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Entretien avec Hardoc

"Je m’étais toujours dit que je ne me lancerais pas dans une longue série"

Le Der des Ders, cinquième tome de la série, récemment publié, met fin à la Guerre des Lulus. Pourtant, pour Lucien, Lucas, Ludwig et Luigi, l’aventure ne s’arrête pas là. Que vont devenir ces (grands) orphelins dans un pays dévasté, mais qui va peu à peu se reconstruire après la première guerre mondiale ? Hardoc et Hautière se sont attachés à leurs personnages et se préparent à nous raconter leur Après-Guerre, alors qu’une spin-off de la série signée Cuvillier et Hautière se précise, elle aussi. Vincent Lemaire, dit Hardoc, son dessinateur, partage avec nous un regard sur La Guerre des Lulus et ses nouvelles perspectives. La guerre est terminée, mais pas les Lulus !

La Guerre des Lulus est terminée, rétrospectivement quel regard portez-vous sur la série ?

Hardoc : C’est assez particulier, car ça représente, pour Régis et moi, une période de notre vie. Avec beaucoup de boulot, des recherches pas toujours facile, mais finalement il reste l’impression que tout ça a passé vite, et aujourd’hui je pense que c’est surtout un regard attendri que je porte sur les Lulus. Ce n’était pas évident de raconter une histoire d’enfants se déroulant pendant la première guerre mondiale, d’autant que ma vision est un peu faussée à ce sujet. Ma région compte de nombreux cimetières et monuments de la guerre 14-18 et, d’une certaine manière, c’est quelque chose que j’ai toujours connu. Mais ce n’est pas forcément le cas pour tous nos lecteurs et nous devions en tenir compte. Mais mon regard n’est pas nostalgique, car les Lulus vont continuer à vivre…

De quelle manière ?

Nous nous sommes, Régis et moi, attachés aux personnages. A la fin de la guerre, ils se retrouvent séparés, et nous avions envie de les voir à nouveau réunis. Régis avait cela en tête depuis un moment, mais je ne disposais pas de tous les éléments. En même temps, ce sera intéressant de montrer comment des orphelins peuvent se débrouiller dans un pays en pleine reconstruction. Je m’étais toujours dit que je ne me lancerais pas dans une longue série, mais notre attachement aux personnages, et celui du public nous ont fait changer d’avis.

Il s’agira donc de l’Après-Guerre des Lulus ?

Oui, on envisage 5 albums, et chacun d’eux sera plus particulièrement axé sur un personnage.

Au cours des 5 tomes de La Guerre des Lulus, vous avez fait grandir, vieillir progressivement vos jeunes héros, et du côté du scénario de Régis Hautière, le ton du récit est lui aussi, peu à peu, devenu plus grave. Pour le dessinateur, ce changement progressif représentait-il une difficulté particulière ?

Je n’ai pas effectué de recherches, au départ, pour définir précisément comment allaient vieillir graphiquement Lucien, Lucas, Luigi et Ludwig. Ca s’est fait assez naturellement. On voit les traits de nos enfants qui changent, les fossettes, les épaules, la hauteur, la forme du visage qui change un petit peu…et on applique ça dans le dessin, en veillant à ce que les personnages ne perdent cependant pas leurs caractéristiques de base. Un gourmand reste un gourmand, mais on peut l’habiller avec des vêtements un peu moins larges, des vêtements d’un style plus adulte aussi…  Il existe des astuces pour marquer ces changements. La Guerre des Lulus les a fait passer de l’enfance à l’adolescence, mais dans l’Après-Guerre, ils vont devenir adultes et là, je dirais que c’est un peu plus compliqué. Certaines caractéristiques restent présentes, Lucas ne sera jamais un géant, mais je dois garder cela en tête en travaillant. Peut-être est-ce différent pour un dessinateur dont le style est davantage réaliste, mais mon dessin est un héritier de la BD franco/belge classique et du « gros nez »…  Il s’agit en tous cas d’un exercice intéressant et amusant.

Vous nous avez parlé de l’Après-Guerre des Lulus, mais qu’en est-il de la Perspective Luigi, dont on peut découvrir les premières planches en « teasing » dans Le Der des ders ?

Il existe une ellipse temporelle entre les tomes 3 et 4 de la Guerre des Lulus, qui correspond à leur période passée en Allemagne, ce qui expliquent notamment qu’ils puissent se débrouiller en allemand dans les épisodes suivants. Il ne nous a pas été possible d’évoquer plus largement cette étape de leur périple par manque d’espace et de temps, et c’est pourquoi Régis a imaginé cette spin-off pour combler ce manque. La Perspective Luigi est prévue en deux tomes dont le dessin sera assuré par Damien Cuvillier. Damien est un ami de longue date, qui m’a épaulé sur deux albums de la série. Son dessin appartient à la même école que le mien et nous avons une vision assez similaire de notre travail, donc son choix nous semblait cohérent, en nous permettant d’éviter une phase de tests.

N’avez-vous pas envisagé de dessiner cette spin-off ?

Non, encore une fois pour une question de temps. Nous ne voulons pas que le lecteur s’y perde, et pour cela nous devons éviter que le concept des Lulus, en général, ne s’étire sur de trop nombreuses années.

La Guerre des Lulus a rencontré un engouement dépassant un intérêt strictement BD. Pour preuve, la série bénéficie d’un focus particulier au salon Ecrire l’Histoire, et y donne lieu à une conférence. Aviez-vous envisagé cet aspect ?

Absolument pas ! Quand nous avons discuté de l’idée de base des Lulus avec Régis en 2009, on ne pensait même pas au centenaire de la première guerre mondiale. Une BD mettant en scène des enfants pendant ce conflit n’existait pas, et c’était ce qui nous intéressait. Mais peu à peu, une fois le tome 1 publié, on a mesuré, lors de séances de dédicaces que nous touchions un public très varié, enfants, parents, personnes s’intéressant à 14-18…  La Guerre des Lulus a fait l’objet d’une exposition au Festival d’Amiens, et celui-ci en a tiré une exposition  « nomade » qui a été montrée dans de nombreux endroits, avec pour nous, différentes demandes de rencontres, d’animations…  Des rencontres toujours enrichissantes, avec parfois, à la clé, du « vécu », des anecdotes qui ont enrichi la série, et des moments émouvants aussi. Je me souviens notamment d’une dame âgée de 85 ans, venue nous rencontrer lors d’une séance de dédicaces. Elle venait de lire La Maison des enfants trouvés, le premier tome de La Guerre des Lulus, et il s’agissait du premier album de bandes dessinées qu’elle lisait…

Selon vous, qu’est-ce qui a particulièrement touché les lecteurs de La Guerre des Lulus ?

C’est à eux qu’il faudrait poser la question ! Il s’agit d’abord d’une série tous publics, qui, contrairement à beaucoup d’autres traitant de cette période, ne se déroule pas sur le front. Nous mettons en scène des civils, des enfants,  qui doivent se débrouiller pour vivre, et même survivre. Et puis, à part peut-être Léandre, et parmi toutes les rencontres effectuées par les héros, La Guerre des Lulus ne comporte pas de vrai « méchant ». La « grande méchante », finalement, c’est la guerre !  Je pense que ces différents éléments permettent d’aborder la première guerre mondiale, aussi atroce qu’elle ait été, sous un angle différent.

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Pierre Burssens
20/12/2017