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Entretien avec Laurent Libessart et Marc Bourgne

Rigueur historique et orientation jeunesse ne sont pas incompatibles... Démonstation avec Alix origines !

58 avant J.-C. Les Helvètes déferlent sur la Gaule, pourchassés par les cinq légions de Jules César. Alix, âgé de sept ans seulement, ignore que sa destinée sera bientôt à jamais bouleversée. Fils d'un chef de clan celte, il va devoir lutter pour la survie de sa famille. Et grandir plus vite qu'il ne l'aurait voulu...

Après Alix senator, ce sont l'enfance et la jeunesse d'Alix que nous fait découvrir Alix origines. Changement de style graphique, changement de style narratif, cette nouvelle série s'adresse prioritairement à un jeune lectorat. Pourtant, pas question de brader les qualités ni l'esprit insufflés dans son oeuvre par Jacques Martin. Au contraire, la fidélité aux récentes sources archéologiques est de rigueur pour cette (re)mise au goût du jour. Passionnés d'Histoire et d'histoires, Marc Bourgne (scénario) et Laurent Libessart (dessin) nous parlent de L'enfance d'un Gaulois lors de sa sortie à la Foire du Livre de Bruxelles.

Marc Bourgne : L’initiateur du projet est Benoît Mouchart. C’est quelque chose qu’il avait en tête depuis un certain temps. Il savait que j’aime beaucoup Alix et que j’ai fait des études d’histoire et il m’a proposé d’y travailler.

Jacques Martin a-t’il donné des indications quant à l’enfance d’Alix dans sa série ?

MB : Oui, réparties dans différents albums, mais elles sont parfois contradictoires. Ainsi on connaissait le nom de son père, les raisons de son esclavage…  On retrouve des informations dans Alix l’Intrépide, Le sphynx d’or, Iorix le grand, c’était à Khorsabad… On sait qu’il appartenait au peuple des Eduens, pourquoi, avec son père, il a été enrôlé dans la légion de Crassus, et, enfin, on sait qu’il a une sœur. Un des défis d’Alix Origines était de rendre cela cohérent, en étant respectueux de l’œuvre de Jacques Martin et de ses lecteurs.

Laurent, comment avez-vous procédé pour « rajeunir » un personnage aussi connu ?


Laurent Libessart

Laurent Libessart : Ca n’a pas été si compliqué que ça…  Alix fait, d’une certaine manière, partie de mon paysage de lectures depuis que je suis gamin. Je le connais bien et je n’ai pas vraiment eu à me l’approprier. J’ai envisagé Alix Origines un peu comme ce qui se fait dans les comics, en essayant de trouver le style de dessin qui pouvait le mieux se prêter au projet, et donc de travailler avec ces codes visuels. D’autre part, j’avais réalisé deux tomes de la série Le casque d’Agris (Assor BD), dans un style réaliste classique, et cela m’a formé à intégrer des éléments issus de sources archéologiques dans un récit d’aventure. Cette expérience m’a été utile pour aborder L’enfance d’un Gaulois et plus globalement Alix Origines.

A qui s’adresse la série ?

MB : L’idée est de toucher un public jeune, des lecteurs qui auraient plus ou moins le même âge qu’Alix dans L’enfance d’un Gaulois et qui étudient l’histoire ou le latin au collège, mais sans se couper du lectorat de la série-mère. En même temps, pour moi, c’est l’occasion de répondre à des questions que je me posais en fonction des indications laissées par Martin. Pourquoi Astorix est-il victime d’un piège ? Pourquoi le chef d’un clan éduen, peuple frère du peuple de Rome, en vient-il à s’opposer aux Romains ? On complète le passé d’Alix en veillant à sa cohérence…

LL : Je tiens à insister sur le fait que, graphiquement, je ne suis pas le seul élément de l’équation. Mon dessin est renforcé par l’apport de Florence Torta, la coloriste. Elle travaille beaucoup pour Soleil éditions et sa gestion des couleurs est très actuelle et donc très différente de celle de la série classique. Florence arrive dans un univers qui ne lui est pas du tout familier, mais de ce côté aussi nous veillons à nous conformer aux sources archéologiques.

Peut-on considérer cette fidélité historique comme l’une des caractéristiques d’Alix origines ?

MB : Absolument. Cet élément nous tient à cœur, et il s’agit d’un point sur lequel Benoît Mouchart a insisté dès le départ. De plus, nous voulons être rigoureux, précis, si nécessaire conseillés par des historiens dans la mesure où c’était aussi une des préoccupations de Jacques Martin. L’image des Gaulois transmise par ce dernier est tout de même plus réaliste que celle donnée par Astérix ! Mais Jacques Martin travaillait avec la documentation et les informations archéologiques de son époque, or ce domaine évolue tout le temps. Et l’imagerie que le grand public a des Gaulois est généralement conditionnée par celle de peintres du XIXe siècle ! A nous d’établir un équilibre entre tout cela pour amener au lecteur quelque chose qu’il puisse accepter en étant le plus fidèles possible à la réalité historique !

