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Entretien avec Rony Hotin

"La BD m’a demandé une forme de…sacrifice positif."

Editeur BD bénéficiant aussi d’une solide expertise dans l’édition « Jeunesse » (rappelez-vous Martine !), Casterman conjugue depuis peu ces deux activités en enrichissant son catalogue de BDs plus spécialement destinées aux jeunes lecteurs. Momo, dont le deuxième album est sorti récemment, en fait partie. Scénarisées par Jonathan Garnier, les aventures normandes de l’attachante petite fille ont été bien accueillies tant par la critique que par le public. La preuve : alors qu’un diptyque était initialement prévu, on sait aujourd’hui que la série est appelée à s’enrichir d’un troisième album. De beaux débuts, particulièrement pour son dessinateur Rony Hotin, « storyboarder » dans l’animation pour qui Momo constitue une première incursion dans la bande dessinée. Et sans doute pas la dernière, comme il nous l’a confié juste avant sa première séance de dédicace à la fête de la BD de Bruxelles

Vous travaillez dans l’animation, qu’est-ce qui vous a amené à la BD ?

Rony Hotin : J’ai longtemps hésité entre les deux médias, et entre les deux métiers. Plus jeune, je me rendais souvent au Festival d’Angoulême et, parallèlement, au Festival du Film d’Animation d’Annecy. Finalement, j’ai opté pour l’animation, qui rassemble un large éventail de métiers, et je suis devenu storyboarder, un métier de l’animation, mais relativement proche de la BD. Je pense que Jonathan Garnier observait mon travail, et c’est lui qui m’a proposé le scénario de Momo. L’idée m’a plu, mais j’aborde cet univers avec beaucoup d’humilité. On en a beaucoup discuté avec Jonathan qui, par son expérience chez Ankama, avait notamment pu relever ce qui pouvait constituer des pièges pour quelqu’un débarquant de l’animation dans la BD. Il m’a présenté son projet de manière magnifique, mais j’ai mesuré que je devais pouvoir concrétiser ses intentions. Il m’a assuré de sa confiance, et j’ai commencé à travailler sur Momo.

Concrètement, cela représentait-il, pour vous quelque chose de très différent ?

Complètement ! En animation, on fait partie d’une grande équipe. L’Animation est extrêmement coûteuse, et on ne peut se permettre de perdre du temps. La BD m’a demandé une forme de…sacrifice positif. On est mieux payé en animation, mais la BD offre davantage d’autonomie, de liberté, tout en travaillant dans le même sens que votre co-auteur. Et concrètement, à la fin du processus, on a un livre en mains. En animation, on a son nom, parmi de très nombreux autres, au générique final…et le public doit se déplacer pour le voir ! Il m’a fallu trouver le temps de réaliser le premier tome de Momo, 14 mois en tout, mais l’univers étant posé, et y ayant pris mes marques, le deuxième album a juste demandé 6 mois de travail.

Il s’agit d’une première expérience en BD, chez un éditeur important, et Momo a reçu un bel accueil de la critique et du public…

C’est hyper-gratifiant ! Un peu impressionnant aussi…  J’ai rencontré des enfants, dans ma famille et chez des amis, qui ont lu le premier album et ça me touche beaucoup ! Et là, après les interviews, je vais dédicacer pour la première fois en festival et rencontrer d’autres lecteurs… Je suis impatient d’entendre leurs impressions.  De plus, mon co-auteur et moi avons la chance de travailler avec un éditeur ouvert. Momo était initialement prévu comme un diptyque mais aujourd’hui nous avons le feu vert pour un troisième tome… J’essaye d’imaginer Momo dans 10 ans…qui sait ?

Les séries tous publics ou spécialement orientées jeunesse qui mettent en scène un ou des enfants ne manquent pas. Comment avez-vous procédé pour définir graphiquement votre petite héroïne ?

J’ai eu la chance de bénéficier d’une grande part de confiance de mon co-auteur, et J’ai créé des personnages pour Disney. A partir des notes de Jonathan, des caractéristiques qu’il précisait, l’âge, le côté un peu garçon manqué, ça n’a pas été très difficile…  Par contre les choses ont été moins simples pour ses vêtements. Il y a eu beaucoup de séances d’essayage !

Quant à l’aspect « jeunesse » que vous évoquez, je dirais pour ma part que j’ai toujours eu du mal à définir des catégories. Tous les adultes sont des « anciens enfants », et je crois qu’ils peuvent retrouver dans Momo quelques souvenirs, peut-être un parfum de nostalgie. Sur le fond, mon co-auteur a glissé beaucoup de choses personnelles, et certains personnages sont inspirés de rencontres de son enfance. Mais i y a aussi quelques petits détails qui nous font vraiment plaisir. Et puis, quand on doit traduire l’enfance dans le dessin, on se surprend à faire les mêmes grimaces que les personnages. Ca rappelle des souvenirs. Je me suis revu grimper sur les jambes de mon grand-père…  On doit passer par là si on veut que ça sonne vrai et que le lecteur s’identifie au héros.

Sur la page de dédicace du tome 2, Jonathan cite ses influences, qui, à l’exception du Petit Nicolas de Sempé et Goscinny, sont toutes japonaises. Quelles ont été les vôtres ?

Il y en a beaucoup, et je crois que dans ma génération, de nombreux Européens sont influencés par les deux Cultures. Mais j’ai surtout essayé de trouver ma "patte" personnelle et qui puisse convenir au projet. Je me suis aussi inspiré des décors normands, puisque c’est là que se déroule l’histoire et que Jonathan connaît bien la région. Techniquement, tout a été réalisé en numérique, afin que je puisse rester dans un contexte familier. J’ai tenté d’appliquer certaines choses utilisées dans le cinéma d’animation et différents éléments que d’autres m’ont appris. Mais je tiens à préciser combien j’ai un profond respect pour la BD traditionnelle, encre et papier, et pour ceux qui la pratiquent.

Le tome 2 de Momo présente une dimension plus dramatique que le premier. Cela a t’il influencé votre manière de travailler ?

Tout se trouvait fort justement décrit dans le scénario et je disposais ainsi d’une bonne base de travail. Je devais pouvoir illustrer ce côté plus chaotique. J’ai abordé d’autres cadrages pour les vignettes, et surtout utilisé des couleurs différentes pour traduire l’atmosphère plus sombre de l’histoire.

Quand vous évoquez Jonathan Garnier, vous privilégiez le terme « co-auteur » plutôt que scénariste. Pourquoi ?

Je trouve qu’il traduit mieux la forme de fusion qu’il doit y avoir entre nos apports respectifs. J’ai l’impression que le travail du scénariste n’est pas toujours apprécié à sa juste valeur. Or un scénario peut exiger de nombreuses réécritures, et il faut parfois des mois à un scénariste pour aboutir à la meilleure forme de son récit. Cette appellation est d’ailleurs réciproque du côté de Jonathan.

Vous nous avez annoncé un troisième album de Momo, avez-vous déjà d’autres projets de BD  en tête ?

Rien de précis. Peut-être que j’aimerais me lancer dans un projet solo, pour savoir si j’en suis capable, et tâter de ce que représente, justement, le travail de scénariste. Mais comme a priori Momo va durer au moins 10 ans, je ne manquerai pas de boulot ! (rires). Plus sérieusement, je vous assure que si on atteint le tome 10, je serai vraiment très fier !

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Pierre Burssens
02/10/2017