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Entretien avec Yves Swolfs

"J’ai besoin de raconter des histoires et ça me passionne..."

Kansas, janvier 1861, à quelques mois du début de la Guerre de Sécession, le prêcheur Markham et sa horde de fanatiques font régner la terreur tout au long de la frontière avec l'état voisin du Missouri... Un cavalier sans nom les suit à la trace.Des plaines enneigées du Middle West jusqu'aux ruelles sombres de New York, la quête de vengeance et d'identité entraînera le cavalier dans un affrontement teinté de surnaturel. 

Plus de 35 ans après l'apparition de Durango, Yves Swolfs revient au western avec La Piste du Prêcheur, premier album de Lonesome. Le western connaît un regain d'intérêt en BD comme en séries télé ou au cinéma, mais dès les premières pages cette nouveauté, on retrouve le western "à la Swolfs". Un choix revendiqué par l'auteur qui prend clairement plaisir à ce retour sur des pistes connues. Connues ? Pas tant que ça, car ce tome 1, très documenté, réserve pas mal de surprises. Yves Swolfs nous en parle.

Imaginiez-vous revenir un jour au western quand vous avez arrêté Durango en tant qu’auteur complet ?

Yves Swolfs : Pas de prime abord, non. Cette envie s’est manifestée il y a quatre ou cinq ans, en travaillant sur les derniers tomes du Prince de la Nuit et de Légende. J’avais envie de faire quelque chose de neuf, mais le western s’est imposé et je pense aujourd’hui que j’ai procédé à un bon choix, tant je me suis senti motivé par la création de Lonesome et la réalisation de ce premier tome.

Vous avez choisi une scène d’ouverture qui rappelle bien des références cinématographiques, d’Il était une fois dans l’Ouest aux 8 Salopards de Tarantino…

Ou encore Le Grand Silence, et il y en a d’autres... Je voulais me faire plaisir en dessinant cette scène, et en même temps indiquer à mes lecteurs que c’était le retour du western « à la Swolfs » à 150 %. Curieusement, alors que je dessinais Durango, je ne me rendais pas compte que je faisais du western « à la Swolfs », et ce sont mes lecteurs qui peu à peu ont établi cette différenciation. Pour moi, je faisais du western un peu en marge du genre dominant, avec mon style, des références que j’aime et voilà, mais je ne pensais pas représenter un style à moi tout seul !

On traverse un retour du western en BD, de nouvelles séries sont apparues et fonctionnent bien et même Hermann s’y est remis…

J’ai l’impression que ce phénomène est un peu cyclique et que, comme d’autres genres, il réémerge par période. On a eu beaucoup de SF, de Fantasy, de thrillers financiers et autres, et voilà le western qui revient, sous une forme un peu plus actuelle, avec d’autres approches…  Regardez du côté des séries télé, la qualité atteinte par Deadwood ou Hell On Wheels, souvent meilleures que certains films ! Au cinéma, j’ai bien aimé le Django de Tarantino, par contre j’ai trouvé les 8 Salopards décevant.

Lonesome vous permet-il d’exploiter d’autres idées que Durango ? D’aller plus loin ?

D’une manière générale, je dirais que je ne conçois plus un western, aujourd’hui, comme je le faisais pour Durango. Mais Lonesome ne se déroule pas à la même époque, le contexte est plus ancien, plus rustique. Cette période qui se situe juste avant la guerre de Sécession est très particulière. J’y introduis une sorte de « théorie du complot », attachée au contexte historique, et la rencontre de ces différents éléments fournit une matière riche pour le récit…  On me dit que le personnage rappelle le personnage de Durango, mais pour moi il évoque un archétype du western italien. Je pense que les lecteurs vont découvrir un personnage plus riche, plus nuancé, peut-être avec plus de… maturité, mais cette évolution correspond à mon expérience, à ma carrière.

Le pistolet Mauser était l’arme emblématique de Durango, dans Lonesome aussi vous définissez précisément son type de revolver. Etes-vous un passionné d’armes anciennes ?

