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Entretien avec Jordi Lafebre

"Les Beaux Etes ne nous obligent à rien, mais nous permettent tout."

L'automne est là, mais rien n'empêche de se repencher sur Les Beaux Etés de Zidrou et Jordi Lafebre (Dargaud). On aime la fraîcheur de cette chronique souriante et un brin nostalgique de belles vacances en famille avec leur part d'émotions, de découvertes et...de souvenirs pour le lecteur. On y prend le temps du voyage, en Renault 4 si possible, et on peut même faire étape, juste pour évoquer l'itinéraire avec son dessinateur, Jordi Lafebre.

Avec les 2 tomes des Beaux Etés, on a découvert une BD qui ne relève pas des grands genres habituels. Ni aventure, ni polar, ni western, ni fantastique mais une « simple » chronique familiale. Traiter du quotidien d'une famille relativement classique ne représente-t-il pas, paradoxalement, une difficulté particulière ?

Ca peut parfois représenter une difficulté, mais c'est surtout un très grand plaisir. Par rapport aux genres que vous citez, nous n'avons, Zidrou et moi, pas de codes à respecter. Les Beaux Etes ne nous obligent à rien, mais nous permettent tout. Explorer les relations entre les membres de la famille ouvre énormément de possibilités. On a entamé le travail sur le troisième album, et celui-ci sera plutôt axé sur les relations entre Madeleine, la maman et ses parents à elle... On peut jouer sur un grand choix d'émotions, de sentiments, et puis on a tous été gamins, donc le lecteur peut s'identifier autant aux enfants qu'aux parents...

 

Comment définissez-vous alors, au départ, la direction d'un album ?

On n'a pas de grande discussion avec Benoît (Zidrou). Je pense que nous sommes tous les deux assez ouverts et que chacun peut ressentir ce que l'autre a envie d'aborder comme thème. On travaille beaucoup au feeling et comme il s'agit d'une série qui traite du quotidien, certaines idées peuvent surgir comme ça... On échange pas mal de mails et quand on sent tout les deux que cette idée-là, plutôt que les autres, est la bonne, Benoît la développe.

Dans La Calanque, on nage en pleine carte postale...

On avait envie d'imaginer des vacances familiales parfaites, en les resituant à cette époque, en 1969. Cap au Sud ! avait un côté un peu plus sombre, puisque le couple Mado-Pierre y bat de l'aile, et que ça génère une tension, des interrogations qui transparaissent pendant ces vacances-là. Dans La Calanque, on voulait mettre en scène des vacances parfaites pour tout le monde, avec des rencontres sympas, de beaux endroits... Mais comme, finalement, cette histoire comporte assez peu de rebondissements, ça n'a pas été facile pour le scénariste...

Les 2 albums se déroulent à 4 ans d'intervalle, vous avez dû veiller à faire évoluer le physique des personnages, surtout des enfants...

J'avais beaucoup travaillé sur chaque personnage dès le départ, au moment de les définir pour le premier album, et par rapport aux personnalités établies par Zidrou et, peut-être inconsciemment, j'y ai glissé des aspects un peu plus personnels. Dans Mado, il y a un peu de mon épouse, Nicole est un peu ma soeur, pour Pierre je me suis inspiré de mon père... Je crois que ça me permet de m'immerger plus encore dans l'univers de la famille Faldérault.

Vos personnages sont très expressifs, et parfois, pour les enfants, on a l'impression que vous glissez vers un dessin plutôt semi-réaliste...

Oui, mais traduire en dessin l'esprit des personnages demande beaucoup de travail, et exige de trouver l'équilibre entre le réalisme et quelque chose de plus caricatural. J'ai vraiment effectué un gros boulot là-dessus, les expressions et la traduction des sentiments... Tout doit pouvoir passer, et le lecteur doit pouvoir comprendre et ressentir.

Et Pierre, le papa, est justement dessinateur de BD...

C'est vrai, et là aussi il y a des trucs qui me touchent comme les délais à respecter, gérer les enfants et...le mal de dos. Mais n'oublions pas que Zidrou a quatre enfants, et il doit certainement aussi y avoir une part de vécu dans ses scénarios.

Vous êtes espagnol, or dans La Calanque on fait la connaissance de Pepe Buelo, le père de Pierre, qui évoque la guerre d'Espagne. Ce personnage a-t-il une importance particulière pour vous ?

Mes deux grand-pères ont participé à la guerre d'Espagne. Benoît habite en Espagne et s'est intéressé à ce sujet. Nous y sommes donc particulièrement sensibles tous les deux. Pierre Faldérault est d'origine espagnole et il était donc logique que son père ait vécu cette période. On peut imaginer que ce dernier se soit réfugié en Belgique. Et on comprend qu' il recommande à son fils de ne pas partir en vacances en Espagne, toujours sous la férule de Franco en 1969... Oui, ça me touche, mais il s'agissait presque d'un passage obligé si on voulait aborder un tout petit peu le passé de Pierre. Dans un registre différent, les premières planches de La Calanque permettent de découvrir « son » univers, sa BD western...particulière !

Depuis la couverture de Cap au Sud !, on mesure que vous accordez une importance toute particulière à la lumière...

La lumière est un outil très important pour évoquer et transmettre les émotions du récit. J'y suis très attentif. Si vous parcourez La Calanque, vous verrez que les variations de lumière dans l'album correspondent à celles d'une journée, et que la calanque, justement, la destination de la famille, est baignée de lumière. C'est presque un élément narratif qui vient renforcer l'atmosphère de ce road-trip. La lumière porte les émotions et peut véhiculer des informations de manière très subtile vers le lecteur. Elle a une grande place dans Les Beaux Etés, tout comme la couleur, et assure un rôle assez comparable à celui de la musique au cinéma.

Et s'impose sur vos couvertures au fond blanc...

Une couverture, c'est important mais assez compliqué. Elle doit, selon moi, s'inscrire dans l'esprit de la série, évoquer le sujet sans trop en raconter... Le départ en pic-nic s'est imposé plus facilement pour Cap au Sud ! que la baignade pour La Calanque. Pour le fond blanc, j'ai pensé à des illustrations que j'aime beaucoup de Norman Rockwell, et je trouvais que le climat qu'elles dégagent correspondait assez à celui des Beaux Etés. On poursuivra donc avec le fond blanc, puisque ces deux couverturees-ci ont été appréciées. Et puis, une couverture doit aussi attirer le regard et aider l'album à se démarquer de ses voisins dans un présentoir...

Quand on a découvert Cap au Sud !, il aurait pu s'agir d'un one-shot. L'idée de la série était-elle présente chez vous dès le départ ?

Ah oui, on en avait envie, avec le désir de faire évoluer les personnages, la famille, mais de conserver cet esprit de joie de vivre. On travaille sur le troisième album, mais nous disposons des sujets pour les deux suivants. La condition reste toujours l'accueil du public, mais j'ai appris récemment qu'un quatrième tome était au planning de l'éditeur, donc c'est plutôt bon signe. On veille cependant à ce que chaque album puisse être lu indépendamment des autres.

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Pierre Burssens
10/10/2016