Entretien avec Etienne Willem
"Les années 30’ ont pas mal de choses en commun avec la période que nous traversons..."
Comment passe-t-on de l‘Epée d’Ardenois aux Ailes du Singe ?Après la saga médiévale de L'Epée d'Ardenois, Etienne Willem nous emmène dans l'Amérique des années 30' avec sa nouvelle série Les Ailes du Singe. Entre aventure aérienne, humour et polar, la série séduit et Hollywoodland, son tome 2 récemment publié, confirme toutes les qualités déjà présentes dans Wakanda. A nouveau, l'auteur a choisit d'attribuer à ses personnages des traits animaliers. En parallèle, les éditions Paquet consacrent à Etienne Willem un superbe artbook. Une belle actualité qu'il évoque pour nous.
Je cherchais un sujet qui m’amènerait hors de ma «zone de confort». J’avais envie de me remettre en question, et de m’atteler à quelque chose que, au départ, je n’aimais pas dessiner. Les avions se sont vraiment imposés par rapport à cela. J’avais horreur de dessiner des avions, et puis, petit à petit, en comprenant comment ça fonctionne, ça devient de moins en moins abstrait et voilà…
Dans votre artbook on découvre que Les Ailes du Singe étaient, au départ, un projet avec des personnages humains…
Oui, je l’avais imaginé ainsi, et puis, finalement, c’est en discutant avec Olivier Speltens (L’Armée de l’Ombre ndlr) que je me suis rendu compte que conserver des personnages animaliers pouvait créer une sorte de pont entre L’Epée d’Ardenois et ce nouveau projet. Le côté animalier y ajoute une touche d’originalité. De plus Les Ailes du Singe me permettent de mettre en scène d’autres espèces que dans L’Epée d’Ardenois, où je m’étais volontairement limité à utiliser des animaux d’Europe du Nord. L’époque et l’ambiance de la nouvelle série impliquent quelque chose de plus souple, de…jazzy, de moins hiératique, en tous cas, que le moyen-âge, d’où le choix du singe pour Harry Faulkner, le personnage principal.
Ce qui ne vous empêche pas de faire intervenir dans l’histoire des personnages réels...
Là, je reconnais qu’il s’agit parfois d’un défi ! Je trouvais que le bon chien sympa pouvait convenir à Douglas Fairbanks. Je n’ai peut-être pas gâté Cécil B Demille, mais mon choix correspond à ce que l’on sait du caractère de ce cinéaste. Pour Roosevelt, je pense que ça colle aussi… Dans ce domaine, mon prochain gros morceau sera Al Capone, qui intervient dans le troisième album… A l’inverse, j’ai appris que la célèbre Betty Boop avait, au départ, été imaginée comme un personnage anthropomorphe, plus précisément un caniche.
Harry aurait pu être humain... |
Au vu de récentes sorties, on a l’impression que la BD dite animalière retrouve les faveurs des éditeurs et des lecteurs…
Peut-être, regardez la nouvelle série d’Henri Reculé (Jack Wolfgang– scén. Desberg/Le Lombard)… J’ai l’impression que ça correspond à une forme de mode cyclique, liée à une crise de la société. On a tendance à se tourner vers quelque chose de rassurant…
D’autre part, l’intérêt des personnages anthropomorphes, au niveau du scénario, c’est que le lecteur peut les situer rapidement en fonction de leur physionomie. Tel type d’animal, on connaît un peu son caractère, donc, logiquement, ça doit influencer le personnage… Cela relève de l’imagination collective mais on peut ainsi avancer plus rapidement dans l’intrigue, sans longues présentations, et enrichir et complexifier le récit au fur et à mesure de la progression dans cet univers.
Il existe des ponts entre Wakanda et Hollywoodland, mais chaque album peut être lu séparément. Avez-vous une vision globale de la série ? Comment va-t-elle s’articuler ?
