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Entretien avec Théo Caneschi

"Quand nous avions besoin de références, le travail de Philippe était déjà là !"

Pour que cesse le massacre des chrétiens, accusés à tort d'avoir provoqué l'incendie de Rome, Lucius Murena se rapproche de Néron. Mais ce retour en grâce attise les convoitises et les rancoeurs. Il se retrouvera, bien malgré lui, au centre d'un terrible complot...

C'est peu dire que ce tome 10 de Murena, intitulé Le Banquet était attendu ! Parce que la série bénéficie d'un lectorat important d'abord, parce qu'elle retrouve le chemin des librairies après plus de quatre ans d'interruption, ensuite, et surtout parce que Théo Caneschi relève le défi de succéder, au dessin, au regretté Philippe Delaby. Ce dernier l'avait remarqué et en avait parlé, alors, à Jean Dufaux, scénariste de la série. Théo a entrepris avec brio ce challenge d'envergure, entre contraintes et enthousiasme. Le dessinateur nous en parle.

Après Le Pape Terrible, Le Trône d’argile, vous signez aujourd'hui le dessin du Banquet, le tome 10 de Murena. vous poursuivez dans le registre de la BD historique...

Je suis un passionné d’histoire mais c’est un peu par hasard que j'ai entrepris le Trône d’argile, car on me l’a proposé. Ca m'a permis de me faire connaître. Ensuite, tout s’est enchaîné, Le Pape terrible avec Jodorowsky m'a donné l'occasion de développer mon style, remarqué par Philippe Delaby qui en avait parlé à Jean Dufaux... 

Ce qui a amené Jean Dufaux à vous approcher pour la reprise de Murena ?

C’est Dargaud, en accord avec Jean Dufaux et Yves Schlirf, éditeur de la série, qui m'a directement contacté. Ce qui a complètement bouleversé ma vie, ma carrière, mon planning…

Avec, on l'imagine, une grande pression ressentie, une grande responsabilité ?

Effectivement. Au départ ce n’était pas facile du tout d’accepter ces bouleversements parce que j’avais envie de terminer les autres séries entamées. J’ai demandé du temps pour le faire et il m'a été accordé. L’annonce de la mort de Philippe Delaby m’avait choqué parce que c’était quelqu’un que je n’avais, hélas, jamais eu la chance de le rencontrer. Or pour moi, Delaby était là depuis toujours. Alors que j’étais illustrateur à l’atelier de Florence, nous avions déjà tous les albums de Philippe comme référence en matière de décors, de personnages. J’ai travaillé pour des musées, notamment pour des reconstructions historiques, et quand nous avions besoin de références, le travail de Philippe était déjà là !

Avez-vous eu des contacts avec Jeremy Petiqueux qui avait terminé le tome 9 ?

Oui, Jérémy m’a écrit très gentiment  pour me conseiller de reprendre la série. Il a terminé l’album de la Complainte des Landes Perdues sur lequel travaillait Philippe Delaby avant son décès. J’imagine que c’était trop difficile pour lui, émotivement de reprendre Murena. C’était aussi le moment de se détacher un petit peu du maître. Pour moi, ce n'était pas facile mais c’était différent. J’ai pu rencontrer une première fois la famille de Philippe, la famille Dargaud aussi. Chez Dargaud, tous avaient beaucoup souffert de la perte d’un ami, et pas seulement d’un auteur à succès de leur catalogue.

Qu’est-ce qui était le plus contraignant dans cette reprise ? S'agissait-il d'un challenge ?

Je traversais une période de grand chamboulement dans ma vie, pas seulement au niveau artistique, et l’arrivée de Murena a marqué ce moment, avec des changements complets. Je dirais, sans exagérer, que j’avais peur de perdre mon identité. J’ai du travailler sur cette peur et la transformer en une énergie positive et créative. C’était un voyage, un apprentissage en étudiant le style de Philippe, j’ai eu besoin de temps pour faire des tests, des croquis... Au début j’étais très concentré sur la volonté de donner au lecteur quelque chose de fidèle et dans la continuité de la série…

Avec cet album, c’est quelque part la renaissance de Murena puisqu’il est reconnu par l’empereur. Avez-vous prévu une suite avec Jean Dufaux ?

Oui, Jean a la suite en tête et il est en train de réécrire le récit du prochain album. Certains personnages vont prendre plus d’importance, notamment les personnages féminins, comme les Muria que j’ai dû créer. 

Après Jodorowsky, les méthodes de travail de Jean Dufaux sont-elles différentes ?

Pas trop, car tous les deux me laissent une grande liberté. Je réalise des séquences que j’envoie chez Dargaud. Et c'est là qu'ils en discutent.  J'ai eu très peu de remarques, seulement au début où on a parlé un peu plus. Je crois que le scénariste comme l'éditeur avaient envie de découvrir le Murena de Théo. Même avec la barrière de la langue, je pense être arrivé à aborder convenablement le scénario et à le mettre en images..

Murena a-t-il nécessité une approche différente de celle de vos autres séries au niveau du dessin et des couleurs  ?

Oui, bien sûr, tout est nouveau avec le défi de la couleur directe sur mes originaux, sur mes encrages. C’est mon ami Lorenzo Pieri, le maître de l’aquarelle, qui m'a secondé sur les couleurs. C’était une des clés les plus importantes pour que je me décide à accepter cette aventure. C’était aussi un défi d'établir une collaboration très stricte avec un ami, c'est parhois délicat quand on doit formuler des remarques. Je lui ai laissé beaucoup de liberté, en me concentrant sur mes encrages, plus fins que sur mes albums précédents, à la plume, pour m'approcher du style de Philippe Delaby.

Travaillez-vous à partir d'un crayonné jeté ou plutôt poussé avant l’encrage ?

Comme vous pouvez le découvrir dans l’édition noir & blanc de l’album, ce sont des crayonnés au petit format. J’ai besoin de travailler la page en petit format, c’est mieux pour moi pour en  définir l’équilibre. Ensuite vient une impression de gris, puis encore du crayon car j’ai besoin d’élargir les crayonnés et ajouter des détails. Ensuite vient l’encrage à la plume, un peu de pinceaux, du crayonné couleurs aussi même après l’aquarelle. En fait, c’est un mélange de techniques que j’ai appliqué pour cet album. Ce sera à vous de juger.

Cet album a-t-il été, pour vous, plus difficile à réaliser que les précédents ?  

Chaque album représente une remise en question. Une certaine naïveté m’a aidé beaucoup à me rapprocher de la BD franco-belge sans en imaginer les difficultés, les problèmes, la surproduction. CMais chaque album est plus difficile que le précédent. Pour Murena, c’était assez incroyable, cette crise générale dans ma vie, cette remise en question, et l'arrivée de Murena. Sans doute avais-je besoin de vivre ça, cette métamorphose qui m’attendait.

La tête de cochon, en couverture, interpelle. En avez-vous eu l'idée ?

Oui, j'ai choisi le cochon car il était déjà présent dans les pages de Jean. Et pour m'inscrire dans le style de Philippe, j’avais besoin d’un détail représenté en grand à montrer sur la couverture. J’aimais l'idée,  tellement, mon ami Lorenzo Pieri aussi, et Jean Dufaux a été tellement enthousiasmé par l’idée qu’il a modifié le titre de l’album. J’avais envie de marquer une reprise forte, pas une reprise timide, tendre et voilà, la tête de cochon fait parler tout le monde, les amis italiens, la presse, le public…

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Bernard Launois
24/11/2017