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Entretien avec Alain Bardet et François Troukens

 François Troukens : "Les idées sont là depuis longtemps, mais j’ai enfin la possibilité de les exprimer sous des formes qui me passionnent..."

Il pourrait s’agir d’un polar comme un autre. Pourtant, pour Alain Bardet (dessin) comme pour François Troukens (scénario), le très efficace Forban constitue un premier album. Alain Bardet, peintre et illustrateur est exposé internationalement. François Troukens, lui, est aujourd’hui animateur télé, réalisateur (Tueurs, son premier film est sorti tout récemment) et vient de publier son autobiographie (Armé de Résilience). Forban s’inspire du parcours de son scénariste, puisqu’avant de consacrer la majeure partie de son temps à l’écriture et à la narration, François Troukens fut une figure majeure du banditisme dans les années 90’ en Belgique, braqueur de fourgons blindés recherché par toutes les polices.

Avec Forban en BD (Le Lombard), Tueurs au cinéma, et votre récit Armé de résilience (First), on vous découvre, François Troukens, boulimique de communication…

François Troukens : Les idées sont là depuis longtemps, mais j’ai enfin la possibilité de les exprimer sous des formes qui me passionnent. L’apparition simultanée du bouquin, du film et de la BD est due aux hasards du calendrier, mais certains de ces projets étaient en chantier depuis longtemps. La publication de Forban, aujourd’hui seulement, est un peu accidentelle. J’ai rencontré Alain Bardet en 2012 et le projet a été signé au Lombard à la fin de la même année. Nous disposions des idées de base, mais à ce moment Alain travaillait sur autre chose, et de mon côté je suis repassé pendant un an par la case prison. C’est difficile de communiquer et de vraiment construire quelque chose dans ce contexte-là. Ca a retardé le projet mais, d’un autre côté, ça lui a permis de mûrir.


Francois Troukens (scénario)

S’agit-il de votre première expérience dans ce domaine ?

FT : Réellement en tant que scénariste, et aboutie, oui. Mais lors de ma cavale, j’ai construit une société d’édition au Luxembourg. Tout était faux, mais je me suis pris au jeu et finalement ça m’a permis d’éditer le quatrième tome de la série Horizon Blanc d’André Osi. On a essayé de donner à ce bouquin les mêmes caractéristiques que les précédents et à l’arrivée, ça n’a pas trop mal fonctionné, puisqu’on en a vendu près de 10 000 exemplaires. On a envisagé de lancer une autre série, mais c’était assez compliqué. Ensuite je me suis à nouveau retrouvé en taule, mais mon expérience dans la BD m’avait procuré des adresses, des contacts, parmi lesquels celui de Benjamin Beneteau. Celui-ci est venu me voir en prison et on a commencé à travailler, lors de ses visites, sur un projet traitant de l’America’s Cup. Maisd’autres opportunités de sont présentées à lui, et il n’a pas eu le temps de poursuivre. La rencontre avec Alain Bardet s’est produite peu après et Forban a doucement été mis sur les rails.

Alain, quelle image aviez-vous alors de François ?

Alain Bardet : Je connaissais François de réputation, mais quand je l’ai rencontré j’ai été surpris de tout ce qu’il pouvait communiquer, faire passer quand on discute avec lui. Je ne pense d’ailleurs pas qu’il ait dû faire des efforts particuliers pour me vendre le projet (rires). Ensuite, en le connaissant de mieux en mieux, j’ai découvert un tout autre personnage qu’un « simple » braqueur, quelqu’un qui a son code, ses valeurs…  Cet aspect m’a beaucoup plu et a achevé de me convaincre.

François, nous évoquions votre autobiographie et le filmTueurs. Que vous apporte la BD par rapport à ces autres médias ?

