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Entretien avec Dominique Roques et Alexis Dormal

"Pico a un regard sur la vie très différent de celui de ses parents..."

Pico Bogue est le fils aîné d'une famille tout ce qu'il y a de plus normal, c'est-à-dire unique, extraordinaire et parfois complètement folle ! Avec sa petite soeur, Ana Ana, il traverse la vie avec autant de certitudes que d'interrogations, ce qui vaut à ses parents et à ses grands-parents des crises de toutes sortes : crises de rire, crises de désespoir, crises d'amour... toujours ! Apparu voici dix ans dans le paysage déjà bien fourni des séries familiales humoristiques, Pico Bogue y a rapidement gagné sa place par la finesse de son humour et la délicatesse de sa mise en images, rehaussée de lumineuses aquarelles. Nous avons rencontré ses auteurs, Dominique Roques et Alexis Dormal. Ceux-ci confèrent à la série un caractère doublement familial puisque la première, scénariste, n’est autre que la maman du second, dessinateur.

Comment est né Pico Bogue ?

Dominique Roques : Par césarienne (rires) ! Je dis ça parce que d’une certaine manière, nous nous sommes ouverts le ventre. Créer un personnage, et une série, ne vient pas seulement du cerveau. Les idées viennent de là, certes, mais si on veut y associer des sentiments, des sensations, alors il faut y mettre plus encore de soi, y mettre ses tripes, comme l’on dit.

Alexis Dormal : En fait, même si je dessinais, je n’imaginais pas vraiment faire un jour de la BD, moins encore peut-être avec Maman pour scénariste. Mais elle s’intéressait à ce que je faisais, et puis un jour elle a écrit une histoire qui a constitué la base de l’univers de Pico. Elle savait ce que j’aimais, Sempé, Calvin et Hobbes, Mafalda… et j’ai adoré ce qu’elle m’a fait découvrir.

DR : On s’est lancés dans cette aventure de manière un peu irresponsable. Le secteur de la BD familiale d’humour est très fréquenté et nous nous sommes jetés là-dedans spontanément, sans expérience. Mais finalement, je pense que les BDs que nous lisions et qui nous rendaient heureux nous avaient éduqués à ce mode d’expression.

AD : Et d’ailleurs Pico, lui, travaille à se rendre heureux !

Une collaboration mère-fils, c’est plutôt exceptionnel. Cela influence-t-il votre manière de travailler ?

DR : Non, j’écris assez facilement, ça vient comme ça. Je soumets ce que j’écris à Alexis, on en discute, il retient ce qui lui plaît. Et si plusieurs gags ou historiettes fonctionnent sur le même thème, il est possible que l’on choisisse la direction de l’album en fonction de ceux-ci.

AD : Charles M. Schulz, le créateur des Peanuts, disait qu’il était difficile de trouver une chute humoristique, mais surtout la situation qui l’entraînait. Définir la direction ou la thématique d’un album ou d’une partie d’un album exige de trouver le moteur narratif qui va engager le personnage dans l’histoire. Dans le cas de Pico Bogue, c’est un regard sur la vie, ou sur un aspect de la vie que nous développons. Le dernier tome parle de l’étymologie, mais pour L’amour de l’Art, le thème était dans le titre. Dans Carnet de bord nous abordions plutôt la gourmandise des enfants…

Vous arrive-t-il de vous rencontrer sans parler de BD ?

DR : Ah oui, heureusement, avec une relation mère-fils et pas uniquement scénariste-dessinateur. Dernièrement, on a, par exemple, beaucoup parlé de chocolat (rires) !

Votre dernier album, L’étymologie avec Pico Bogue, hors-série, est assez particulier…

DR : Oui, mais il s’inscrit cependant dans une suite logique. Pico essaye de se débrouiller dans la vie avec les mots, et les utilise pour défendre sa logique face à celle des adultes. C’est un aspect de la série qui s’est renforcé au cours du temps. Nous en sommes venus à rechercher l’étymologie de certains mots, avec l’envie d’en décoder le sens original et nous avons eu de nombreuses surprises. Le sens actuel que l’on donne à certains mots est totalement différent de celui de leurs origines, parfois même son opposé. Ca pouvait être amusant d’exposer nos trouvailles dans un album, avec Pico Bogue pour intermédiaire.

