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Entretien avec Warnauts et Raives

"Il s'agit d'une période fondatrice
de ce que l'on vit aujourd'hui, à différents niveaux..."

Avec Nouvelle Vague, second volet du diptyque Les Jours heureux, Éric Warnauts et Guy Raives écrivent le mot Fin de ce qui est devenu leur trilogie belge. Cette saga familiale intimement liée à notre Histoire avait débuté avec Les Temps nouveaux, premier diptyque, avant de se poursuivre avec les deux tomes d’Après-guerre.

La publication de Nouvelle Vague se double de celle du premier volume d’une intégrale des Suites vénitiennes, au Lombard également. Une intégrale enfin digne de cette série envoûtante.

Nouvelle Vague, second volet des Jours heureux, conclut ce qui est devenu votre « trilogie belge ». Aviez-vous prévu ce développement en entamant le diptyque Les Temps nouveaux ?

Éric Warnauts : Non, pas vraiment. À ce moment, on savait que Les Temps nouveaux compteraient deux tomes, mais il était difficile de voir plus loin. Nous ne savions, non plus, quel allait être l'accueil du public pour les deux premiers albums... Et puis, en terminant ceux-ci, on trouvait que ce serait dommage de ne pas poursuivre l'histoire de cette famille... dans l'Histoire. Entre-temps, la réédition de L'Innocente est intervenue, et nous avons continué, en couvrant au total une période qui va de 1938 à 1961. Il s'agit d'une période fondatrice de ce que l'on vit aujourd'hui, à différents niveaux. Ainsi on constate, par exemple que de nombreux acquis sociaux ont été gagnés à la fin des années 30', mais que leur mise en application s'est concrétisée après la guerre. Il s'agit aussi d'une période où beaucoup de chose se créent...


Éric Warnauts

Pourtant, à la fin des Jours heureux subsiste beaucoup d'amertume. Vous ne donnez pas l'impression de faire entrer vos personnages dans les « golden sixties »...

EW : Il y a là une question de point de vue. Peut-être évoque-t-on les golden sixties parce qu'on essaye de se raccrocher, comme on le peut, au mode de vie américain, mais les choses méritent d'être remises en perspective. Il a fallu du temps pour se remettre de la guerre, les super-puissances dominent, la France ne se positionne plus comme une grande puissance, la décolonisation intervient, les grandes grèves se déroulent en Belgique... Et ces événements vont en entraîner d'autres...

Comment avez-vous élaboré ce long récit ?

Guy Raives : Ça s'est construit de manière naturelle et très progressive. Le village mis en scène est celui dans lequel je vis, mais qui porte un autre nom. J'ai rencontré pas mal de gens, écouté ce qui s'y était passé là, et ça a nourri notre histoire au fur et à mesure. On a ensuite entendu, dans l'actualité, certaines réminiscences de discours qui en rappelaient d'autres, et peut-être était-ce le bon moment pour évoquer cette période. Comme vous le disait Éric, nous sommes heureux d'avoir pu aller au bout du principe. Nous sommes depuis 30 ans dans la BD, on connaît les contraintes qui peuvent survenir, les grandes sagas n'y sont plus vraiment d'actualité mais je pense que l'on a fait le tour de ce que nous pouvions faire vivre à nos personnages centrés en Belgique. Nous ne nous étions plus lancés dans un projet d'une telle envergure depuis Les Suites vénitiennes. L'ambiance éditoriale était très bonne, et nous sommes vraiment heureux d'avoir pu aller aussi loin dans le vécu de nos personnages. Nous travaillons déjà sur un autre projet, on continuera à y explorer, indirectement, l'histoire du XXe siècle, mais ailleurs et avec des personnages plus jeunes. Rien ne dit qu'un jour nous ne reviendrons pas à l'Auberge des Roches et à ses occupants, mais pas dans l'immédiat, en tous cas.

On mesure, que sur la période évoquée dans les trois diptyques, il y a eu des changements très concrets au quotidien : vêtements, bâtiments, véhicules... Vous avez dû accumuler une énorme documentation...


