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Entretien avec Jean-Luc Cornette

"Le désert et la mer ne nécessitent pas beaucoup de texte..."

Après s'être consacré au scénario pendant une dizaine d'années, en abordant notamment des biographies de grands peintres, c'est par l'adaptation d'un roman que Jean-Luc Cornette revient à la BD comme auteur complet. La perle raconte l'histoire de Kino, un pêcheur de perles qui vit avec sa femme Juana et leur bébé Coyotito en Basse-Californie. Leur vie est rythmée par les gestes simples de la vie, dans un ordre immuable des choses : dormir, manger, s’occuper de leur enfant, prendre la barque, pêcher des huitres, chercher des perles. Jusqu’au jour où Kino, dans l'espoir de pouvoir payer le médecin capable de soigner Coyotito, piqué par un scorpion, pêche une perle énorme « parfaite comme la lune »... Pour adapter cette sombre fable sociale écrite par John Steinbeck, Jean-Luc Cornette a redéfini son dessin et opéré des choix scénaristiques audacieux. L'auteur nous les explique.

Pourquoi avoir choisi d’adapter La perle ?

Jean-Luc Cornette : Ca s’est fait un peu par hasard. En lisant le livre de Steinbeck, dont le sujet et l’histoire m’interpellaient, j’avais l’impression de voir mentalement les images se créer... et c’est surtout ça qui m’a donné envie de l’adapter et de redessiner, ce que je n’avais plus fait depuis une dizaine d’années pour me consacrer au scénario. Une fois cette envie précisée, je me suis trouvé confronté au problème qui peut se poser pour toute adaptation, celui des droits.

Justement, de quelle marge de manoeuvre disposiez-vous par rapport à l’oeuvre originale ?

Elle ne m’a pas été signifiée précisément. Au départ, un dossier a été envoyé aux ayant-droits de John Steinbeck. J’ai profité d’une résidence au Québec pour l’élaborer, pour y joindre un document expliquant ce qui m’attirait dans cette adaptation, exposer mes intentions, ce que je voulais en faire le plus précisément possible. Ceci accompagnant une série de planches. Futuropolis a transmis le tout aux agents des héritiers de Steinbeck en France. A partir de là, tout dépendait de leur réaction. Si ce n’était pas à leur goût, pour moi ça représentait trois mois de boulot pour rien et une vingtaine de planches qui finissaient aux oubliettes...  Heureusement, leur avis positif a mis fin au suspense !

Vous vous êtes longtemps consacré exclusivement au scénario, celui d’une adaptation implique-t-il une manière de travailler différente de celui d’une pure création ?

Complètement ! Ici, pour résumer, je dirais que j’ai travaillé dans le sens totalement opposé à celui que j’adopte quand j’écris un scénario pour un autre dessinateur. J’essaye alors d’être le plus précis et le plus complet possible, de transmettre à mon binôme quelque chose de très solide. Pour La perle, j’ai pratiquement avancé au jour le jour, avec le roman devant moi et en passant par un très léger storyboard élaboré progressivement.

Revenir au dessin après dix ans, comme on le constate, passait par une redéfinition de celui-ci...

Oui, mais sans direction précise au départ. J’avais alors d’autres envies et j’ai expérimenté pas mal de choses, des encres, du crayon. Je me suis dirigé petit à petit vers un style très encré, avec de grands aplats de noir, se rapprochant de Munoz, assez radical mais...je n’étais pas covaincu que ce soit la bonne option. Et puis, en tâtonnant, j’ai regardé les dessins de Diego Rivera, le peintre mexicain mondialement connu pour ses peintures murales, à Mexico et ailleurs dans le pays. J’ai étudié la manière dont il représentait les Indiens dans ses oeuvres, dont il traitait les corps, et j’ai essayé, modestement, de la synthétiser. Puis, peu à peu, quand j’ai vu que ça fonctionnait, je m’en suis détaché. Depuis, je ne tâtonne plus trop, je dessine tous les jours !

En avançant dans le récit, on prend évidemment conscience de son contexte. Mais votre dessin, en lui-même, a quelque chose de touchant, d’émouvant...

Je voulais vraiment qu’il puisse transmettre toutes les émotions présentes dans le roman et ressenties à sa lecture. De plus, le livre de Steinbeck est peu dialogué, ce qui m’a conduit à choisir, assez radicalement, de faire figurer très peu de texte dans son adaptation. Les personnages sont des Indiens qui sont dans une forme de survie quotidienne. Kino répète les mêmes gestes tous les jours, ce qui l’a installé, avec sa famille, dans une sorte de routine. Ils n’ont plus vraiment besoin de se parler. Le roman comporte peu de dialogues et beaucoup de descriptions. Si j’avais pu, je crois que j’aurais tenté de le traiter sous une forme complètement muette. Le désert et la mer ne nécessitent pas beaucoup de texte...

