philippe Jarbinet (Airborne 44) m’a fait rencontrer Philippe Gillain, qui compte parmi les plus grands spécialistes belges et européens des uniformes allemands de la Seconde Guerre mondiale. Lui aussi m’a permis d’éviter des erreurs, et de corriger certaines choses. J’ai notamment compris pourquoi il m’était souvent difficile de dessiner un écusson sur un col de veste… et j’ai pu y remédier !
Propos recueillis par Pierre Burssens le 21 juin 2016
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© Pierre Burssens / Auracan.com
visuels © Henriet - Yann / Dupuis
photos © Pierre Burssens
Un merci tout particulier à Alain Henriet pour les crayonnés illustrant cet entretien.