Auracan » Interviews » Entretien avec BeKa

Entretien avec BeKa

"L'ingrédient essentiel est l'envie..."

Si la série de one-shots (sauf exception) Le Spirou de... est aujourd'hui bien connue, on ne s'attendait pas forcément à voir le jeune  Pacôme Hégésippe Adélard Ladislas, Comte de Champignac, gagner ses galons de héros à part entière au coeur d'aventures qui lui soient consacrées. Pourtant, c'est chose faite grâce au remarquable Enigma, premier épisode d'une série dessinée par David Etien et scénarisée par BeKa. Ces auteurs sont donc entrés par la grande porte dans l'univers de Spirou en redonnant une formidable jeunesse, ancrée dans l'Histoire, au savant créé par Franquin et Henri Gillain. L'album a été récompensé par le Prix BD Fnac Belgique et c'est en prélude à une tournée de dédicaces dans les magasins du groupe que nous avons rencontré, en exclusivité pour Auracan, les BeKa au siège des éditions Dupuis. Caroline Roque et Bertrand Escaich ont répondu à nos questions au sujet de Champignac mais aussi quant à d'autres jalons de leur copieuse bibliographie de scénaristes.

Comment en êtes-vous venus à donner un statut de héros à part entière au Comte de Champignac ?

Caroline Roque : Par une sorte de concours de circonstance. Au départ, nous nous sommes intéressés au domaine de Bletchley Park, dans le centre de l’Angleterre. Il abrite aujourd’hui le Musée national de l’Informatique mais fut surtout le principal centre de décryptage du Royaume-Uni pendant la deuxième guerre mondiale. On a été séduits par rassemblement de scientifiques de différentes disciplines qui y travaillait alors, avec chez eux un côté un peu geek avant l’heure… 

Bertrand Escaich : Et on avait pensé que dans un univers BD on aurait pu y croiser le Comte de Champignac, ou même le Professeur Tournesol. Or peu de temps après, nous étions sollicités par Dupuis qui nous demandait, de manière plutôt générale, si nous n’avions rien à leur proposer. Nous sommes partis sur l’idée générale d’évoquer des avancées scientifiques et les développements sociaux entraînés par celles-ci. Nous avons soumis trois projets allant en ce sens à l’éditeur, et c’est celui d’Enigma, la première aventure de Champignac qui a été retenu.

Aviez-vous un attachement particulier pour le personnage auparavant ?

CR : Nous avons tous les deux effectué des études scientifiques, donc oui, on trouvait le personnage marrant…

BE : Clairement, quand j’étais gamin, Champignac me faisait rêver. Développer des inventions dans un château…je trouvais ça génial. Je voulais davantage ressembler à quelqu’un comme lui qu’à un super-héros. Je ne m’imaginais pas sauver le monde avec mes muscles (rires) !

Comment s’est organisée votre collaboration avec David Etien au dessin ?

BE : Nous l’avons contacté et il s’est directement montré enthousiaste, et du côté de notre éditeur, Benoît Fripiat, ce choix s’est révélé évident !

CR : Nous connaissions son travail à travers ses albums, mais nous avons vraiment été impressionnés quant à sa manière de faire et sa productivité. David parvient à boucler le crayonné, très poussé, d’une planche en une journée par exemple. On a rencontré un véritable auteur qui ne recule pas devant la difficulté. Au contraire, il veut toujours être à la hauteur de ce qu’on lui demande. Et surtout, nous travaillons dans une très bonne entente !

BE : On est très heureux de cette collaboration, et ça crée une émulation de notre côté, car nous nous devons, pour notre part, d’être à la hauteur de l’exigence du dessinateur ! Donc on essaye toujours de faire plus, de faire mieux !

Votre bibliographie est impressionnante, et vous continuez à mener de nombreuses séries –très différentes- de front. Comment y parvenez-vous ?


Caroline Roque et Bertrand Escaich, les BeKa

CR : Ca a évolué au fil du temps…  Au départ, c’est vrai, nous touchions un peu à tout, moins maintenant. Nous essayons de nous organiser en changeant de série tous les 15 jours ou 3 semaines…  Quand on débute, on fait ce qu’on peut, et puis si ça fonctionne, on peut progressivement tenter de se permettre de faire ce que l’on veut. Je dirais que c’est une question d’organisation et de capacité de travail, et, surtout, l’ingrédient essentiel est l’envie. Si l’envie de se consacrer, à un moment donné, à une série n’est pas là, il est vraiment très difficile de s’immerger dedans. Par contre, quand l’envie est là, c’est vraiment chouette. Et pour le moment, nous avons de plus en plus envie d’aborder de nouvelles choses !