Guy Raives

GR : Mais on adore ça, et effectuer ces recherches constitue un vrai plaisir. De plus, souvent, quand on recherche quelque chose de précis, on le trouve, mais ça entraîne d'autres découvertes. Cela nourrit aussi nos envies graphiques, et la documentation s'accumule sur des années. On élabore des dossiers, avec des pré-projets, on dispose d'une matière première que l'on met de côté, et on y revient quand le moment nous semble opportun. On pourrait parler de la partie immergée de l'iceberg, mais il s'agit d'une partie très agréable du travail.

On parle aujourd'hui de votre « trilogie belge », mais comment est-elle accueillie en France ?

GR : Bien, vraiment... Au départ nous avions, justement, quelques craintes quant à ce caractère « belgo-belge », mais s'il existe des différences entre cette période en France et chez nous, on peut aussi établir de nombreux parallèles. Les problèmes sociaux, notamment, n'y ont guère été différents. Alors que nous vivions la décolonisation du Congo, la crise algérienne éclatait pour la France, et on pourrait citer beaucoup d'autres choses. Mais l'accueil de la série est bon... autant que celui d'albums « franco-français » chez nous, je pense.

Vous citiez Les Suites vénitiennes, or il s'agit de votre autre nouveauté, puisqu'on les découvre dorénavant sous forme d'intégrale, au Lombard également.

GR : Et j'en suis vraiment très heureux ! Il aura fallu 20 ans pour que cette série bénéficie enfin d'une impression de qualité ! Tout le matériel a été rescanné et voici pour la première fois des couleurs qui correspondent aux originaux ! Les Suites vénitiennes avaient été publiées alors que la revue (À Suivre...) arrivait en bout de parcours. Les albums étaient ensuite passés par des photograveurs et imprimeurs différents, ce qui avait abouti à un résultat assez catastrophique ! À côté de cela, en 20 ans, la technique a énormément évolué et quand je feuillette ce premier tome de l'intégrale, je n'ai pas l'impression que ces planches ont été dessinées et mises en couleur voici deux décennies.

Quel regard portez-vous, aujourd’hui, sur cette série ?

EW : Ça me fait vraiment plaisir de la retrouver via cette intégrale. J’aime beaucoup Venise et dans Les Suites vénitiennes, nous voulions faire de cette ville un personnage à part entière. Venise est propice à raconter différentes choses. Dans Les Suites, il y a évidemment les meurtres, la Venise libertine que l’on connaît grâce à Casanova, mais Venise avait aussi une politique et une gestion particulières, on aborde aussi l’Afrique, les Antilles. Côté couleurs, on voulait s’éloigner de la carte postale. J’ai vécu un orage à Venise, et en quelques minutes on passe du plein soleil à des nuages noirs, un vent qui vient sabler les façades et l’eau qui gorge les briques et prend parfois leur teinte… Les lecteurs pourront redécouvrir la série dans de bonnes conditions. L’intégrale comprendra 3 volumes qui seront publiés dans un délai assez rapproché, et donc l’attente pour avoir l’histoire complète sera assez limitée.


Ex-libris reprenant
un projet de couverture

Justement, depuis vos débuts, avez-vous été confrontés à cet accroissement de la cadence de production demandé aux auteurs ?

EW : Pas vraiment, non. Pour la trilogie belge, nous avons publié un album par an, ce qui correspond aux critères du Lombard. Mais nous avons toujours travaillé à notre rythme, car si nous avons réalisé des albums de 48 ou 50 pages, certains en ont compté 70 ou 120. Ca ne sert à rien d’inonder le marché, c’est notre vision et celle de notre éditeur. Nous n’aurons pas de nouvel album en 2017, notre nouveau projet est prévu pour 2018.

L’Innocente, Les Suites vénitiennes… Pourrait-on voir d’autres titres signés Warnauts et Raives réédités ?

EW : Je n’en sais rien. Il faudrait étudier les possibilités d’en récupérer les droits, cela passe par des discussions entre éditeurs et maisons d’édition… Et puis il faut évaluer l’intérêt ou l’opportunité de reprendre telle ou telle chose. Franchement, je ne sais pas, mais je ne pense pas qu’il en soit question pour l’instant.

 

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Pierre Burssens
26/09/2016