FT : Globalement, il s’agit au départ d’une passion présente depuis très longtemps. Plus concrètement, elle exige une écriture totalement différente -d’un essai, évidemment- mais aussi du cinéma. Et il s’agit d’un exercice passionnant. Au niveau du temps, ça prend presque autant de temps de réaliser un album qu’un film, mais c’est tout de même un peu moins fatiguant. De plus, en BD, il n’existe pas de frontière, à partir du moment où le dessinateur est ok, on peut tout imaginer, voyager…ce qui est beaucoup plus compliqué et coûteux dans le cinéma ! Le scénariste joue le rôle des personnages, les met en scène, imagine une contre-plongée ou un travelling à tel ou tel endroit. Mais en contrepartie, la BD est un domaine très exigeant, qui entraîne pas mal de contraintes et demande beaucoup de précision.

Pour Forban, j’ai eu la chance que le retour nourrisse l’envie. Je n’aime pas les personnages statiques, figés, je préfère quand ça bouge, et la mise en images d’Alain correspond parfaitement à cela. Je lui fournissais le scénario et le découpage de 10 planches, et quand je découvrais ce qu’il en avait fait, ça ne pouvait que m’encourager pour la suite. Alain a vraiment mis son dessin au service de l’histoire, avec la capacité rare, en noir et blanc, de recréer aussi bien des ambiances neigeuses, que le soleil de Saint Barthélemy ou les rues de Bruxelles. Certains détails n’étaient pas nécessaires à l’histoire, certains dialogues étaient en trop, et Alain a vraiment privilégié le récit et l’action au maximum.


Alain Bardet (dessin)

Alain, il s’agit pour vous aussi d’un premier album, assez différent de vos travaux précédents…

AB : Oui, mais j’aime me renouveler, aller où ma créativité m’entraîne. Avec François, les idées étaient là dès le départ, et je savais que, justement, entreprendre cela allait m’amener à me renouveler. Ceci dit, je n’ai pas été à l’aise directement dans la réalisation. Je me trouvais aussi dans une position de challenger par rapport à des séries bien établies. Le projet était solide, nous avions le soutien d’un éditeur, mais il arrive toujours un moment, ou un passage où l’on se pose des questions. Je pense que tout dessinateur BD, et plus largement tout créateur, se trouve confronté à cela au cours de son processus créatif.

Le noir et blanc s’est-il imposé naturellement ?

AB : Pour moi, c'était naturel. Le noir et blanc me permet de conserver un aspect général qui paraît plus lâché, plus spontané. Ca paraît plus dynamique et ça correspond bien au rythme du récit. De plus le noir et blanc, contrairement à ce que pensent pas mal de personnes, ne constitue pas une limite ou une barrière. On peut y apporter des tas d’effets. Sur les planches de Forban, il y a de la plume, du pinceau, mais aussi des vieux pinceaux, de la brosse à dent, de la peinture blanche. On peut travailler cela de fort nombreuses manières…

François, aujourd’hui, outre vos nombreuses activités, vous vous attachez aussi à dénoncer les dysfonctionnements du système carcéral…

FT : J’aimerais le voir évoluer et s’adapter à la société. Or on est loin du compte. Entre les années 90’ et 2014, j’y ai vu de grosses différences, et, parmi celles-ci, la place croissante de la haine. Beaucoup de jeunes y entrent chargés de haine, et ils deviennent des proies faciles pour tous les dingues radicalisés et autres…  Le système doit être repensé. On doit payer sa dette, mais quand on en sort, on doit avoir un bagage et de réelles possibilités de réinsertion. Je pense que la prison doit être dure, mais juste. Personnellement, j’ai suivi des études en prison, que j’ai pu finaliser à ma sortie, mais j’étais une exception. Que l’on ouvre plus de possibilités de formation pour les détenus, mais que ce soit donnant-donnant, avec une sorte de contrat. Ces possibilités existent, mais exigent un comportement correct et du travail. Tu ne fais rien, tu n’as rien. Tu dérapes, on resserre la vis. Je schématise énormément, mais des systèmes ont été mis en place dans les pays nordiques, avec une réinsertion progressive, et fonctionnent bien. Pourquoi ne pas s’en inspirer ?

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Pierre Burssens
21/11/2017