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Entretien avec Tony Sandoval

"Ici, on est très occupé avec le réel !"

Riche actualité pour Tony Sandoval. En effet, Un regard par-dessus l'épaule, porteur de thèmes qui lui sont chers et scénarisé par Pierre Paquet se voit réédité dans la collection Calamar (Paquet) et nominé aux Eisner Awards.

La collection accueille également l'autobiographique et émouvant Rendez-vous à Phoenix dans lequel l'auteur mexicain narre ses tentatives de passage vers les États-Unis, dont la seconde aboutira et lui permettra, à terme, de devenir dessinateur de BD.

À travers une bibliographie déjà importante, Tony Sandoval a développé un style très personnel tout comme sa vision du Fantastique. L'auteur nous en parle.

Vous êtes illustrateur, scénariste, dessinateur, et le fantastique caractérise la plupart de vos créations, selon une approche très différente de ce à quoi nous sommes habitués...

C'est un genre qui me plaît énormément et qui m'attire pour tout ce qu'il permet d'aborder, mais je crois que l'approche « différente » dont vous parlez est certainement influencée par mes origines. En Europe, les choses sont très codifiées et très délimitées aussi. Au Mexique, ce n'est pas comme ça. Tout se mélange plus facilement, et on accorde plus facilement, dans notre culture, une place pour le fantastique dans le quotidien. Les deux peuvent se côtoyer... ou se croiser. Ce n'est pas un souci. Ici on est très occupé avec le réel (rires) ! Le fantastique européen a ses codes, ses sous-genres, et moi je ne l'aborde pas de cette manière, mais plus librement...


Dessinateur et illustrateur...

Les passages de l'enfance à l'adolescence et de l'adolescence à l'âge adulte constituent un autre élément récurrent dans vos histoires...

Oui, car ce sont des périodes-charnières de la vie auxquelles correspondent des découvertes et, avant ça une curiosité. À partir de là, on peut imaginer plein de choses, justement, et c'est intéressant de conjuguer ça au fantastique. On découvre un nouvel âge, une nouvelle période de la vie, celle-ci entraîne de nouvelles possibilités mais aussi des choses à gérer. Comment faire ? Un talent peut devenir une espèce de super-pouvoir, et des problèmes peuvent prendre l'image de démons... J'utilise beaucoup cela dans mes histoires... Parfois, aussi, une histoire en entraîne presque une autre. Certains lecteurs ont trouvé que Mille Tempêtes avait beaucoup de points communs avec Le Serpent d'eau, mais c'est venu de cette manière. Je pense à un troisième récit avec ce type de thématique et d'univers, avant de passer à quelque chose de très différent, car je ne veux pas me répéter non plus.

Souvent, dans vos albums, vous alternez différentes techniques graphiques. Est-ce pour souligner ou renforcer certains éléments de l'histoire ?

Pas vraiment, non. Une foule de choses m'influence quotidiennement dans la vie et, inconsciemment, influence forcément mon travail. On peut parler d'inspiration du moment, mais je m'alimente d'images de différents créateurs et graphistes, certaines me parlent plus que d'autres, tout comme des photos ou de la musique... Je ne me pose donc pas la question. Le choix d'une technique dépend de mon humeur et d'une envie graphique.

Vous vous ménagez beaucoup de liberté en tant qu'auteur complet. Comment avez-vous travaillé comme scénariste sur Les Échos invisibles avec Grazia La Padula ?

C'était logiquement très différent ! Mener un projet seul entraîne des obligations mais procure aussi une sorte de confort. Si quelque chose ne fonctionne pas dans le scénario, on peut revenir dessus ou résoudre le problème au moment de passer au dessin. Quand on fournit juste le scénario, on ne bénéficie pas de ce confort-là. C'était mon histoire, c'était du fantastique mais je n'étais pas seul. Finalement, j'ai essayé d'aborder ça comme un film. On en a beaucoup parlé avec Grazia, elle a amené différentes choses au scénario, on a échangé des idées et c'était enrichissant. Pour le tome 2 elle a à nouveau amené des idées, on a travaillé ensemble sur un story-board et j'ai vraiment apprécié cela. Au fur et à mesure de l'évolution dans le travail, Les Échos invisibles sont véritablement devenus un projet à quatre mains. C'était un plaisir de découvrir ses dessins. Elle a respecté mon histoire, mon univers, et j'aime beaucoup la manière dont elle l'a porté en images. Beau travail !

De votre côté, pourriez-vous à nouveau travailler avec un scénariste, comme vous l'avez fait avec Pierre Paquet pour Un regard par-dessus l'épaule ?

À la condition essentielle que l'on me propose une bonne histoire. Ca pourrait même être quelque chose de plus classique, qui me forcerait à sortir de mon univers. Je vous l'ai dit, j'ai peur de me répéter, et parfois j'aurais envie d'aborder quelque chose de complètement différent. Pour le moment, je pense pas mal à un western, j'ai quelques idées, j'ai entamé quelques recherches de personnages avec des gueules de cow-boys... mais j'hésite encore. J'aime bien le western, mais il y a tellement de choses magnifiques qui ont été réalisées dans le genre. Je suis très admiratif par rapport à cela. Quand je détaille le travail de certains auteurs qui avec 4 ou 5 lignes créent véritablement un espace, une perspective, un décor... J'ai encore beaucoup de boulot pour y arriver !

Vous évoquez la crainte de vous répéter. L'univers de vos albums est sombre. Est-il parfois difficile à porter ?

Parfois, oui, ça me paraît trop lourd, trop noir, j'ai l'impression d'être un peu fatigué de jouer avec cela, j'ai besoin d'un peu d'oxygène... mais ça ne dure qu'un moment.

Mais il y a aussi une forme de poésie dans vos récits...

Les lecteurs me le disent et ça me surprend toujours un peu. Je n'ai pas recherché cela mais j'ai l'impression que c'est arrivé spontanément, dans ma manière de raconter. Alors oui, ça me fait plaisir. J'aime bien raconter, et l'atmosphère est très importante. Peut-être cette poésie naît-elle de cela ? Parfois, je ressens aussi des sensations ou des émotions que j'aimerais transmettre au lecteur. Il y a peu j'ai entendu une musique pour la première fois, et pourtant j'avais l'impression de la connaître. C'était étrange... J'aimerais beaucoup pouvoir faire passer ce genre de sensation à travers une histoire.

La musique était l'un des thèmes de Doomboy, le métal plus précisément...

J'aime ça, tout simplement. Au-delà, la musique m'intéresse car c'est un moyen d'expression, comme un film ou une BD. Doomboy était pour moi un album très particulier, car je l'ai abordé plus comme une sorte de documentaire sur un jeune musicien imaginaire que comme un récit classique. Ce n'était pas un exercice facile mais c'était très intéressant du côté de la narration. Quant au métal, j'en joue un peu pour m'amuser, avec des amis, mais je n'ai aucune prétention dans ce domaine, rassurez-vous ! (rires).

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Pierre Burssens
30/08/2016