J’imagine les 4 premiers tomes comme une sorte de cycle qui, progressivement, donne une image de ce que sont les USA à cette époque, avec, cependant, quelques changements qui se précisent progressivement. Ceux-ci conduiront à un grand bouleversement et une suite qui relèvera davantage de l’uchronie. Pour le moment, chaque album met quelque chose en place en fonction de cette vision globale. Mais je voulais que chaque album propose néanmoins une histoire indépendante qui puisse être abordée comme telle.
Même si on ne peut parler de réalisme pour Les Ailes du Singe, en découvrant vos planches on peut aussi mesurer la recherche de documentation qui les sous-tend…
Effectivement, j’ai retrouvé beaucoup d’anciennes photos, des vieilles images et pas mal d’anecdotes peu connues quant à cette époque dont on parle finalement assez peu. Tout ça inspire et nourrit Les Ailes du Singe, mais sans volonté ostentatoire de ma part. On n’est pas non plus dans une BD « historique » ! D’ailleurs, hormis pour les avions, les années 30’ ont pas mal de choses en commun avec la période que nous traversons : crise économique, montée des extrémismes, racisme, et un sursaut de moralité qui conduit à une sorte de puritanisme. Le « politiquement correct » n’est pas une notion nouvelle !
Peu après Hollywoodland, votre éditeur a dévoilé l’artbook qui vous est consacré. Que représente-t-il pour vous ?
Au départ, j’étais très circonspect par rapport à ce projet d’artbook. J’ai toujours l’impression qu’on y fouille ses fonds de tiroir pour retrouver de vieux « brols », qu’on y expose son arrière-cour. Mais je comprends que les lecteurs aient envie d’en savoir plus, de découvrir le parcours qui existe derrière les albums, des projets qui n’ont pas abouti… Peut-être que le bouquin peut aussi constituer un catalogue en devenir si des éditeurs étaient intéressés… (rires).
Votre artbook comporte, notamment, des illustrations ayant trait au steampunk (ou rétrofuturisme), un univers auquel on vous sait attaché. N’avez-vous jamais pensé l’explorer en BD ?
Non, pour plusieurs raisons. Premièrement, il s’agit d’un univers et d’un milieu dans lequel je baigne par plaisir, en compagnie d’amis, et je n’ai pas envie de dévier de cela vers du business. Deuxièmement, le steampunk implique avant tout une esthétique, mais chacun en a sa vision, et je n’ai pas envie d’imposer, à travers un récit, ma vision personnelle du steampunk qui peut ne pas correspondre du tout à celle de telle ou telle personne. Une illustration, oui, car elle est purement esthétique et n’impose rien. Mais de là à développer un récit…
"Zeppeline", une héroïne dans l'univers steampunk |
Depuis L’Epée d’Ardenois, on remarque une constante évolution de votre dessin…
Jusqu’au tome 3 de l’Epée d’Ardenois, je travaillais à mi-temps dans l’animation. Deux occupations qui relèvent du dessin mais qui présentent tout de même énormément de différences. Je devais donc jongler avec les deux et passer de l’une à l’autre n’était pas toujours simple. Aujourd’hui je me consacre à temps plein à la BD, ce qui me permet d’expérimenter, d’améliorer, et je pense que cela se ressent. En travaillant à mi-temps en BD, je parvenais à réaliser un album par an, aujourd’hui j’espère donc en réaliser deux. J’ai d’ailleurs entamé, parallèlement aux Ailes du Singe, le dessin d’un album scénarisé par Jack Manini pour la collection Grand Angle des éditions Bamboo. Il s’agit d’une nouvelle expérience pour moi, car être seul aux commandes d’un projet est parfois très compliqué. Avec un scénariste, je peux me consacrer entièrement au dessin, ce qui me permettra sans doute encore d’évoluer et d’affiner ma technique.
Propos recueillis par Pierre Burssens le 6 juillet 2017
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable.
© Pierre Burssens / Auracan.com
Visuels © E. Willem / Editions Paquet
Photos © Jean-Jacques Procureur