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Entretien avec Gauthier Van Meerbeeck

Une impressionnante « brique » de 777 pages consacrée à La Grande Aventure du Journal Tintin, une mémorable soirée festive, beaucoup de présence à la fête de la BD à Bruxelles et un agenda de séances de dédicaces en Belgique et en France bien rempli pour les auteurs maison... Autant de façons, pour le Lombard, de célébrer 70 ans de bande dessinée. Au-delà de ces éléments labellisés « anniversaire », cette année 2016 s'est structurée, pour la maison fondée par Raymond Leblanc, autour de nouvelles orientations. Nous les évoquons avec Gauthier Van Meerbeeck, Directeur éditorial.

Que représente cet anniversaire pour Le Lombard ?

Premièrement, je dirais qu'il s'agit d'un âge très respectable, mais je crois que symboliquement ce cap renforce une recherche d'équilibre entre notre patrimoine historique, classique, à remettre en avant, et l'éditeur d'aujourd'hui. On peut y voir une opportunité, ce qui nous a notamment permis de revenir sur la très riche histoire du journal Tintin à travers La Grande Aventure du Journal Tintin, un ouvrage d'exception de 777 pages. Nous avons toujours été attachés à ce patrimoine, voyez les intégrales des grandes séries du Lombard, et actuellement on conjugue passé et présent à travers es relances et reprises des aventures de certains de nos héros emblématiques.

Avec des approches différentes. Difficile de comparer le Bob Morane Renaissance d' Armand, Brunschwig et Ducoudray au Corentin de Christophe Simon et Jean Van Hamme...


Bob Morane Renaissance T.2

à paraître tout bientôt...

Vous choisissez, il est vrai,des extrêmes, mais cela illustre notre volonté de ne pas systématiser la démarche, de ne pas lui donner un fonctionnement mécanique. Les Trois Perles de Sa-Skya (Corentin) jouent sur la nostalgie, sur la madeleine de Proust que représente, pour beaucoup, la création de Cuvelier. Quant à Bob Morane, on se rend compte que c'est une série qui, en passant chez différents auteurs, n'a jamais été interrompue. Mais elle n'a jamais été réinventée non plus, et l'équipe actuelle a relevé ce défi. Mais on se trouve dans une démarche qui doit être réfléchie, car un reboot ou la modernisation d'un univers devenu, avec le temps, très codifié constitue aussi toujours un risque. Avec les nouvelles aventures de Ric Hochet de Van Liemt et Zidrou, on se situe quelque part entre les deux tendances, car l'ensemble est très respectueux de la série initiale, mais avec un ton plus actuel, un peu décalé.

Vous évoquez un défi, que dire alors du lancement d'une collection telle que la Petite Bédéthèque des Savoirs ?

J'ai été séduit par l'idée dès que David Vandermeulen et Nathalie Van Campenhoudt me l'ont présentée. Une forme de BD pédagogique a toujours été dans l'ADN du Lombard, un peu oubliée ces dernières années, mais cette collection marque son retour. Là aussi, il fallait pouvoir imaginer l'association d'un spécialiste du thème abordé et d'un auteur de BD, et obtenir un résultat juste d'un point de vue didactique. 12 titres sont publiés en 2016, et 12 autres assurés l'an prochain...

 Comment la collection est-elle accueillie ?

Bien, globalement, pour quelque chose d'aussi nouveau et différent. Certains titres fonctionnent mieux que d'autres, en fonction de leur thème... Ainsi, par exemple, L'Univers, de Daniel Casanave et Hubert Reeves se détache du lot...


Des sujets variés...

Mais Hubert Reeves est un spécialiste assez médiatisé...

Oui, mais cela signifie aussi que la collection touche un public plus large que le public BD traditionnel, et on s'en réjouit.

L'arrivée de romans graphiques dans votre catalogue relève-t-elle de la même volonté ?


Un nouveau roman graphique au catalogue

Du même mouvement, d'une certaine manière ! En effet, on a tendance à oublier que le journal Tintin a accueilli, en son temps, ce qu'on appelle aujourd'hui des romans graphiques, avec à l'époque des auteurs comme Hugo Pratt, Comès... Son contenu était en fait beaucoup plus éclectique que ce dont on se souvient habituellement aujourd'hui. Là aussi, les romans graphiques touchent souvent un public différent. Concrètement, on aimerait redonner au Lombard l'image et la nature d'un éditeur plus généraliste. Il s'agit d'une évolution qui va dans le sens de l'histoire et du marché. Peut-être que cette dynamique aurait dû intervenir plus tôt, mais en tous cas on y travaille.

Cependant, même avec cette orientation, on remarque que vous limitez le nombre d'albums publiés annuellement...

J'ai manifesté ce choix dès mon arrivée, et de 135 titres publiés annuellement, nous tournons aujourd'hui autour des 90. Et, clairement, je voudrais ne plus dépasser 100 titres par an. Ca ne m'intéresse pas de voir 10 logos Lombard sur la table d'un libraire. Personne n'y gagne, ni l'éditeur, ni l'auteur, ni le libraire ni le lecteur. Je préfère y voir une pile d'un album bien mis en valeur. Et je crois sincèrement que l'avenir de la BD passe par une production davantage maîtrisée et que c'est grâce à cela que l'on reviendra à un marché plus sain. On parle de surproduction, mais les maisons d'édition en sont responsables. A côté de cela, la BD n'a jamais été aussi diversifiée qu'aujourd'hui, et la qualité n'a, globalement, pas baissé. Ce sont les proportions qui ont augmenté. Mais les réalités économiques, et du marché sont là, et nous ne pouvons plus nous permettre de les ignorer.

Votre catalogue comporte pas mal de signatures italiennes ou espagnoles. Pourquoi ?


"La" publication exceptionnelle

des 70 ans

Au-delà de la nationalité, il s'agit de signatures de qualité. En Italie, la BD a évolué qualitativement et dépasse de loin, aujourd'hui, les traditionnels Fumetti. Plus généralement, internet a changé la donne. Il est loin le temps où les auteurs amenaient leurs planches chaque semaine au bureau. Il m'arrive assez régulièrement de recevoir des projets envoyés de Russie ou d'ailleurs directement sur mon PC...

Vous saluez ces 70 ans par La Grande Aventure du Journal Tintin, Dupuis développe Groom, d'autres magazines de BD apparaissent, certes parfois timidement... Relancer un magazine serait-il imaginable aujourd'hui ?

C'est la première fois que l'on me pose cette question. Je pense que oui, et la preuve en est justement la bonne santé de Spirou. Mickey fonctionne encore bien aussi. Le titre Tintin appartient à Moulinsart, mais une licence devrait être possible. Mais ce n'est pas à l'ordre du jour ! Ceci dit, je regrette la disparition du magazine en tant que lecteur, mais également en tant qu'éditeur. On a perdu un labo qui permettait de tester certains projets, et qui pour les auteurs avait une dimension formatrice. De plus celui-ci générait un lien avec le public, une dimension appréciable.

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Pierre Burssens
13/10/2016