Auracan » Interviews » Entretien avec Nicoby et Patrick Weber

Entretien avec Nicoby et Patrick Weber

« Les îles de Bretagne se prêtent vraiment bien à ce type d'intrigue,
ce sont des huis clos naturels… »


Un président français et un monarque belge,
alias le dessinateur Nicoby et le scénariste
Patrick Weber © Nicoby

Nicoby, comment vous êtes-vous retrouvé à travailler avec le scénariste Patrick Weber, chroniqueur royal de la télévision belge ? Comment s’est déroulée votre rencontre et votre envie d’imaginer des récits de fiction se déroulant sur certaines îles de Bretagne ?

Nicoby : Tout ça remonte à assez loin. Nous avions travaillé avec Patrick sur un projet qui n'a finalement pas vu le jour. C'était à l'initiative de l'éditeur, c'est donc lui qui nous a mis en contact. Quand il m'a parlé de Weber, je connaissais son livre Les Fourmis avant de réaliser que ce Patrick Weber n'avait rien à voir avec l'autre – haha ! On s'est tout de suite bien entendu, Patrick est Belge et globe-trotteur, donc on s'est peu vu après cet échec. Puis, un beau jour, le même éditeur qui nous avait mis en contact nous réunis à nouveau, cette fois pour de bon. C'était à l'occasion de Ouessantines.
Patrick Weber : Et oui, c’était une rencontre arrangée par un éditeur mais j’ai tout de suite été très content de travailler avec Nico. Quand j’ai appris qu’il était Breton, c’était déjà un grand bon point à mes yeux. Et quand il m’a dit que les meilleures bières du monde étaient belges à ses yeux, j’ai compris que c’était un homme de goût ! Et puis, j’avais cette idée de scénario qui voyageait dans ma tête.


En attendant un prochain album qui pourrait se dérouler sur l'île de Bréhat,
la trilogie insulaire de Weber et Nicoby... © Vents d'Ouest

Vu la fidélité de vos trois albums avec les lieux traités, Ouessant, Belle-Île-en-Mer et Sein, on imagine aisément que vous vous êtes rendus sur ces îles de Bretagne pour vous imprégner des ambiances insulaires…

PW : Oui, Nico l’a dit… je suis un peu globe-trotteur. Au fil de mes voyages je prends des notes et je me dis qu’un jour elles serviront peut-être à quelque chose. Et puis, le temps passe et un souvenir de voyage se transforme en scénario. Pour que cela se produise, il faut que je ressente une forte émotion lors du voyage. Ce qui a été le cas au fil de ces îles bretonnes.
N : C'est toujours très agréable d'aller sur les îles bretonnes. Si j’étais déjà allé à Ouessant et à Belle-Île, j'y suis quand même retourné pour préparer les albums. Comme à Sein d'ailleurs, que j'ai découvert à cette occasion, mais où je suis déjà retourné depuis. 


Extrait de Ouessantines © Nicoby - Weber / Vents d'Ouest

Avant d’aborder votre nouvel album, Sang de Sein, revenant sur vos précédentes collaborations, à commencer par Ouessantines paru en 2013. L’histoire d’une jeune femme non insulaire s’installant sur l’île d’Ouessant pour ouvrir une maison d’hôtes…

PW : En découvrant Ouessant, j’avais été frappé par le sentiment d’être vraiment au bout du monde ou au bout d’un monde. J’ai aussi compris à quel point il ne devait pas toujours être simple d’être adopté par les îliens et c’est d’ailleurs ce qui rend les choses intéressantes. Chaque fois que je visite un lieu et qu’il me touche, je me plonge dans la littérature qui le concerne. Les histoires, les légendes, les faits divers… tout me passionne ! Par ailleurs, je voulais depuis longtemps explorer la voie du récit plus intimiste. C’est à contre-courant par rapport à ma production habituelle placée sous le signe de l’Histoire. J’ai adoré écrire ce livre.
N : Les îles de Bretagne se prêtent vraiment bien à ce type d'intrigue, ce sont des huis clos naturels, et en même temps, ils offrent plus de liberté narratives qu'un vrai huis clos parce qu'elles sont suffisamment grandes pour que les personnages se fassent oublier le temps de quelques pages, elles offrent une grande variété de lieux et de décors. 


