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Entretien avec Valérie Vernay et Denis Lapière

"Rose ne devait pas être une sorte de super-héroïne !"

Entre fantastique, conte et polar, Rose (éd. Dupuis) nous emmène, délicatement, dans une histoire étrange aux multiples aspects. Au scénario, Denis Lapière est associé à Emilie Alibert, directrice d'écriture sur la série télé Plus belle la vie, alors que le beau dessin de ce triptyque est assuré par Valérie Vernay, que l'on avait découvert avec La Mémoire de l'Eau. Denis Lapière et Valérie Vernay nous parlent de Rose et de son premier tome, Double vie, surprenant mais aussi doucement envoûtant.

Denis Lapière : Le projet de Rose s'est construit en trois temps. Au départ, j'avais envie de raconter l'histoire d'une jeune fille dont le père était détective privé. Je connaissais Valérie et l'idée de travailler avec elle là-dessus était présente. Entretemps survient la fin d'Alter Ego, Mathieu Reynès commence à développer Harmony et me parle de cette idée de faculté de dédoublement, quelque chose qui n'avait, à notre connaissance, jamais été exploité. L'idée m'a plus, j'ai décidé de la creuser et de l'intégrer à l'histoire de Rose. Vient ensuite la rencontre avec Emilie Alibert, qui travaille notamment sur la série télé Plus belle la vie. Je lui parle de Rose, de cette particularité que je voulais incorporer au récit. On a avancé ensemble, en s'attachant notamment au fait que Rose ne devait pas être une sorte de super-héroïne dotée de ce pouvoir particulier, et finalement nous avons embarqué ensemble sur le scénario des trois volets que comportera la série.

Vous travaillez souvent avec d'autres scénaristes...

DL : Effectivement, et j'aime ça. Globalement, je trouve que nos échanges ne peuvent qu'aboutir à un meilleur résultat. Ca enrichit le travail et ça enrichit le scénario, et ça permet aussi d'avancer plus vite et...mieux !

Valérie, vous abordez un univers très différent de  La mémoire de l'eau, avez-vous adapté votre dessin en fonction de celui-ci ?

Valérie Vernay : Pas vraiment, non. Je privilégie quelque chose de naturel, et je ne réfléchis pas très longuement pour savoir si ce que je dessine correspond à tel ou tel genre ou ambiance. Mais pour Rose, il fallait pouvoir pouvoir traduire cette faculté de dédoublement en images. Moi non plus je n'avais pas envie d'en faire une sorte de super-pouvoir, avec un éclair ou un « effet spécial » qui marquerait le moment de ce dédoublement. Or, nous devions trouver un élément graphique suffisamment parlant pour éviter, à chaque fois qu'il se produit, de devoir consacrer 3 ou 4 cases à ce dédoublement. On en a beaucoup parlé puis j'ai testé différentes formules graphiques. J'ai commencé par dessiner Rose uniquement à partir de contours blancs. J'aimais bien ces images, mais ce n'était pas très lisible, et ça n'aurait pas pu tenir sur la totalité de l'album. En plus j'avais l'impression que ça n'exprimait pas vraiment la même chose, c'était trop éthéré. Finalement on a opté pour que Rose conserve ses couleurs, mais que ce soient les décors, les autres personnages qui se transforment, à travers toute cette gamme de gris...

DL : D'une certaine manière, par ce biais, Rose reste elle-même tout en se dédoublant. Elle garde une certaine densité. Et en reparcourant l'album, je reste persuadé que nous avons fait le bon choix.

La toute première séquence de l'album présente d'ailleurs ce don de manière très simple...

VV : Oui, là on est clairement aux antipodes du super-pouvoir, tout se passe simplement et, si je puis dire, très naturellement. On expose cela directement au lecteur, qui va s'interroger et comprendre progressivement ce qui se passe.

La série est prévue en 3 albums, or le nombre de pistes que vous lancez dans Double vie est assez impressionnant...

DL : Nous n'avions pas envie de tirer sur la ficelle. Ce que nous avons envie de raconter doit pouvoir tenir en 3 tomes. Les liens entre tous ces éléments vont se préciser, avec le personnage de Rose pour pivot. En même temps, on va se rapprocher d'elle beaucoup plus. Mais au fil des pages, elle va grandir, se transformer, et cela aura des implications dans le récit. Le passage à l'âge adulte est aussi une des composantes de l'histoire.

Avec une certaine distance, on peut percevoir l'intrigue comme très sombre : des secrets de famille, une enquête policière, des revenants, un cadavre emmuré et vous évoquez même le plus célèbre procès de sorcellerie du Pays basque. Or tout ça passe en douceur, délicatement, aidé par le dessin de Valérie...

DL : Mais parmi tout cela, rien n'est gratuit. Nous n'avons pas réfléchi en nous disant « le dessin est doux, telle ou telle chose passera mieux... », c'est une alchimie qui se crée et voilà ! Quant à la grotte de Zugaramundi et au procès de sorcellerie, on en trouve l'histoire dans les livres consacrés au Pays Basque. Il était tentant d'utiliser ce terreau local, car Valérie habite la région et Emilie est également venue s'y installer. D'autre part, il est vrai que l'histoire peut paraître sombre, mais avec Charly, au début des années 90', je faisais déjà du « young adult » avec des préoccupations narratives dans l'air du temps. Charly passait alors aussi pour très sombre. En littérature ou en BD, de nombreux ouvrages confrontent adolescents et fantastique, or je pense qu'il faut davantage voir dans ce dernier élément l'illustration de tous les questionnements et de l'ambivalence de l'adolescence que... des effets spéciaux. On peut également approcher Rose de cette manière-là !

Une prépublication dans l'hebdo Spirou, c'est important ?

DL : On peut la considérer comme une forme de reconnaissance, avec l'assurance d'un premier regard sur notre travail, et suite à cette parution ça peut favoriser les premiers retours des lecteurs. On cerne un petit peu notre lectorat. Mais Spirou est familial, touche des tranches d'âge différentes, a priori c'est difficile d'évaluer cela précisément.

Le tome 2 de Rose est prévu en septembre, le troisième en 2018... Avez-vous déjà d'autres projets ?

VV : Je me laisse un petit temps de réflexion mais j'ai l'impression que, pour moi,Rose constitue la fin d'un cycle. Rose grandit, moi aussi et je pense que ce qui viendra après sera assez différent. Peut-être pas dans le dessin, mais dans l'approche. Mais j'ai du mal à définir ça...

DL : J'ai beaucoup de choses en cours. La plus immédiate est le nouveau Michel Vaillant, un projet avec Ricard Efa, l'adaptation de Trois fois dès l'aube, un roman d'Alessandro Baricco avec Aude Samama au dessin... et encore pas mal d'autres choses, dont du boulot sur un long métrage.

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Pierre Burssens
10/04/2017