A l’inverse, vous développez parfois des actions très simples, ou qui peuvent être considérées comme telles en de nombreuses cases et même pages...

Encore une fois, ce choix répond à l’absence de texte, et de plus je voulais éviter les textes off. Dans un film, on n’entend pas ce que pensent les personnages ni ce qui se passe dans la tête du narrateur. Parfois, il est donc nécessaire d’accorder davantage de cases à un fait simple. Et dans le cas de cette BD, comme les planches ne comptent que 3 cases en moyenne, on arrive vite à un nombre de pages relativement important.

Des images de la nature, et notamment de belles scènes sous-marines, occupent une place importante dans votre album...

Je me suis fait plaisir. Et ça a contribué à me décider à me remettre au dessin. Je pense que ça aurait été plus difficile pour moi d’aborder un roman se déroulant dans un décor urbain contemporain. Je suis sensible à la nature, à ce que l’on y découvre, et surtout je trouve que c’est très agréable à dessiner. Curieusement, en lisant une première fois le roman, je pensais développer davantage de scènes avec les chasseurs et leurs chevaux. Donc j’ai travaillé le dessin des chevaux. Et finalement, ces séquences sont assez réduites. On sait que les chasseurs sont sur la piste des fugitifs, mais on les voit assez peu.

La perle et ses thématiques ont quelque chose d’intemporel, on le ressent très bien à la lecture de la BD. On n’est pas loin d’un conte ou d’une parabole...

Cet aspect-là m’a marqué dès ma première lecture du roman. On y retrouve ce dont on parle quotidiennement aux actus aujourd’hui. Les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Steinbeck avait tout capté, dans un bouquin publié aux Etats-Unis en 1947, et il le fait savoir ! Géographiquement, l’action n’est pas située très précisément non plus. On comprend peu à peu où ça se déroule. La ville de La Paz est évoquée, mais il ne s’agit pas de la capitale bolivienne. La Paz est ici située en Basse Californie. J’ai pu la siuer car je me suis rendu deux fois en Basse Californie, mais sans aller jusqu’à cette ville. J’ai parcouru pas mal la région en voiture, j’ai traversé ces décors, je connaissais ces paysages, les cactus etc.

Globalement, combien de temps vous a demandé la réalisation de l’album ?

3 ans, mais en combinant ce projet avec plein d’autres choses. La première moitié du bouquin a demandé plus de 2 ans de travail, avec le dossier dont je vous ai parlé, les essais graphiques etc. J’étais déjà plus à l’aise pour la deuxième, et aujourd’hui, je ressens nettement plus de facilité dans mon dessin qu’il y a 4 ans.

La perle occupe-t-elle une une place particulière dans l’oeuvre de Steinbeck ?

Je n’ai pas étudié particulièrement cet aspect-là. La perle compte 110 pages et se situe entre le roman et la nouvelle, ce que les américains appellent une novella. Steinbeck en a écrit 3 ou 4, à côté de romans nettement plus imposants. La perle n’a pas la notoriété de Des souris et des hommes ou de A l’est d’eden, mais personnellement j’ai encore en tête l’image de mon grand frère le lisant pour l’école. Et lors de séances de dédicaces, plusieurs personnes m’ont confirmé que La perle s’était trouvée au programme de leurs lectures scolaires. De mon côté, jusqu’à 16 ans, il m’a été tout bonnement impossible de lire un bouquin imposé par l’école !

Votre prochain album sera-t-il signé par Jean-Luc Cornette, auteur complet ?


Julie Christie par J-L. Cornette

Je ne sais pas encore, je m’interroge. Là je termine 2 scénarios, mais j’ai vraiment envie de dessiner et de m’exprimer en dessin. J’ai réalisé des aquarelles lors d’un séjour en Guyane, j’ai testé des acryliques...  L’envie est là, de toute manière, et je dessine quotidiennement sans projet précis actuellement, juste pour le plaisir. Mais je ne laisserai certainement plus passer autant d’années avant de revenir au dessin d’une BD.

Sur votre mur Facebook, on découvre que vous signez de nombreux portraits d’actrices réalisés dans un style de dessin proche de celui de La perle...

Oui, mais au départ c’est vraiment par plaisir. Je pense que c’est venu d’un défi Inktober, mais finalement ces dessins s’accumulent et ça me plaît. Je me demande parfois s’il serait possible d’en faire quelque chose... Mais cela pourrait-il intéresser un éditeur ?

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Pierre Burssens
26/03/2019