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Entretien avec Mikaël

"J’avais envie d'amener, chez le lecteur, une résonance avec les différents problèmes contemporains liés à l’immigration"

En ouvrant le premier volet de Giant (Dargaud), on ne pouvait que constater combien Mikaël, auteur franco-canadien, avait accompli un pas de…géant depuis la série Promise (scén. T.Lamy – Glénat). Il nous y emmène, comme auteur complet, sur le chantier du Rockfeller Center, à New-York en 1932, en compagnie d’un colosse taciturne, dont le surnom donne le titre à ce diptyque. Nous avons rencontré Mikaël, de passage à Bruxelles. Il nous parle de Giant, de sa création, et des perspectives que lui offrent ces gratte-ciel dessinés.

Quand on découvre vos premiers albums destinés à la jeunesse et Giant, on a presque l’impression qu’il s’agit d’auteurs différents…

Mikaël : Complètement ! Les genres, les styles sont quasi opposés et peut-être y a-t’ il quelque chose de schizophrénique derrière cela (rires) ! Plus sérieusement, Promise m’a permis d’évoluer vers davantage de réalisme, et ce changement de mon dessin se perçoit même d’un album à l’autre de ce triptyque. Quand je revois les planches de Promise, j’ai parfois l’impression qu’inconsciemment je recherchais déjà alors la manière d’aborder Giant, et qu’il constitue une forme d’aboutissement. En BD, j’ai grandi avec mes enfants. Ils recherchent aujourd’hui des histoires plus adultes, et moi aussi (rires) !

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ces grands chantiers des années 30’ ?

Plusieurs éléments sont intervenus. Je vis en Amérique du Nord, et New-York me fascine. J’avais envie de raconter une histoire qui se déroulerait dans cette ville, une envie qui n’a fait que s’accroître quand j’y ai été pour la première fois, en 1999. Je voulais aussi aborder le thème de l’immigration, qui me touche personnellement, puisque j’ai migré au Canada et j’avais envie que cela puisse amener, chez le lecteur, une résonance avec les différents problèmes contemporains liés à l’immigration, qu’il s’agisse de la crise des migrants en Europe ou de la politique de Donald Trump…  Et finalement, ce qui m’a aussi influencé, c’est une statue photographiée au Portugal. Elle représente un émigrant, avec sa valise, et j’ai vraiment eu l’impression d’y retrouver le personnage qui figure en couverture de l’album Là où vont nos Pères, de Shaun Tan (Dargaud), qui raconte aussi l’histoire d’un émigrant. Tout cela m’a conduit vers Giant.

Quand on découvre le titre et la vue de New-York en couverture de l’album, on se dit que le titre, alors qu’il s’agit du nom du personnage principal, pouvait aussi bien désigner ces immeubles et ces chantiers gigantesques…

Oui, mais Giant est un colosse qui, dans sa solitude, lutte contre un vide intérieur. Il se fait passer pour un collègue décédé auprès de sa veuve, une autre solitude, mais quand une relation est bâtie sur le mensonge, les masques finissent par tomber…  Parallèlement, c’est vrai, le chantier est gigantesque, et les ouvriers, comme Giant, construisent sur le vide et contemplent ce vide-là aussi. J’ai voulu jouer sur tous ces contrastes, comme sur les différences physiques des personnages, puisque finalement, Shackleton, qui est le plus proche de Giant est aussi gringalet et bavard que Giant est costaud et taiseux…

Vous décrivez la vie sur le chantier, les conditions de travail et certaines étapes…techniques. Vous êtes-vous spécifiquement documenté sur ces dernières ?

Pas spécialement, non, mais j’ai beaucoup appris lors de mes recherches de documentation plus générales, et j’ai recueilli de nombreuses anecdotes authentiques. N’oublions pas qu’il s’agit d’une fiction, mon but n’était pas de réaliser un album didactique ou documentaire. Quand je montre l’opération du rivetage à chaud, j’en profite pour présenter des personnages, un contexte. Ceci dit, techniquement, ce rivetage à chaud a été pratiqué de la même manière jusque dans les années 70’, où des innovations techniques l’ont enfin fait évoluer. Mais il était indispensable de me documenter. Il existe beaucoup de choses quant à la construction de certains buildings emblématiques, comme l’Empire State Building, mais curieusement, malgré son importance, il semble que le chantier du Rockfeller center ait été très peu photographié. Sur le web, j’ai trouvé uniquement des images du logo. Heureusement, la Délégation culturelle du Québec a ses bureaux dans l’une des tours, ce qui m’a permis d’avoir accès à des archives photographiques constituées pendant 9 ans de la construction. J’ai également trouvé des photos du chantier prises de l’extérieur à la New York Public Library, la plus grande bibliothèque de la ville. J’aurais pu me contenter d’autres images, mais je voulais coller à la réalité de la construction de ces immeubles-là !

Vous avez choisi d’utiliser une palette de couleurs limitée et très particulière… Pourquoi ?

Toutes les images d’époque dont je disposais étaient en noir et blanc ou en sépia. En m’en éloignant, je craignais de desservir l’histoire, puisque la vision que j’en avais était dans ces couleurs. Mon encrage s’y prêtait, et j’aurais presque voulu restituer le grain de certaines de ces photos. J’ai travaillé beaucoup sur mon encrage à l’époque de Promise. Je trouve que c’est ce qui caractérise vraiment certains auteurs, comme François Boucq, Cyril Bonin - surtout sur Fog - ou encore Mathieu Lauffray. J’ai donc tenté de trouver mon propre style, de définir un outil avec lequel je serais à l’aise. J’ai également été influencé par la découverte de l’Ashcan School. Il s’agit d’un style de peinture américain apparu au début du XXe S., lancé par Robert Henri, et qui s’est notamment attaché à la représentation de scènes de la vie des quartiers populaires de New-York. Alors que je commençais à travailler les couleurs, Jean-Louis Tripp me parlait de ce mouvement et m’envoyait un bouquin à ce sujet.


Crayonné de la couverture du tome 2

Aviez-vous, dès le départ, l’idée d’un diptyque pour Giant ?

J’imaginais plutôt un récit d’une centaine de pages, et c’est l’éditeur qui m’a orienté vers cette formule. Comme il existe, de toute manière, une forme de césure naturelle dans l’histoire, y consacrer deux albums s’y prête plutôt bien. Et puis, à plus long terme, ça nous permet aujourd’hui d’envisager une série, composée de diptyques, consacrée au New-York des années 30’.

Chaque histoire serait-elle centrée sur un personnage différent ?

On pourra peut-être retrouver quelques personnages récurrents, mais les personnages principaux seront différents à chaque fois. Le deuxième diptyque tournera autour d’un cireur de chaussures. New-York me fascine, son histoire est très riche et il existe tellement de pistes à explorer…

Avant cela, quand pourra-t-on découvrir le second volet de Giant ?

Il me reste 3 pages à réaliser, et le tome 2 de Giant sortira pour le festival d’Angoulême 2018 !


Encrage de la couverture du tome 2 de Giant

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Pierre Burssens
11/09/2017