N’avez-vous jamais envisagé de développer une histoire suivie, de faire vivre à Pico une aventure en 44 ou 46 planches ?

AD : Pas vraiment, non. Parce que, justement, avec le choix d’une thématique pour un album ou une partie d’album, on tend tout de même vers cela. Et puis je pense qu’en 10 ans, l’univers de Pico s’est construit et développé sur ce format de gags ou d’histoires courtes. Je pense que Jean Roba, pour un Boule et Bill, était passé à une histoire complète. Mais dans mes souvenirs de lecteur, il ne me semble pas que ça avait été fort concluant par rapport aux autres albums de la série.

Souvent, dans Pico Bogue, par rapport aux situations présentées et…au sens de la répartie de Pico, on arrive presque à se demander qui sont vraiment les adultes et qui sont les enfants…

DR : Mais il s’agit là d’une des thématiques principales de la série, la communication entre différentes générations, et sa difficulté. Pico a un regard sur les choses, la vie, très différent de celui de ses parents. Sans doute est-ce aussi pour cela que la série plaît à un public d’enfants comme à des lecteurs adultes. Sans doute les deux catégories de lecteurs s’y retrouvent-elles…avec leurs différences !

Vous évoquez l’âge des lecteurs, or, à côté de Pico Bogue, vous avez développé la série Ana Ana qui compte aujourd’hui 12 albums…

AD : Et qui s’adresse aux plus petits. On se détache un peu de l’univers de la BD puisqu’il s’agit là de livres pour enfants. L’idée nous en est venue suite à une conversation avec notre éditeur, et Ana Ana, la petite sœur de Pico, nous semblait le personnage idéal pour nous adresser à un tout jeune public.

DR : Pour Ana Ana, on essaye vraiment d’adopter le point de vue et le ressenti d’un petit enfant. Ana Ana vit ses histoires avec ses doudous. Mais chacun d’eux a son caractère, sa personnalité. Et donc tout ce petit monde doit apprendre à fonctionner au mieux, à vivre en groupe. Ce qui n’est pas toujours simple. Mais c’est comme un pansement, ça exorcise certaines petites blessures du quotidien.

AD : Les parents nous confient qu’ils s’amusent beaucoup avec Ana Ana, et moi je dois vous avouer que je ris souvent en la dessinant.

En parlant de dessin, Alexis, on constate que d’une part vous rendez vos personnages expressifs en deux ou trois traits et que, d’un autre côté, quand plusieurs cases successives comportent le même décor, vous préférez le redessiner plutôt que de le répéter par un autre moyen. Et puis il y a l’aquarelle, qui caractérise aussi vos séries…

AD : Il y a tellement de séries qui ont nourri mon intérêt pour la BD, et tellement de créateurs qui m’ont certainement influencé, consciemment ou non ! Je pense aussi que ce qui m’a fasciné dans la BD, c’était la sensation de vie qu’elle pouvait restituer, ou ce que je ressentais comme tel. La découverte des aquarellistes a constitué un autre choc pour moi. Pourtant, a priori, cette technique n’a rien en commun avec la BD. Mais quand on mesure ce qu’une tache d’eau colorée peut rendre comme chaleur, comme lumière, c’est assez fascinant ! Aujourd’hui j’essaye de combiner les deux, l’expressivité de Calvin et Hobbes et le plaisir de l’aquarelle. J’apprécie aussi une forme d’intemporalité. Pico n’a pas de caractéristiques vraiment actuelles, en fait. J’aime bien dessiner et peindre des intérieurs chaleureux, lumineux, des planchers, des jardins, de la végétation, tout ce qui me fait plaisir, et finalement l’appliquer à l’environnement de Pico Bogue.

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Pierre Burssens
22/10/2018