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Entretien avec François Ayroles

"J’avais vraiment la sensation de tirer sur un fil et que, derrière ça, toute la pelote suivait avec de nouveaux éléments..."

De la recherche d’un titre par la famille Dupuis  en 1937 à la retraite de Charles Dupuis en 1985, ce sont 152 épisodes de la vie et de l’évolution d’un magazine que nous dévoile François Ayroles avec ses Moments clés du journal de Spirou. Autant de dessins, non dénués d’humour, et de courts textes en vis-à-vis qui retracent des grands et petits moments de la longue histoire de Spirou et de son évolution. Un point commun, à travers les personnalités mises en scène et les années écoulées : tous ces épisodes ont été décisifs, même si pour certains, au départ, rien ne laissait le présager. Nous avons rencontré François Ayroles en visite pour la première fois dans les locaux de Dupuis à Marcinelle.

Nous nous trouvons à Marcinelle (B) dans les locaux de Dupuis, de la rédaction de Spirou, et à deux pas des lieux qui, historiquement, ont vu naître le magazine…  Qu’est-ce que ça vous inspire ?

François Ayroles : Je suis très heureux d’être là ! J’y trouve un peu la cristallisation de mon travail sur les Moments clés du journal de Spirou, c’est une sorte de récompense, la cerise ou plutôt le calot sur le gâteau même si tout ça a beaucoup changé. J’ai visité les archives, qui m’ont permis de regarder en arrière, mais ces locaux plus modernes démontrent que l’aventure continue. On ne discute pas autour d’une pierre tombale ! Mon livre constitue peut-être une sorte de borne, mais Spirou a 80 ans, et son histoire continue à s’écrire aujourd’hui .

Vous avez réalisé les Moments clés de l’Association, qu’est-ce qui vous a conduit à entreprendre ceux de Spirou ?

Je m’intéresse, de manière générale, à l’histoire de la BD. Et puis Spirou, assez curieusement, je l’ai d’abord découvert à travers les albums plutôt que via le magazine. J’ai découvert Franquin, Peyo, Morris…  Je me souviens, par exemple, combien j’avais été séduit par la couverture des Chapeaux noirs…  Et enfant, vers 6 ou 7 ans, j’avais inventé un personnage qui s’appelait… Spiros ! Puis j’ai suivi Fournier, et il y a eu Gaston Lagaffe, avec alors un rapport au monde un peu transgressif, libertaire… Pour en revenir au livre, à un moment j’avais envisagé de me concentrer sur Franquin et Jijé, deux acteurs majeurs de l’histoire du journal, et j’avais même déjà  imaginé certains dessins. Mais en entamant des recherches, en remontant peu à peu aux sources, c’est à l’histoire de Spirou que j’ai été confronté, plus encore en découvrant le travail de Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault et leur Véritable histoire de Spirou.

J’ai lu beaucoup, retrouvé des revues, des interviews, relevé des noms et..des moments, en essayant de les aborder selon un angle un peu décalé. Et là, je me suis rendu compte que, par leur impact, certains moments avaient été décisifs alors qu’ils ne le paraissaient pas au premier abord. J’avais vraiment la sensation de tirer sur un fil et que, derrière ça, toute la pelote suivait avec de nouveaux éléments qui s’ajoutaient, influençaient ce dont je disposais déjà…  Ensuite il a inévitablement fallu procéder à des choix, car il était impossible d’être exhaustif. J’ai pris les auteurs pour base de mon travail, en essayant de comprendre et de montrer de quelle manière ils avaient participé à l’histoire de Spirou et l’avaient orientée par leurs fréquentations ou leurs interactions.

En travaillant sur ces Moments clés du journal de Spirou, l’envisagiez-vous comme un hommage, comme un ouvrage historique ?