Mais il n’y a pas que vos thématiques qui sont différentes, vous signez des récits complets comme des gags…

BE : On essaye d’approcher chaque série différemment. Pour les gags, c’est moins évident. Il existe des « trucs », des recettes pour construire un gag, mais le risque est que ça devienne une mécanique et que le lecteur le ressente. Et pour le scénariste aussi, cet aspect automatique peut très vite lasser ! Nous tentons donc d’éviter ça, et de conserver et d’entretenir notre créativité.

Dans ce domaine, vous avez notamment créé Les Rugbymen (Bamboo), dessinés par Poupard...  Etes-vous des passionnés du ballon ovale ?

BE : Pas vraiment, non, mais nous habitons et sommes nés dans une région où le rugby est pratiquement indissociable du quotidien. Je me rappelle qu’enfant, on demandait souvent à mes parents dans quel club je jouais. Et quand ils répondaient à leur interlocuteur que je ne pratiquais pas le rugby, la personne avait souvent le même genre de réaction que si on lui avait avoué un grave problème !  Ceci dit, comme scénaristes, il n’est pas facile d’exploiter un sport si on se limite à ce qui se passe sur le terrain. On a essayé de prendre du recul, d’amener toute la vie qui existe autour, ce qui nous amuse davantage.

Dans un genre extrêmement différent, vous scénarisez Le jour où…, une série très particulière…


Le jour où...

couverture du tome 4 à paraître

CR : Nous en avons eu l’idée au début des années 2000, rien n’existait alors en BD autour du thème du développement personnel, mais on a laissé projet évoluer avant de le proposer à Olivier Sulpice (Bamboo) qui nous a dit s’y intéresser et a été emballé…  On a continué à y travailler et nous l’avons proposée à Marko avec qui nous avions réalisé la série Géo BD (Dargaud) aujourd’hui suspendue…

BE : Il s’agit d’une série assez difficile à mener, puisqu’on essaye de transmettre des concepts assez poussés. Et d’autre part, nous ne voulons absolument pas jouer les donneurs de leçons !  De plus, sa finalité n’est pas de distraire ni de faire rire, mais de susciter une réflexion et si possible d’apporter un apaisement. Et d’une certaine manière, les personnages nous imposent eux aussi des contraintes, liées à des événements de leurs vies. Le jour où… fonctionne suivant un équilibre délicat que nous nous efforçons de maintenir d’un album à l’autre.

CR : Lors de séances de dédicaces, nous avons réalisé que la série touche un lectorat assez différent du public BD. Beaucoup de jeunes de 14, 15 ou 16 ans nous disent en retirer quelque chose. Je me souviens d’une jeune fille qui m’a dit que la série l’avait aidée à exprimer quelque chose de très important envers ses parents, alors qu’elle n’y arrivait pas avant…  Nous sommes donc très attentifs aux sujets que nous y abordons.

Vous êtes deux scénaristes rassemblés en une entité, BeKa. Pratiquement, comment travaillez-vous ?

BE : Quelle que soit le projet, tout vient d’un échange d’idées pratiquement permanent. Et si l’un de nous apporte le point de départ d’un projet, comme ce fut le cas pour Caroline avec Le blog de…, (Bamboo) nous le développons ensemble. D’un point de vue plus technique, Caroline maîtrise généralement mieux les dialogues que moi, alors que je m’attelle plus souvent au découpage. Mais ce ne sont que des grandes lignes, et ça varie tout de même pas mal d’un scénario à l’autre.

Existe-t-il un genre, un thème que vous n’avez pas encore abordé et auquel vous tenez absolument à vous consacrer ?

CR : Franchement, je ne sais pas… On a beaucoup de choses en préparation, parfois très différentes de ce qui se trouve dans notre bibliographie, donc…ça arrive ! Mais depuis nos débuts, oui, nous avons une idée d’histoire que l’on aimerait vraiment voir se concrétiser mais on y arrive pas ! Nous y revenons régulièrement mais il y a toujours quelque chose qui ne colle pas, une faiblesse…  Il y a là quelque chose de frustrant, mais c’est aussi une leçon d’humilité…  Nous ne maîtrisons pas tout !

Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
29/05/2019