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Entretien avec Aude Mermilliod

"Dans ce type de récit, il est essentiel que le texte sonne juste."

Ils s’appellent Elsa, Jean et Emile. Trois personnages de générations différentes en quête d’une solution à leurs problèmes respectifs. Un été, en juillet, ils vont se croiser sur la Côte d’Azur. Une rencontre brève mais déterminante que conte Aude Mermilliod dans son beau roman graphique Les Reflets Changeants (Le Lombard). Son projet avait reçu le Prix Raymond Leblanc de la jeune création,  ce qui a permis à la jeune auteure de signer un premier album, bien reçu, et dont on a beaucoup parlé lors de la rentrée BD. Aude Mermilliod répond à nos questions.

Le choix d’un roman graphique comme premier album peut surprendre… Qu’est-ce qui vous a guidé vers celui-ci ?

Aude Mermilliod : C’est venu assez naturellement. En fait, c’est ce que je lis et ce qui me plaît. Un roman graphique permet d’adopter un rythme lent et de se rapprocher davantage des personnages, du réel. C’est ce qui me touche le plus. Et cela permet de développer des personnages qui, d’une certaine manière, peuvent me ressembler et ressembler aux lecteurs.

Vous mettez en scène 3 personnages d’âges différents, qui cherchent quelque chose et qui, à travers cela, se cherchent…

J’ai la chance d’avoir des amis de tous âges, et cela m’ouvre une fenêtre sur les préoccupations qui sont les leurs, quel que soit leur âge. Je ne voulais pas que mon récit s’adresse à une seule génération. Dans Les Reflets Changeants, Elsa, Jean et Emile ne se connaissent pas et se retrouvent confrontés à des problématiques différentes. Ils se croisent en un laps de temps assez court, dans une sorte d’accélération de leurs quêtes respectives, et cela aboutit pour chacun à une forme de solution… un peu malgré eux.

Vous vous êtes inspirée de votre grand-père pour Emile…

Oui, mais ça n’a pas été simple. J’ai dû reconstituer ou interpréter certaines choses, au sujet desquelles on se taisait dans la famille. Je ne connaissais pas vraiment les circonstances de sa fin de vie… Certaines personnes dépassent leur handicap, d’autres vivent cela comme une honte, c’était son cas avec la surdité, au-delà des acouphènes… C’est un aspect du personnage. Et il y a son histoire, ses carnets qui en révèlent une autre facette. Je voulais laisser le lecteur seul, face à cela… J’y ai juste changé quelques petites choses. Il avait une façon d’écrire, de poser ses mots qui n’est pas la mienne, et j’ai modifié les quelques repères temporels de l’histoire, car il aurait plus de 100 ans aujourd’hui… Mais c’est bien lui qui s’exprime et parle au lecteur.

Quand on découvre Elsa dans les premières pages, on ressent un décalage important entre ce qu’elle exprime, que vous glissez sous forme de narratifs, et la manière dont elle aborde le réel…

Ah, mais Elsa, c’est un peu mon alter ego d' il y a dix ans ! J’écrivais assez bien, mais le reste ne suivait pas forcément ! Il s’agit aussi d’un personnage un peu capricieux. Elsa est centrée sur elle-même, et, forcément, ça conditionne sa manière de vivre.

Votre projet a été lauréat du Prix Raymond Leblanc, avant de se concrétiser en album. Comment aviez-vous abordé cette candidature ?

Sans trop y croire, je l’avoue ! La qualité des projets lauréats des années précédentes, La Fille des Cendres (Hélène V.) et Edwin, le voyage aux origines (de Manon Textoris et Julien Lambert) m’avait impressionné. Mais il s’agit de récits d’aventure. J’arrivais avec un récit plus lent, plus intimiste…je tentais l’expérience mais sans trop espérer…  Et puis voilà, les résultats sont tombés et Les Reflets Changeants ont pu bénéficier de ce magnifique tremplin !

Qu’est-ce que ça a entraîné pour vous ?

J’ai dû abandonner mon activité de blogueuse de voyage, c’était impossible de combiner cela avec la BD. En même temps, comme j’ai eu pas mal de petits boulots ingrats avant, et même si la réalisation d’un tel album représente beaucoup de travail, j’ai parfois la sensation de ne pas vraiment travailler. Je suis encore assez émerveillée, et, je l’avoue, un peu déboussolée !

En lisant Les Reflets Changeants, on remarque que, d’une part, vous y ménagez beaucoup de silence(s) et que, d’autre part, chaque mot est choisi, pesé…

Le scénario a été écrit plusieurs fois en un an et demi. La narration joue avec le temps afin de permettre d’apprivoiser les personnages et qu’une empathie suffisante s’établisse avec le lecteur, mais je pense que l’histoire aurait pu être développée sur davantage de pages. Les silences ont, effectivement leur importance, et parlent à leur manière. Un récit aussi introspectif permettait de les utiliser pour transmettre de nombreuses émotions ou sentiments. Quant au texte, il a évolué autant que les personnages tout au long de l’écriture et de la réalisation de l’album. Je revenais très souvent dessus pour modifier certaines phrases, écrémer les dialogues… Dans ce type de récit, il est essentiel que le texte sonne juste.

On est aussi surpris, dès l’ouverture de l’album, par vos couleurs et vos lumières…

Je suis très heureuse que vous me disiez ça ! En effet, au départ, pour moi, c’était l’enfer !  Quand on rencontre des difficultés en dessin, on peut chercher, se documenter, et on finit toujours par trouver une solution. Pour les couleurs, j’ai l’impression qu’il y a un côté plus instinctif, impalpable, sans vraiment de règles techniques précises. J’ai beaucoup tâtonné, recommencé et j’ai failli laisser tomber la couleur plusieurs fois ! Mais quand, peu à peu, je me suis approchée du résultat escompté, que j’ai affiné mes derniers réglages, c’est devenu magique ! On est en juillet, sur la Côte d’Azur, la lumière y est omniprésente, et elle a toute son importance dans les Reflets Changeants…

Ce premier album est sorti récemment, avez-vous déjà d’autres projets en chantier ?

Oui, là je viens de commencer à travailler sur une autre histoire, pour Casterman cette fois. Il s’agira d’un autre roman graphique, au ton fort différent, qui aura pour thématique générale l’avortement.

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Pierre Burssens
16/10/2017