Auracan » Interviews » Entretien avec Julien Papelier

Entretien avec Julien Papelier

"Le renouveau de la galaxie Spirou"

Depuis un peu plus d’un an, Julien Papelier occupe le poste de Directeur général des éditions Dupuis. Après 15 années passées chez L’Oréal, il renoue avec une passion qui l’anime depuis son enfance. Nous le rencontrons dans les bureaux de l’éditeur marcinellois.

JP : On ne peut pas ne pas avoir un regard d’enfant sur ce bâtiment, sa fresque Spirou… On se demande s’il a été dessiné sur le modèle des bureaux que l’on découvre dans Gaston Lagaffe ou pas… Mais c’est un univers de création, un peu magique, et tous ceux qui le visitent le ressentent. Quand nous y invitons un auteur, la séduction fonctionne à chaque fois… C’est un honneur de diriger une maison comme Dupuis, et, personnellement, ça me permet en quelque sorte de réaliser un vœu et un rêve d’enfance. J’ai toujours été féru de BD, jeune étudiant j’ai travaillé comme vendeur sur des stands lors de festivals. Aujourd’hui, j’ai un tout autre défi à relever, mais qui me permet de défendre la création, la Culture, le rêve et l’émotion liés à la bande dessinée. Dupuis a une histoire exceptionnellement riche, mais surtout un futur à inventer.

De quelle manière ?

Dupuis s’est imposé, tout au long de son existence, comme un raconteur d’histoires orientées jeunesse et famille en général, avec un réelle recherche permanente de qualité, ce qui l’a amené à séduire et toucher un public très large. La maison a atteint une forme de maturité en fonctionnant ainsi, mais a, parallèlement, oublié un peu de se renouveler. Aujourd’hui, la question que nous devons nous poser est : comment être capable d’intéresser de nouvelles générations ? Plusieurs possibilités s’offrent à nous. Nous pouvons rechercher et valoriser de nouveaux talents et personnages, explorer de nouveaux sujets et formats…  A chaque fois, il est nécessaire de faire preuve d’audace, de créativité…car à chaque fois il s’agit d’un pari. Mais passer par là représente une absolue nécessité pour toucher les enfants et ados d’aujourd’hui. Dupuis compte en son catalogue quelques personnages réputés éternels, mais ils ne pourront le rester que si on dispose de quoi les animer, si on invente quelque chose autour de ceux-ci, si on aborde une autre manière de créer autour d’univers classiques.

S’agit-il d’une nécessité qui s’est amplifiée suite à l’avènement du numérique ?

Complètement ! Le numérique a tout changé. Les familles qui se rendent régulièrement en librairie sont de plus en plus rares, et nous devons prendre en compte cette nouvelle donne. Nous devons déjà l’incorporer dans nos actions de marketing et de communication. Et parallèlement, nous devons trouver un équilibre qui nous permette de faire vivre notre patrimoine et de renouveler notre catalogue tout en conservant notre ADN. Dupuis a toujours été un éditeur généraliste, avec beaucoup de diversité dans ses publications, nous devons respecter cela, mais trouver les moyens de nous renouveler.

Lors d’une interview, Serge Honorez avait comparé Spirou, confié successivement à des auteurs différents et comptant différentes déclinaisons en parallèle - comme Le Spirou de -  aux personnages des comics , partagez-vous cette vision ?

On rejoint le questionnement que nous avons quant à nos héros classiques. Comment donner plusieurs vies à des personnages ? Mais avec une exigence de qualité, de création, et avec un vrai propos. On ne peut imaginer tout et n’importe quoi avec  ces personnages emblématiques, patrimoniaux. Le respect de ce qu’ils représentent, de l’œuvre de leurs créateurs est prioritaire ! En ce moment nous travaillons ainsi sur un livre jeunesse illustré, destiné aux 3 à 6 ans qui mettra en scène le petit Marsupilami. Nous conservons évidemment la série-mère dessinée par Batem, mais d’autres projets conduits par d’autres auteurs pourraient également faire découvrir des approches différentes du personnage. Et nous devons veiller à ce que tous ces éléments soient cohérents entre eux, et avec le Marsupilami créé par Franquin !  Pour Spirou, nous nous sommes posé beaucoup de questions. Emile Bravo a dévoilé sa jeunesse. Yann et Schwartz l’ont associé à un univers bien particulier. Les Spirou de…  signés par différents scénaristes et dessinateurs ont encore enrichi le mythe… Ce sont autant de possibilités qui s’offrent à nous pour continuer à faire vivre des personnages et les rendre attractifs.

