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Entretien avec Carbone

"Il est indispensable de garder les pieds sur terre..."

Les choses vont vite, exceptionnellement vite pour Carbone ! Nous avions déjà pu apprécier les deux tomes de La boîte à musique, la première enquête des Zindics anonymes est parue en janvier, et  le 1er mars le premier volet de Dans les yeux de Lya  sera disponible en librairie. Trois autres séries suivront, probablement quatre…et d’autres idées risquent bien de s’imposer entre-temps à la scénariste. Bénédicte Carboneill  semble décidément appelée à occuper une belle page du catalogue Dupuis. L’éditeur, en tous cas, croit en elle, à tel point que nous avons été invités à rencontrer…le nouveau Raoul Cauvin !

Carbone : Oh la la, c’est extrêmement flatteur mais je n’ai pas cette prétention ! J’ai la chance d’avoir six séries signées aux éditions Dupuis, et un autre projet est en cours de validation. Il m’est encore un peu difficile de réaliser vraiment tout ce qui se passe. Voir un album imprimé avec mon nom sur la couverture me paraissait déjà irréel lors de la sortie du premier tome de La boîte à musique (dessin Gijé) ! Depuis, Le secret de Cyprien, le tome 2 a été publié. Le premier album des Zindics anonymes (dessin James Christ) est sorti en janvier et le premier volet de Dans les yeux de Lya (dessin Justine Cunha) paraît le 1er Mars, après une présentation en avant-première lors de la Foire du Livre de Bruxelles. C’est juste incroyable !

Aviez-vous démarché auprès d’autres éditeurs avant Dupuis ?


Carbone dédicace avec Justine Cunha

Oui, pour un premier projet, Le pass'temps . Jungle m’avait répondu et j’avoue que je n’envisageais pas vraiment Dupuis. Est-ce que j’y croyais totalement ? Finalement j’ai quand même envoyé unprojet à l’adresse mail générale de l’éditeur et j’ai eu la surprise de recevoir une réponse enthousiaste…trois semaines plus tard ! Il avait fallu le temps que mon message soit transmis à un éditeur après quelques détours, en l’occurrence à une éditrice, Laurence Van Tricht. Celle-ci manifestait son intérêt pour et m’invitait à poursuivre, à lui en envoyer d’autres. Les choses se sont mises assez rapidement en place mais je n’avais pas de dessinateur pour Les zindics anonymes. Deux mois plus tard je lui envoyais La boîte à musique, qui intéressait déjà d’autres éditeurs, et pour lequel le contact avec Gijé était déjà établi. Et ces deux projets ont été très rapidement validés. J’étais sur un petit nuage !

A partir de là, la porte était entr’ouverte ?

En tous cas, les bonnes nouvelles se sont enchaînées. Rétrospectivement, je pense surtout que j’arrivais au bon moment. Dupuis était ouvert à de nouveaux projets, à de nouvelles séries…  J’ai savouré cela assez tranquillement pendant deux ans, puis est venu le temps des « suites » qui a exigé une réorganisation et des choix de ma part. Il ne m’était plus possible de continuer à enseigner, même à mi-temps. La semaine à l’école, le week-end en festivals ou en salons BD…et les sollicitations  qui commençaient à se multiplier…  J’ai donc choisi la BD, et quand je retourne en classe, c’est lors d’animations scolaires. J’ai heureusement la chance de travailler assez vite alors que la réalisation d’un album implique un long processus, mais nous sommes en 2019 et là, mon planning porte jusqu’à 2021…en attendant les suites ! Pour La boîte à musique, par exemple, le synopsis du tome 4 vient d’être validé. Je m’impose un planning pour pouvoir tout gérer et je m’efforce de le respecter…sauf si une nouvelle idée survient !

Lors de notre rencontre avec Gijé, vous nous aviez expliqué que l’idée générale de La boîte à musique était venue de l’un de ses dessins…

Oui, un vrai coup de cœur visuel !  Pour Lya ça s’est déroulé de la même manière. J’ai vu un dessin de Justine Cunha représentant une petite rouquine…et j’ai tout de suite vu ce personnage dans une histoire…qui m’est venue très vite ! Quant à son prénom, comme j’ai choisi celui de Nola, l’héroïne de La boite à musique car c’est celui d’une fille d’un couple d’amis, et que Nola, dans la vraie vie, a une sœur qui s’appelle Lya…ce n’était pas très compliqué ! 