Non, et d’ailleurs je ne possède pas d’arme, mais j’ai quelques reproductions espagnoles de qualité qui constituent plutôt une documentation. Mon intérêt pour les armes correspond plutôt à un intérêt pour un objet lié à une époque et représentatif de celle-ci. Et en tant que tel, avec une passion générale pour le western, il est difficile de ne pas penser aux armes. Mais j’ai recherché beaucoup de documentation pour Lonesome, pour retrouver les types d’attelages précis correspondant à cette époque, les types de bâtiment qui existaient dans la région où se déroule l’action etc.  Je voulais que mon histoire prenne place dans un contexte réaliste et précis.

Le dessin des chevaux est redouté par nombre de vos confrères. Il est indissociable du western. Comment l’abordez-vous ?

Je ne suis pas un dessinateur de chevaux comme peuvent l’être, par exemple, Derib ou Michel Blanc-Dumont. Ils possèdent des chevaux, les côtoient, les observent, les connaissent et les dessinent magnifiquement ! Je pense que je me débrouille mais là aussi, si je recherche une attitude précise, je fais appel à ma documentation. On pense aux photos, mais certains peintres américains ont réalisé de superbes tableaux aux sujets « western », avec, souvent, de très beaux chevaux !

Le don que possède Lonesome introduit un léger aspect fantastique dans le récit, assez inattendu dans un western…

C’est quelque chose qui m’intéresse et qui m’intrigue…  J’avais déjà utilisé quelque chose d’assez similaire dans la série James Healer, dessinée par Giulio De Vita, mais que nous avons dû arrêter prématurément. Et j’aimais vraiment beaucoup cet aspect-là, auquel croient les Amérindiens. Je pense que l’on pourrait développer ce type de don et j’aurais voulu aller plus loin sur le sujet si Healer avait continué. C’est un peu cela qui est repris et enrichi dans Lonesome, plus tard l’histoire flirtera avec la parapsychologie et cet aspect s’expliquera.

Combien de temps vous a demandé la réalisation de La Piste du Prêcheur ?

Un an et demi.  De plus, après un temps essentiellement consacré aux scénarios d’autres séries, j’ai réalisé que le dessin constituait vraiment pour moi une forme d’équilibre. Je pense que je n’ai jamais autant recommencé de trucs sur un bouquin, mais je savais ce que je voulais et quand, aujourd’hui, je reçois les premiers échos de ceux qui ont découvert l’album et je mesure leur adhésion, je suis ravi !

Vous avez travaillé en tant qu’auteur complet, écrit des scénarios pour d’autres dessinateurs, ici vous revenez à une série dont vous signez dessin et scénario…  Que vous apporte une formule par rapport à l’autre ?

Pouvoir tout assurer constitue vraiment un "plus". J’ai besoin de raconter des histoires et ça me passionne. En travaillant seul, on a tout en main pour le faire si on en est capable. C’est un privilège, mais qui génère peut-être davantage de stress. Quand je travaille uniquement comme scénariste, la collaboration avec le dessinateur est très cool. Je lui fournis le scénario, avec le plus de détails possible, je procède au découpage des dialogues et puis je laisse un maximum de liberté au dessinateur. Et là, c’est une autre satisfaction de voir mon histoire mise en images par quelqu’un d’autre. Quand je découvre le travail de Timothée Montaigne sur Le Prince de la Nuit et ce qu’il vient y apporter par son dessin, c’est un vrai plaisir !

Voyez-vous Lonesome  comme une histoire complète en un nombre défini d’albums ou devenir une longue série avec différents cycles ?

Franchement, je ne peux pas vous le dire aujourd’hui ! Au départ l’histoire était prévue en 4 tomes. Le tome 2 constitue la suite directe de la Piste du prêcheur et amorce le tome 3…  Je pense à 4 ou 5 tomes, et ce sera probablement ma dernière série. Avec ce nombre d’albums je pars pour être occupé 7 ou 8 ans, ce qui m’amènera à passé 70 ans… L’âge est là, et quand je suis confronté au nombre de dessinateurs qui rencontrent des problèmes de vue en vieillissant, je me dis qu’il faut être raisonnable et pouvoir s’arrêter avant.

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Pierre Burssens
23/01/2018