Extrait de Ouessantines © Nicoby - Weber / Vents d'Ouest

L’air de rien, vous mettez en scène des Ouessantins peu amènes à accueillir de nouvelles têtes. Est-ce le ressenti que vous avez observé en vous rendant sur l’île du bout du monde ?

N : J'ai toujours été très bien accueilli à Ouessant comme ailleurs. Ceci étant, les îliens eux mêmes reconnaissent qu'il n'est pas évident de venir s'intégrer à leur communauté quand il s'agit de venir vivre sur l'île.
PW : J’avoue avoir été un peu surpris au début par le côté âpre de certains contacts humains et je me suis vraiment senti un vilain citadin en arrivant. Puis, après quelques jours, les conversations se sont engagées et des sourires sont apparus. J’ai beaucoup aimé cette idée d’être un étranger qui avait tout à prouver. J’avais très envie d’être apprivoisé ou même adopté, à mon humble niveau…


Extrait de Belle-Île en père © Nicoby - Weber / Vents d'Ouest

Puis vient en 2015 Belle-Île en père mettant en scène une jeune starlette de télévision se rendant sur les traces de l’extravagante Sarah Bernhardt qui résidait régulièrement sur la plus grande île de Bretagne…

PW : C’était une suite sans en être une. Dans mon esprit naissait doucement l’idée d’une série avec des points communs. Une histoire d’île, de femme et un mystère. C’est simple et compliqué à la fois. Ce que j’aimais avec Belle-Île, c’était le côté touristique et la part de mystère que pouvait conserver cette île. Avec un drame familial en toile de fond.
N : Nous étions très contents de reprendre la mer ! Ce livre n'était pas prévu au moment de Ouessantines, c'est une fois celui-ci terminé qu'on s'est dit « et si nous repartions quelque part ? » Aucun de nous trois, puisque la coloriste Kness est de l'aventure depuis le début, n'a longtemps hésité. 


Extrait de Sang de Sein
© Nicoby - Weber / Vents d'Ouest

Lors de vos séjours sur les îles bretonnes, quelles anecdotes gardez-vous en mémoire ?

N : Ce qui m'a le plus marqué sur ces îles, c'est une sensation de dépaysement. On est à seulement quelques kilomètres de la terre et pourtant, c'est comme si les problèmes du continent ne venaient pas jusque-là. Une sorte de douceur de vivre, qui commence avec l'arrivée du premier bateau et s'arrête avec le départ du dernier.
PW : Je me sens étrangement bien sur une île. Un peu comme si j’étais protégé mais sans savoir pourquoi. Je suis historien de formation et journaliste de profession, dès lors, je fais mon enquête à propos des lieux que je visite. À Ouessant, j’ai été frappé par le rôle des femmes. À Belle-Île, par le souvenir de Sarah Bernhardt. À Sein, par le mystère d’un phare mythique et inaccessible.

Récemment paru, Sang de Sein met en scène un cénacle de spécialistes du crime (deux romanciers, un spécialiste d’Agatha Christie, une réalisatrice de polars télévisuels, un policier à la retraite…) qui s’enferment dans le phare d’Ar-Men, au large de l’île de Sein, pour écrire « le polar ultime »…

PW : Je suis un dingue de roman à énigmes et rien n’est plus fort dans le genre que la notion de huis clos. Du Crime de l’Orient-Express à Mort sur le Nil en passant par Le Mystère de la Chambre jaune, on peut voyager sans quitter une pièce ou un compartiment ! Ce scénario m’est apparu comme un défi lancé à moi-même. Mieux, comme un jeu inquiétant dans lequel j’avais envie d’entrer pour marcher sur les traces d’Agatha Christie et de Gaston Leroux.
N : C'est ça, Patrick a poussé le concept du huis clos îlien encore plus loin avec cette idée d'utiliser Ar-Men comme décor. Ce phare est tellement improbable de par sa situation qu'il crée déjà une sensation de mystère...

À la lecture de vos albums, on ressent que vous aimez ces lieux perdus au milieu des flots. Les îles de Bretagne sont donc des décors de bande dessinée ? Comment appréhendez-vous ces lieux ?

