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Entretien avec Pierre Bailly

"Retrouver le langage fondamental d'une histoire en images..."

On le retrouve dans les écoles, dans les services pédiatriques de certains hôpitaux, dans nombre de lieux dédiés à la petite enfance, et ses aventures –ou du moins leurs couvertures- sont traduites dans de nombreuses langues. Leurs couvertures ? Oui, car au long de ses 21 albums, pas un phylactère n’est apparu dans l’univers de Petit Poilu. Depuis 2007, Céline Fraipont et Pierre Bailly font rêver les petits et éveillent leur intérêt pour la lecture grâce à une BD sans paroles mais très « parlante ». Un exercice particulier, délicat mais passionnant, et une belle aventure qui a démarré et qui se poursuit avec le sourire et la gentillesse. Pierre Bailly, son dessinateur, nous en fait découvrir quelques aspects.

Comment a été créé Petit Poilu ?

Pierre Bailly : Il y a une douzaine d’années, Céline Fraipont, ma compagne, cherchait un nouveau concept de série. A l’époque, je travaillais sur Ludo, une série jeunesse, mais nettement plus classique, avec des rues, des voitures, tout ça, scénarisée par Denis Lapière. Notre première fille est née à cette période et nous nous sommes  tournés assez naturellement vers les tout petits. A un moment, Céline m’a demandé ce que…je n’aimais pas dessiner ! En y réfléchissant, ça rassemblait pas mal d’éléments de la réalité et, tant qu’on y était, les textes dans les phylactères. On en est arrivés à cette idée de BD pour enfants, sans paroles, et avec, dans chaque épisode, un univers fantasmagorique différents. Un petit personnage qui part de chez lui et qui vit des aventures étonnantes.


la sirène gourmande...

Dès le départ, l’aspect du héros s’est imposé et n’a pratiquement pas évolué, et comme il était petit et…poilu, son nom était tout trouvé ! Il nous restait à présenter le projet aux éditeurs, et plutôt qu’un dossier écrit traditionnel, nous avons réalisé l’ensemble du tome 1, La sirène gourmande. Dupuis lançait alors ses collections Punaise et Puceron, destinées aux plus jeunes, et cette première aventure de Petit Poilu a été éditée sous le label Puceron.

Petit Poilu n’a pas grandi, mais la série s’est, elle, considérablement développée, puisqu’elle compte aujourd’hui 21 albums…

On essaye de conserver le rythme de deux albums par an, mais au tout début j’avoue que nous étions assez sceptiques sur les possibilités de se renouveler assez pour faire vivre beaucoup d’histoires à Petit Poilu. En cours de route, nous nous sommes rendu compte que nous pouvions  aborder une infinité de sujets via notre petit bonhomme. Chandelle-sur-trouille, le tome 21 est sorti au mois de novembre, et depuis janvier toute la série est aussi disponible en format « poche » à un prix très abordable. Nous avions envie depuis longtemps de cette formule, et nous sommes ravis que l’éditeur l’ait concrétisé. Le format est sympa, il peut être emporté partout, peut-être rendra-t-il Petit Poilu accessible à d’autres enfants, ou à davantage d’écoles…  Autant de raisons pour lesquelles on trouve ça très chouette.

Vous évoquez les écoles, or Petit Poilu a assez rapidement intéressé et séduit de nombreux intervenants du secteur de la petite enfance. Y aviez-vous pensé en créant la série ?

Pas du tout. Pour nous, Petit Poilu a quelque chose de très ludique, et nous n’avions pas de préoccupation pédagogique précise. Or, en rencontrant les réactions d’enseignants, de logopèdes ou de personnes qui travaillent avec des enfants autistes, il semble que nous leur ayons proposé un « outil » qui apparemment leur manquait jusque-là… Nous savons ainsi que beaucoup d’enseignants utilisent Petit Poilu en classe. Ca nous a surpris au début, mais c’est aussi très gratifiant de savoir que notre travail serve à quelque chose dans ce domaine-là.

Cela a t’il influencé les histoires de Petit Poilu, ou les thématiques abordées ?

Je ne pense pas. On continue tant qu’on s’amuse, et voilà…  Nous connaissons évidemment les « rails » de la série,  le public auquel elle est destinée, et il y a des sujets que nous n’aborderons pas. Nous avons une morale, comme tous les parents… Céline essaye cependant que chaque album comporte un message qui laisse une porte d’entrée aux parents ou aux enseignants. Chandelle-sur-trouille aborde le thème de l’immigration. C’est un sujet d’actualité dur, sensible, mais il n’est pas évoqué de manière militante. Nos enfants ont grandi aussi, et nous les associons au processus de création. Leurs avis sont souvent pertinents et quand ils nous disent : ça ce n’est pas Petit Poilu, on les écoute et s’il le faut Céline passe à une nouvelle histoire dans un nouvel univers, mais toujours dans la fantasmagorie.

Ce dernier aspect est essentiel ?

Vraiment, oui. Il permet à l’enfant de s’évader à travers le personnage. Même quand ils sont à la crèche, les petits ne racontent pas tout à leurs parents. La vision et le ressenti des enfants et la perception des parents sont parfois très différents. On a rencontré des enfants de 3 ou 4 ans qui sont complètement fans de Petit Poilu à cause de sa liberté. Il est indépendant, il se balade, il n’a pas d’a priori et il est super-optimiste !

Petit Poilu a fait l’objet d’une série animée, or votre dessin et votre découpage font immédiatement penser à l’animation…

Mon dessin doit être très calibré. Le personnage doit toujours avoir la même taille, et cet aspect représente une grosse partie du boulot. Pour le reste, je pense que la narration se rapproche plus du cinéma muet ou du mime. L’œuvre de Georges Méliès est une de nos grosses influences. Céline rythme son scénario de manière précise et régulière. Je dois l’illustrer avec les images les plus claires possible et rien ne doit y être superflu. Si, sur un dessin, j’ajoute un papillon, il doit avoir un rôle dans l’histoire, y apporter quelque chose. C’est contraignant, car il me semble que je dois parfois épurer, gratter jusqu’à l’os pour me concentrer sur l’essentiel, mais c’est aussi très amusant car quelque part, c’est retrouver le langage fondamental d’une histoire en images. Il arrive également que nous devions faire entrer une histoire au chausse-pied dans le format, la pagination, et là nous devons trouver quelle case enlever, comment en réunir deux en une... C’est une étape un peu puzzle, un travail de montage contraignant mais passionnant…

Voici quatre ans, nous vous avions interviewé pour Le Muret, (Casterman – Ecritures) un roman graphique réaliste qui mettait en scène une ado déboussolée. On ne vous attendait pas forcément dans ce genre. S’agissait-il d’une parenthèse par rapport à Petit Poilu ?

Peut-être, et il ne s’agira peut-être pas de la seule, mais nous ne sommes pas pressés de ce côté, et tout dépendra de l’inspiration…

Est-ce possible par rapport à ce que vous n’aimez pas dessiner ?

(Rires) Mais je ne suis tout de même pas paresseux à ce point ! J’aurais envie de redessiner en noir et blanc. Pour Le Muret, j’avais changé mon dessin en fonction du récit. Je pense que ce serait encore le cas sur un autre projet, et c’est ce qui rend ce métier passionnant. On peut s’y faire plaisir, aussi…

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Pierre Burssens
28/03/2018