Probablement comme un  hommage, mais je n’aime pas trop ce mot. Mon objectif n’était en tous cas ni sarcastique, ni irrévérencieux, mais comme je vous l’ai dit je tenais à conserver un ton un peu décalé. Je disposais parfois de documents précis, de photos qui, pour les dessins m’ont permis de coller à la réalité. Pour d’autres moments clés j’ai essayé d’amener l’un ou l’autre petit truc davantage ludique. La présence d’un texte en rapport avec chaque dessin s’est, elle, s’est rapidement imposée, et de ce côté, la justesse et la précision étaient évidemment de rigueur !

Pour vous, qu’est-ce qui caractérise l’histoire de Dupuis, et donc de Spirou, par rapport à celle d’autres éditeurs ?

C’est d’abord l’histoire d’une famille et d’une vision un peu paternaliste, mais qui collait ben avec l’époque, avec notamment la préoccupation de former la jeunesse avec les valeurs de cette période. Le temps passant, ça n’a pas toujours été simple, mais le journal a aussi eu l’intelligence de s’ouvrir quand c’était nécessaire à des figures un peu plus transgressives comme Franquin ou Yvan Delporte…

Aviez-vous véritablement dessiné  les 152 images des Moments clés du journal de Spirou avant de présenter le projet chez Dupuis ?

J’avais présenté quelques dessins à José-Louis Bocquet, qui a été immédiatement emballé et m’a dit « faisons-le ! ». J’ai alors poursuivi mes recherches, avec la chance et l’honneur de bénéficier du regard de Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault, qui ont relu l’ouvrage, corrigé certaines approximations et pointé certaines choses qui pouvaient s’avérer un peu plus délicates…

152 dessins, autant de textes en vis-à-vis… Combien de temps a exigé la réalisation de l’album ?

Un an et demi, mais j’y travaillais par périodes, parallèlement à d’autres projets. Je dessine assez rapidement, et quand les idées étaient là, je pouvais clôturer 2 ou 3 dessins sur une journée. Et les idées sont venues assez rapidement. Les textes exigeaient, eux, d’être synthétique, précis, et surtout de ne pas être répétitif. J’ai appris et découvert beaucoup de choses en travaillant sur ce livre, mais je suis loin d’avoir les connaissances et la mémoire de Christelle et Bertrand, qui sont des historiens de la BD !

Pourquoi avez-vous choisi de clôturer votre ouvrage avec la retraite de Charles Dupuis en 1985.  ?

A ce moment, l’entreprise familiale a été revendue à un groupe de financiers, et je ne pensais pas avoir suffisamment de recul pour aborder ce chapitre encore relativement récent. Chaque chose en son temps.

Jijé occupe le premier plan de l’illustration de couverture, un hasard ou un choix ?

Un choix. Jijé a été une figure décisive de l’histoire du journal. En tant qu’auteur, il signait pratiquement la moitié du journal pendant la guerre. Et puis, il a été une sorte de figure paternelle pour pas mal de génies de la BD. Pourtant, Joseph Gillain reste encore sous-estimé. C’est un auteur pour lequel j’ai beaucoup d’admiration. Sans Jijé, peut-être n’y aurait-il pas eu Franquin…  Et Franquin, malgré tout ce qu’il a apporté à la BD, n’a pas eu ce rôle de meneur, ou de chef de chapelle, qu’a assuré Jijé.

Selon vous, l’appellation école de Marcinelle est-elle justifiée ?

Je n’aime pas trop les étiquettes, d’autant que celle-ci peut être interprétée de différentes manières. Elle ne rend pas justice, selon moi, à la variété et la singularité des grands auteurs de Spirou, de ce fantastique vivier initial… L’effet école peut aussi désigner des « suiveurs » qui s’inspirent de codes  établis. Je préfère de loin  le premier aspect !

Depuis peu, Florence Mixhel est la première rédactrice en chef de Spirou, qu’est-ce que ça vous inspire ?

C’est un progrès important par rapport à une forme de domination masculine au cours de toute l’histoire de Spirou. Les autrices y ont été très rares, et certaines héroïnes elles-mêmes semblaient en résistance face aux critères éditoriaux ! Je me demande ce qu’en aurait pensé Charles Dupuis…mais précisez  tout de même que je pose cette question ironiquement !

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Pierre Burssens
11/04/2018