PW : Je regrette que la Bretagne soit aussi éloignée de ma petite Belgique. J’irais volontiers y passer des week-ends pour m’imprégner toujours plus de ses ambiances et de ses personnages. En plus, je me sens toujours en forme face à l’Atlantique. En fait, je suis un terrien qui a toujours rêvé d’être un loup de mer. Depuis tout petit, le capitaine Haddock me faisait rêver.
N : J'aime bien y aller séjourner. J'emporte de quoi dessiner, de la lecture (sans rapport forcément avec l'album en cours) et je me promène, je dessine là où mes pas me mènent... C'est un repérage très instinctif, mais très agréable et utile.

Après ces trois bandes dessinées au goût iodé, avez-vous le souhait d’entraîner vos lecteurs pour de nouvelles escapades insulaires ? D’autres îles de Bretagne, telles Bréhat, Groix, Molène, les Glénan, Houat et Hoedic ou l’îlot de Quéménès, sont en effet disponibles pour servir de décors à de nouveaux récits…

N : Oui, absolument, c'est en effet une envie que nous avons. Nous aimons bien nous retrouver Patrick et moi sur ces albums, on aurait tort de s'en priver !
PW : Oui, une grande envie de reprendre la mer et d’accoster. Quelque chose me dit que Bréhat serait une bonne option, mais chut…


Le journaliste Brieg Le Plouec'h du quotidien Grand Ouest
extrait de 
Belle-Île en père © Nicoby - Weber / Vents d'Ouest

On ne résiste pas à évoquer certains clins d’œil glissés dans vos albums. Ainsi, vous nous représentez en correspondant local du journal du coin dans Belle-Île en père et en romancier à succès, totalement odieux, dans Sang de Sein. Ça vous amuse donc de glisser de tel private joke ?

N : Je suppose que c'est une stratégie de Patrick Weber pour amener les journalistes de la région à s'intéresser à nos albums et à nous interviewer à battons rompus. Technique très efficace, n’est-ce pas ?!
PW : N’oubliez pas que je suis journaliste et que je connais bien mes congénères ! J’adore mon métier mais cela ne m’empêche pas de jeter un regard critique sur la profession.


Le mégalomane Brieg Mahé, lauréat du Prix Eugène Brillant pour son roman narcissique
Mes émois et moi, extrait de Sang de Sein © Nicoby - Weber / Vents d'Ouest


Extrait de Sang de Sein
© Nicoby - Weber / Vents d'Ouest

De même dans Sang de Sein, les bédéphiles reconnaîtront également François Rivière, alias François Dulac, biographe d’Agatha Christie, également grand spécialiste d’Edgar P. Jacobs dont il a cosigné une biographie de référence…

PW : Je suis ami avec François Rivière depuis toujours et j’éprouve une admiration sans borne pour sa culture en matière de littérature populaire. Je ne lui ai rien dit de sa présence dans l’album, il doit encore la découvrir. Je me demande vraiment quelle sera sa réaction. Ce n’est pas un private joke gratuit, c’est une manière de pratiquer un jeu de miroirs entre la fiction et la réalité.
N : Ce genre de clin d’œil n'entrave pas la lecture et ajoute un petit piment à ceux qui les perçoive. J'adore ça, j'en mets très régulièrement dans mes bandes dessinées.

Nicoby, dans un registre différent, avec Pierre-Roland Saint-Dizier et Joub, vous publiez début juillet Le Signal de l’océan, l’histoire d’un complexe immobilier que l’érosion des côtes menace et qui sensibilise sur la montée des eaux face à l’urbanisation… Pouvez-vous nous présenter ce nouvel album coédité par Glénat et le Conservatoire du Littoral ?

N : Le Signal de l'océan est un travail un peu différent, mais aussi très agréable. C'est avant tout une collaboration avec mon vieux complice Joub. Pour nous, c'est une nouvelle occasion de croiser nos traits sur un album. En gros, j'assure le découpage sous forme de storyboard et Joub assure toute la finalisation et mise au propre du dessin. Le fait que cette histoire se passe en bord de mer permet à son dessin de donner toute sa puissance, c'est en tout cas ce vers quoi je tends quand j'imagine le découpage de chaque planche.  


Extrait de Sang de Sein © Nicoby - Weber / Vents d'Ouest

Partager sur FacebookPartager
Brieg Haslé-Le Gall
09/05/2018