Pour Les zindics anonymes, le départ a été un peu plus difficile puisque je disposais de l’histoire mais pas du dessinateur. Nous avons procédé à pas mal de tests avec mon éditrice Laurence Van Tricht et James et son dessin se sont imposés. De ce côté, le tome 2 est en cours de réalisation et je me prépare à attaquer le scénario du troisième album. Chaque tome constituera une histoire complète. Dans les yeux de Lya donnera lieu à un triptyque, mais nous avons une autre série en préparation avec Justine, cette fois coscénarisée avec Nicolas Bary (scénariste et réalisateur et producteur, notamment, de l’adaptation cinématographique du Petit Spirou). Le monde des cancres devrait donner lieu à six albums. Il s’agira  d’une nouvelle expérience. Nicolas amène un univers mais de nombreux éléments devront être créés ou affinés. Justine alternera les épisodes de Lya et de ce nouveau projet, afin que nous puissions en présenter le premier album au FIBD d’Angoulême en 2021, avec un délai assez court entre la publication du tome 1 et du tome 2. Ensuite viendra, toujours en 2021, La sentinelle du petit peuple, là aussi avec une coscénariste, Véronique Barrau  et avec Charline Forns  au dessin, et La Brigade des souvenirs  coscénarisée avec Cee Cee Mia, et dessinée par Marko (Les godillots, Le jour où…).

Vous citiez Angoulême, là aussi vous avez eu une belle surprise…

Absolument, le Prix des écoles a été décerné à La boîte à musique ! Etre en lice pour un prix à Angoulême était déjà un honneur en soi, mais cette récompense nous a particulièrement touchés, Gijé et moi, parce que ce sont des enfants, notre premier public, qui ont voté. Nous avions déjà reçu le Prix de la Ligue de l’Enseignement à Blois, mais un prix à Angoulême est tout de même auréolé d’un prestige particulier. Là aussi, je me trouvais sur mon petit nuage, ou plutôt la tête dans les nuages et les pieds sur terre. Il est indispensable de garder les pieds sur terre, car j’essaye de ne pas perdre de vue qu’aussi positive soit cette dynamique, elle reste fragile, et, au pire, tout peut s’arrêter demain.


La boîte à musique (dessin Gijé)

Vos scénarios sont « tous publics » mais plutôt orientés jeunesse. S’agit-il d’un choix ?

Inconsciemment, sans doute…  Mais je viens de là, il s’agit d’un public que je connais bien, grâce à mon expérience dans l’enseignement, et d’une certaine manière je ressens cette orientation comme plus légitime que, par exemple, de me lancer dans un projet réaliste clairement destiné aux lecteurs plus âgés ou adultes. Cependant j'ai envie de tenter l'expérience. J'ai un projet de roman graphique aux éditions Steinkis Steinkis, ce squi est complètement nouveau pour moi, mais on verra…


Les zindics anonymes (dessin James Christ )

Revendiquez-vous un « style Carbone » ?

Je n’en sais rien ! Certains lecteurs me disent retirer des « messages » de mes histoires, mais personnellement je ne me pose pas ce genre de question. Je pense que cela dépend du regard de chaque lecteur sur le scénario, au premier, deuxième ou même troisième degré. Il semble que La boîte à musique parle à tout le monde, enfants ados et adultes. Mais moi, j’écris avant tout une histoire et je ne me rends pas vraiment compte du reste. Il y a forcément une part de moi dans chaque scénario et je ne m’impose pas de barrières,  mais c’est l’histoire qui prime !

Nous vous avions rencontré lors du Festival Spirou à la Fête de la BD, nous sommes à la Foire du Livre de Bruxelles, vous avez évoqué Angoulême…  Est-ce important ces rencontres avec les lecteurs ?

Oui, et la prépublication dans Spirou m’a permis d’en prendre vraiment conscience. Les lecteurs me confient des avis, des remarques, des questions qui peuvent orienter, dans une certaine mesure, la suite d’une histoire. J’essaye d’y être attentive, et ça nous a, par exemple, amené à changer deux planches dans le tome 2 de La boîte à musique. Nous voulions apporter un début de réponse à des questions concernant la disparition de la maman de Nola. Je ne pensais pas m’attarder sur le sujet, mais comme visiblement plusieurs lecteurs voulaient en savoir plus, ça nous a permis de rebondir là-dessus avec Gijé, d’apporter un petit « plus ».

Dans les yeux de Lya sort ici en avant-première, et les lecteurs ont pu découvrir l’histoire dans Spirou. Justine et moi recueillons les premiers avis lors des séances de dédicaces et ça se passe plutôt bien !

On peut imaginer qu’un jour vous ayez 3 ou 4 histoires publiées simultanément dans Spirou. Comment réagirez-vous ?

Ouh la…je ne veux même pas y penser ! Ce que je vis pour le moment me semble déjà tellement incroyable…  Un jour, en évoquant les tirages de La boîte à musique, un ami m’a dit que c’était comme si une bonne moitié du stade de France était en train de lire la BD. J’essaye de me figurer cela…  En fait tout s’est passé rapidement et je n’ai pas l’impression d’en être là. Je suis toujours surprise ! Peut-être s’agissait-il d’un alignement de planètes favorable ou de quelque chose du genre…

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Pierre Burssens
27/02/2019