Auracan » Interviews » Entretien avec Joan Urgell

Entretien avec Joan Urgell

« En Suède beaucoup de choses sont différentes d'ici... »

Depuis quelques années, suite au phénomène Millénium, les polars et thrillers « nordiques » ont le vent en poupe. Une tendance qui se marque aussi en BD. Sylvain Runberg a signé le scénario de l'adaptation de la célébrissime trilogie de Stieg Larsson, dessinée par Homs et Man. Léonie Bischoff et Olivier Bocquet ont, eux, réalisé La Princesse des glaces et Le Prédicateur, d'après les romans de Camilla Lackberg.

La Suédoise Karin Alvtegen est, elle, considérée comme la reine des thrillers psychologiques. Sylvain Runberg et Joan Urgell ont relevé le défi périlleux de porter son roman Trahie en BD. Le second volet de ce diptyque est sorti récemment, l'occasion de rencontrer son dessinateur, Joan Urgell. 

Par rapport à vos précédents albums (La onzième plaie, Dead Life...), on remarque que vous avez adapté votre trait pour Trahie...

Oui, ça me paraissait nécessaire tant le type de récit est différent. Mes autres albums relèvent du fantastique, et même de l'horreur parfois gore. Trahie a une dimension beaucoup plus psychologique, avec une atmosphère froide. Il s'agit d'une intrigue plus adulte. Je ne pouvais pas aborder cette histoire de la même manière et j'ai essayé d'affiner mon trait. Le résultat est plus dépouillé, mais paradoxalement c'est plus difficile pour moi. Graphiquement, les zombies me semblent plus relaxants (rires !) alors que mon dessin est plus chargé dans ce contexte-là. Pour ce deuxième tome de Trahie, j'ai également été attentif à certaines remarques émises à la suite du premier, notamment les ressemblances entre certains personnages, et j'ai essayé de corriger ce qui pouvait l'être. J'espère que pour les lecteurs cela rendra la lecture de ce tome 2 plus agréable.

Il y a très peu de personnages dans Trahie, et assez peu d'action. Comment fait-on pour mettre en images un récit de ce style ?

Ce n'est pas facile. Chaque personnage a sa psychologie et on doit pouvoir la transmettre par le dessin. Et puis, comme l'histoire est assez statique, qu'il y a, par exemple, parfois, de longues conversations entre les différents protagonistes, il faut veiller à ne pas se répéter, prendre du recul et ménager un maximum de dynamisme dans les changements de plan, dans le découpage. De ce côté, l'expérience acquise par Sylvain Runberg avec Millénium a sans conteste été utile. Mais l'exercice est compliqué !

Les couvertures de Trahie surprennent. Au premier regard on se demande s'il s'agit de photos, ou, pour celle du premier tome, d'un travail à l'aérographe...

Vous abordez quelque chose qui a donné lieu à une petite polémique et qui ne me satisfait qu'à 50 %. Ce sont bien des photographies, et, dès le départ, l'éditeur avait cette volonté d'utiliser des photos pour se rapprocher de la présentation du roman de Karin Alvtegen. J'ai proposé des projets de couvertures - dessinés ceux-là - en cours de route, mais non, l'utilisation de photos semblait bien établie. Mais je sais que ces couvertures surprennent, intriguent... d'ailleurs vous m'en parlez ! Celle du premier tome est vraiment très particulière, dans ces tons de bleu, mais elle a peut-être quelque chose de plus tranquille, même si ce n'est qu'une apparence. Celle de cet album-ci est plus sombre, plus dure. Mais ce contraste correspond à l'histoire qui prend cette fois un tournant beaucoup plus dramatique.

Approche-t-on le dessin de l'adaptation d'un roman de la même manière que celui d'un scénario traditionnel ?

Oui, à partir du moment où on est en confiance avec le scénariste, c'est quasi la même chose. Néanmoins, il est plus délicat d'effectuer certains choix, de prendre telle ou telle direction. On doit respecter l'oeuvre originale et cela implique quand même certaines limites. Je ne pense pas que Sylvain Runberg ait eu, de son côté, la tâche facile, mais comme pour Millénium, il a conservé l'essentiel de l'intrigue du roman. J'ai lu celui-ci, et ça m'a permis de mesurer et d'apprécier le travail qu'il a effectué. De plus, Sylvain n'est pas très directif dans son scénario, il est concis, ce qui m'a m'a laissé une certaine liberté, mais en lisant le roman, en découvrant des descriptions détaillées, comme celle de la maison par exemple, ça a attiré mon attention sur certains éléments et montré la nécessité de me documenter. C'était très important de le faire, car en Suède beaucoup de choses sont différentes d'ici.

Là aussi, on peut imaginer que les connaissances et l'expérience de Sylvain Runberg, qui vit en partie en Suède, vous ont été utiles...

Absolument... Au niveau des couleurs, de l'ambiance, je me souviens qu'il avait attiré notre attention, la mienne et celle du coloriste Christophe Bouchard sur les journées qui, en Suède, sont très longues à certaines périodes de l'année. Nous devions prendre cela en compte pour restituer l'ambiance, le climat de l'histoire. De même, j'avais dessiné des personnages en chaussures dans la maison, et Sylvain m'a demandé de corriger. En Suède, on se déplace en chaussettes ou en chaussons dans son logis... On peut considérer cela comme un détail, mais un détail qui participe au réalisme de l'album.

Vous évoquez les couleurs, or elles sont très particulières...

Je voulais des couleurs froides et Christophe a développé toute sa palette en ce sens. Je suis très content du résultat. Les couleurs apportent beaucoup aux deux albums, plus encore dans le second à mon avis. Et en même temps il y a une belle complémentarité avec le dessin. Bravo Christophe !

Poursuivrez-vous l'adaptation des ouvrages de Karin Alvtegen ou avez-vous d'autres projets ?

Je ne pense pas qu'il ait été question d'autres adaptations de cet auteur. Personnellement, j'aime bien le polar, j'ai aimé travailler sur Trahie, mais je trouve l'histoire un peu lente. Je comprends que les lecteurs apprécient (et je l'espère !), mais pour un dessinateur, quelques scènes d'action sont également très agréables à mettre en scène. Pour le moment, je travaille à nouveau sur Dead Life, j'ai dessiné une dizaine de planches, et puis j'aimerais beaucoup démarrer un nouveau projet. On en a déjà parlé avec Sylvain et une nouvelle collaboration n'est pas exclue.

Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
13/09/2016