Dès la couverture, le changement de style de dessin est évident, mais on découvre ensuite que la manière de raconter l'est tout autant…


Marc Bourgne

MB : Assez logiquement, la narration est plus moderne, les dialogues plus actuels. Les bulles sont rondes et on n’a pas essayé de copier le style de lettrage de Jacques Martin. La mise en page est, elle aussi, très différente. Personnellement, j’essaye de ne jamais utiliser de narratifs. Je n’aime pas ça du tout et, souvent, ça ne sert pas à grand-chose. D’ailleurs Jacques Martin en utilisait peu. Le premier narratif apparaîtra seulement en ouverture du tome 2, pour resituer ce qui s’est passé dans L’enfance d’un Gaulois !

S’immiscer dans un univers qui fait assurément partie des classiques de la BD, n’est-ce pas, quelque part, intimidant ?

MB : Pour moi ça n’a pas vraiment constitué une difficulté. Je connais Alix depuis toujours, ce n’est pas comme si je découvrais l’œuvre de Jacques Martin. Et puis j’ai déjà repris Barbe-Rouge et Michel Vaillant. Je pense que dans ce contexte, le plus intimidant était sans doute Michel Vaillant, car Jean Graton, son créateur est toujours vivant.

LL : Je n’aurais pas pu dire non à ce projet, car il associe une série orientée jeunesse à ce souci de rigueur historique. Je recherchais ce type d’association. Or, généralement, soit les éditeurs destinent un album à la jeunesse et on fonctionne dans le « vite fait bien fait », soit l’album vise un public adulte et là il y a de la place pour la rigueur. Ici, on pouvait s’orienter vers quelque chose de dynamique qui tourne le dos à certains clichés pour se baser sur les connaissances archéologiques actuelles qui ne cessent d’évoluer.

Alix origines, Alix senator, un parallèle ?

MB : Il s’agit de deux séries dérivées, l’une présentant Alix plus jeune que dans la série-mère, et l’autre avec le héros plus âgé. Il y a une vraie recherche de rigueur historique dans les deux, Valérie Mangin a d’ailleurs une formation supérieure à la mienne dans ce domaine. Mais Alix senator, par son type d’intrigues et sa violence s’adresse clairement à un public adulte.

Quand Alix senator a été annoncé, les lecteurs se sont posés pas mal de questions. Vous attendiez-vous à ce genre de réaction pour Alix origines ?

LL : On s’attendait à une petite controverse quant au style graphique. Mais le projet a été soumis au comité Martin, dont font partie les deux enfants de Jacques Martin et qui est très attentif à tout ce qui tourne autour de son œuvre, et il leur a plu tout de suite.

MB : Pas une virgule du scénario n’a été changée. A partir de là, nous savions que nous étions en bonne voie.

LL : Une première image du jeune Alix avait été présentée au festival d’Angoulême l’an dernier, et là les fans «hardcore » de la série-mère avaient manifesté leur désapprobation, mais depuis je pense que les puristes ont passé outre…

MB : Les lecteurs ouverts reconnaîtront la fidélité d’Alix origines à l’esprit de la série de Jacques Martin, de même que la rigueur de Laurent par rapport aux sources historiques.

Envisagez-vous Alix origines comme une série au long cours ?

MB : Oui, car on dispose de dix années de la jeunesse d’Alix avant de se raccrocher à la série-mère. Aussi curieux que cela puisse paraître, l’entièreté de celle-ci se déroule sur…3 ans. Nous avons donc de la marge. Les deux premiers tomes constituent un cycle, mais la série se poursuivra.

LL : L’idée de Benoît Mouchart est que l’on puisse s’articuler à la série de Jacques Martin et, plus loin, envisager un éventuel reboot des tout premiers albums dont la lecture est devenue d’un accès difficile pour les plus jeunes lecteurs.


Premières dédicaces...

L’album sort à l’occasion de la Foire du Livre de Bruxelles, cela représente-t-il quelque chose de particulier pour vous ?

MB : Nous sommes français, comme Jacques Martin, mais il était belge d’adoption. Casterman a mis son stand aux couleurs d’Alix origines, on ne va pas s’en plaindre ! Comme l’album sort ces jours-ci, le public que nous rencontrons en dédicace ne l’a pas encore lu. Jusqu’à maintenant, il s’agit de lecteurs adultes, mais qui souvent achètent deux exemplaires de L’enfance d’un gaulois, un pour leur collection et un pour offrir à un neveu, un petit-fils…  Donc, voilà, la porte commence à s’ouvrir pour une nouvelle génération, des enfants de notre époque. C’est d’ailleurs assez amusant de penser à cela, alors que quand Martin créait Alix, la BD, dans sa globalité, s’adressait aux enfants !

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Pierre Burssens
20/02/2019