 

Le film « live » Le Petit Spirou est annoncé sur les écrans pour la fin septembre et la sortie du film Les aventures de Spirou et Fantasio est prévue au cours du premier trimestre 2018. Ces adaptations s’inscrivent-elles dans une même dynamique ?

Nous investissons dans l’animation, avec, pour cela, les formidables outils que représentent les studios Dreamwall et Keywall, situés juste à côté de nos bureaux. Zomillenium, le long métrage d'animation d'Arthur de Pins qui sortira pour mi-octobre  y a été en partie réalisé. Mais il est vrai que nous devons être pro-actifs sur les propositions d’adaptations cinématographiques. Je sais très bien que certains bédéphiles crient à la trahison. Mais une adaptation n’est-elle pas toujours une trahison ? Un film adapté d’un roman n’est-il pas une trahison de celui-ci ? Peut-on retrouver l’entièreté d’un roman dans 1 h 30 de cinéma ? Non, mais le film est construit sur son univers. Il en est de même pour l’adaptation d’une BD. Et le film ne s’adresse pas spécifiquement aux bédéphiles. A l’heure actuelle, il y a fort à parier que les spectateurs les plus jeunes ne connaissent pas les personnages, et qu’ils les découvriront au cinéma.

Avec un retour possible vers la BD ?

Oui, car cela permet un nouvel éclairage sur les titres. C’est pour cela que l’album du Petit Spirou  la BD du film  sort en septembre, comme ce fut le cas pour l’album hors-série de Tamara. On redit au public que la BD existe, avec une mise en avant dans les librairies et un coup d’accélérateur sur la série concernée. Tout à l’heure vous évoquiez les comics, leurs ventes étaient avant-hier confidentielles en France, et depuis les sorties des séries et films consacrés aux super-héros de Marvel et DC, elles représentent 15 % du marché. (ndlr : depuis la réalisation de cette interview, la sortie sur les écrans du Valérian  de Luc Besson a ramené les albums et intégrales de la série de Mézières et Christin (Dargaud) parmi les meilleures ventes de BD...).

La rentrée est toute proche. Qu’est-ce qui la caractérisera pour Dupuis ?

Pour une grande part, justement, le renouvellement de notre catalogue. J’épinglerais le tome 4 de Dad. La série de Nob, très actuelle, puisqu’elle met en scène un papa moderne face aux difficultés du quotidien avec ses 4 filles d’âges très différent, fonctionne auprès de tous les publics. Il faudra compter sur le deuxième épisode de FRNCK, de Cossu et Bocquet. Le premier album a cartonné et représente notre plus fort démarrage depuis 10 ans. On retrouvera aussi un petit groupe de série que j’appelle des « gazelles », comme Harmony de Mathieu Reynès, Magic 7 de Kid Toussaint avec de nouveaux dessinateurs et, plus tard, Imbattable  de Pascal Jousselin… 

Tous ces titres incarnent le renouveau de la galaxie Spirou. En fin d’année, Yoann et Vehlmann nous offriront un recueil d’histoires courtes autour de Spirou. Et toujours autour de notre personnage emblématique, je vous promets un album vraiment exceptionnel intitulé  Il s’appelait Ptirou. Je suis sûr que l’on en parlera énormément. Il raconte l’histoire du groom qui a inspiré le personnage de Spirou à Rob’Vel. C’est une très belle histoire, un peu à la Dickens, et sur laquelle les auteurs ont effectué un travail très pointu, tant Laurent Verron au dessin qu’Yves Sente au scénario. Dans la collection Aire Libre, on découvrira bientôt Le meilleur ami de l’homme , de Tronchet et Nicoby. Enfin, on retrouvera aussi bientôt Largo Winch, de Francq et Eric Giacometti, dans une aventure qui renouera en quelque sorte avec les premiers albums de la série, un thriller dans le monde de la finance et de l’économie, intégrant de nouveaux dangers venus de l’Est et…du numérique. La rentrée Dupuis sera riche et bien remplie !

Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
28/08/2017