Auracan » Interviews » Entretien avec Halim

Entretien avec Halim

"Certains cas réels sont pire encores que ce que je raconte..."

Avec Petite Maman, Halim signe un album qui restera certainement l'un des plus marquants de 2017. On ne peut, en effet, être insensible au destin de Brenda, enfant battue qui, pourtant, défend ses parents, représentant le seul univers qu'elle connaisse. Halim nous fait partager son histoire au plus près, au plus noir, découvrir presque en direct la maltraitance infantile et la violence intra-familiale. Petite Maman peut déranger, mais touche le lecteur directement au coeur. Un album bouleversant mais nécessaire dont nous parle son auteur, Halim Mahmoudi.

DansPetite Maman, vous abordez un sujet particulièrement difficile. Qu’est-ce qui vous a amené à évoquer un tel cas de maltraitance en BD ?

Halim : En 2009, l’ « affaire Marina » a eu beaucoup de retentissement en France. Au centre de celle-ci, une petite fille battue à mort par ses parents. Ce fait divers a donné lieu à un procès au long cours. A l’occasion de celui-ci, on s’est rendu compte que Marina avait toujours joué un rôle, celui de la gamine qui allait bien, et que malgré les atrocités endurées, elle protégeait sa famille. Des indices ont donné une première alerte, mais deux mois plus tard la petite était morte.

Certaines photos dévoilées en disaient long, et en m’intéressant à cette histoire, j’ai lu et entendu des phrases qui m’ont mis en colère. J’ai trois filles, je ne pouvais pas rester indifférent à cela. De plus, en côtoyant certaines de leurs copines, j’ai déjà soupçonné certaines choses relevant de la même problématique. Le procès a donné lieu, dans son déroulement, à une véritable cacophonie, avec des rejets de responsabilités en cascade, mais on a aussi pris conscience du manque de structures d’accueil, et plus généralement de moyens pour intervenir face à des cas aussi dramatiques, et plus encore préventivement.

On peut imaginer qu’évoquer une telle problématique en BD représentait aussi un défi…

Et un fardeau, car il s’agit d’un sujet qui fâche. La plupart des gens perçoivent la bande dessinée comme une lecture distrayante ou d’évasion. Or une partie de moi me pousse à aborder des sujets difficiles, et pousser une investigation sur ce qui représente, finalement, des questions non résolues de l’humanité m’attire. Je pense que, d’une certaine manière, ça relie aussi ma part de travail dans le dessin de presse et la BD. Avant d’entamer Petite Maman, je disposais d’autres scénarios, mais eux aussi abordaient des sujets réputés sensibles. Ceci dit, je pense qu’aujourd’hui même la personne la plus optimiste en vient, à un moment ou un autre, à se demander quelle mouche a piqué l’humanité…

Comment avez-vous défini l’approche de votre sujet et la construction de votre récit ?

Pour moi, le fil rouge devait rester l’enfant, ses mécanismes de défense et sa réponse à ce qu’il vit et subit. Mais il s’agit de son seul monde, il le protège, il protège sa famille… Puis viennent les rôles des assistantes sociales et des psys…  Le scénario s’est construit comme ça, petit à petit. J’ai vécu dans un quartier pauvre, j’en ai croisé des éducateurs, des assistantes sociales. Si eux ne parviennent pas à intervenir dans tel ou tel cas, le psy est là pour rattraper les choses, mais parfois des années plus tard. Et pendant ce laps de temps, tout peut se produire.

Vous dénoncez aussi une forme de laxisme du système…

Je parlerais plutôt d’une sorte de démission, à différents niveaux, sans vouloir en attaquer un en particulier. Je marchais vraiment sur des œufs par rapport à ce versant de l’histoire. Mais à qui imputer la faute ? Tout, dans notre société, fonctionne selon des systèmes financiers. N’est-ce pas là le problème majeur, ce qui crée des barrières, des lourdeurs, des lenteurs ? Notre société n’est-elle pas en proie à un profond problème systémique ?

Pour vous, la BD s’imposait-elle ou avez-vous pensé à aborder le sujet sous une autre forme ?

A un moment, j’ai pensé à un roman, mais on fait avec les armes dont on dispose, avec son bagage. J’avais un doute avant d’entreprendre Petite Maman, je n’étais pas sûr du tout de convaincre un éditeur, parce que, comme je vous l’ai dit, la BD est généralement plutôt bienveillante. Moi je savais que je sortais complètement de ces rails-là, et que l’album et le sujet pouvaient choquer.

A la lecture, dès les premières planches, on sent qu’on est « dans le vrai », l’authentique, avec, dans ce cas, la violence et la cruauté qui le constituent. Avez-vous rencontré des intervenants sur cette problématique, vous êtes-vous beaucoup documenté ?

J’ai rencontré quelques acteurs de terrain mais j’ai surtout lu beaucoup. Je ne voulais pas raconter l’ « affaire Marina », mais j’avais besoin de balises, de repères. J’ai récolté beaucoup d’informations avant de raconter une histoire, inspirée de tout cela. Je ne voulais surtout pas adopter un ton professoral, avec des dates, des données chiffrées, même si j’en disposais et que je les avais en tête en travaillant. L’émotion devait être prioritaire. L’histoire de Brenda est un mélange d’histoires vraies. Je ne me serais pas permis de me baser sur l’une d’elles en particulier. De plus, certaines sont pire encore que ce que je raconte dans Petite Maman, et tristement réelles…

Concrètement, l’album frôle les 200 pages. Combien de temps avez-vous consacré à sa réalisation ?

Difficile à préciser, car je continuais à travailler dans le dessin de presse, en parallèle, mais je dirais un an et demi. Le scénario m’a demandé environ 6 mois, avec de nombreux changements, mais même sur les planches, à l’encrage,  au stade final, je modifiais encore des éléments par rapport au story-board…  C’était un peu comme serrer les derniers boulons lors de l’assemblage d’une machine !

Vous insérez dans l’histoire trois dessins muets, trois portraits de Brenda en format pleine page. Représentent-ils une synthèse de son itinéraire ?

Ils se sont imposés à moi, en fait, je les comprenais mais je n’étais pas certain de les conserver dans le récit. Sur le premier, Brenda de cache les yeux et a dissimulé ses hématomes derrière des tatouages. Le second la représente se parlant à elle-même. Elle est disloquée, mais c’est le moment de la prise de conscience qui va lui permettre d’agir. Le troisième fait écho au premier, mais Brenda n’est plus une petite fille, et on devine un sourire. Ce sont trois étapes importantes, en effet !

Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
15/11/2017