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Entretien avec Jocelyn Boisvert et Pascal Colpron

"L'équilibre est le ciment du projet"

À la veille de la rentrée des classes, Yan Faucher, 13 ans, se sent très bien dans sa peau : il va avoir une petite soeur et, avec son pote Nico, il est prêt à lancer son grand projet : le tournage de d'un film de zombies ! Mais alors qu'il se rend à la maternité pour rejoindre sa famille, il surprend une altercation entre un dealer et son client. En intervenant, il se fait poignarder et meurt sur le coup. Pourtant, il semble que son âme ait décidé de ne pas le lâcher ! Avec un tel pitch, on pouvait craindre que Un cadavre en cavale, premier tome de Mort et déterré bascule dans l'horreur ou la grosse comédie. Il n'en est rien. Le sujet est traité avec beaucoup d'humour, mais aussi de sensibilité et d'émotion et ce premier album constitue une des bonnes surprises parmi les récentes signatures de l'éditeur.  Nous avons rencontré les auteurs de Mort et déterré, Jocelyn Boisvert et Pascal Colpron, à la Fête de la BD de Bruxelles juste avant leur toute première rencontre avec leurs lecteurs.

Jocelyn, comment en êtes-vous venu à adapter votre roman en scénario de BD ?


Jocelyn Boisvert et Pascal Colpron

Jocelyn Boisvert : Au départ, ce qui me séduisait dans la BD, c’était son aspect cinématographique. J’avais déjà travaillé sur certains projets -non retenus-  avec Marc Delafontaine (Delaf, les Nombrils – Dupuis  ndlr) et finalement il est revenu vers moi en me signalant que Benoît Fripiat, son éditeur chez Dupuis, semblait s’intéresser aux auteurs québécois, et que c’était peut-être le bon moment pour soumettre un projet. J’ai saisi la balle au bond, parcouru mes carnets de notes et finalement je me suis tourné vers cette adaptation. 

L’éditeur du roman, au Québec, détenait 50 % des droits du livre, mais il a accepté de diminuer son pourcentage afin de me permettre de tenter l’aventure et de proposer le pitch de Mort et déterré chez Dupuis. Marc connaissait Pascal Colpron qui a été son assistant sur les Nombrils et qui a signé plusieurs couvertures de mes romans. On a soumis le projet à Pascal, qui a accepté et ensuite a débuté le long processus de réalisation de Un cadavre en cavale. Nous avons le bonheur de le voir publié, le deuxième tome de Mort et déterré est presque fini et le troisième est sur les rails. J’espère que d’autres cycles pourront s’y ajouter…

Les zombies sont très à la mode actuellement, pensez-vous bénéficier de cet intérêt avec Mort et déterré ?

JB : Franchement, je n’en sais rien. Le roman a été publié au Québec en 2008 et m’avait demandé quatre années d’écriture, on était donc très loin de la vague actuelle où les zombies sont un peu mis à toutes les sauces. Quant à la BD, je n’ai pas relu le roman pour y travailler. On y retrouve des éléments du livre, certaines choses similaires, mais surtout beaucoup de différences. J’ai conservé l’esprit initial du récit, mais j’ai laissé l’histoire évoluer, j’ai brodé autour de manière différente.

Pascal, qu’est-ce qui vous a séduit dans cette histoire qui pouvait comporter à première vue de nombreux pièges pour un dessinateur ?

Pascal Colpron : Jocelyn évoquait le cinéma au début de l’entretien, et moi c’est ce qui m’ a directement plu dans le scénario. Ca m’a rappelé de bons films d’aventures des années 80’, avec une histoire abordable par un très grand public, de l’humour…  Jocelyn et moi avons le même âge, et sans doute les mêmes références dans ce domaine. Peut-être cela transparaît-il dans le dessin…

Dans le magazine  Spirou, le début de la prépublication d’Un cadavre en cavale pouvait difficilement passer inaperçu, avec une couverture qui est devenue celle de l’album…

PC : Oui, et qui a sans doute déstabilisé certains lecteurs…  Au départ Julien et moi avions en vue une autre image, avec Yan, déterré, se cachant derrière sa propre pierre tombale. Elle faisait partie, comme celle que vous connaissez, des 5 ou 6 propositions soumises pour la couverture du Spirou. Et finalement celle qui a été choisie l’a été pour son impact, pour sa capacité d’accrocher et d’intriguer le plus de lecteurs possible, et a été conservée pour l’album. C’était d’ailleurs un petit défi graphique de représenter sur une même image Yan vivant et mort. Les traits devaient pouvoir se raccorder, il fallait jouer sur les proportions, ajuster, et le lecteur devait percevoir directement qu’il s’agit d’un seul et même personnage.

JB : Et puis nous nous retrouvons tout de même chez un gros éditeur avec une énorme expérience, une équipe marketing… Donc on fait confiance aux gens ! (rires)

Le lecteur fait la connaissance de Yan vivant, puis mort et dans un état…plus très frais. Comment avez-vous travaillé pour créer graphiquement ce zombie qui reste sympathique, expressif, et auquel on peut facilement s’attacher ?

PC : J’ai essayé beaucoup de choses avant de boucler le dossier de présentation ! J’ai commencé par travailler sur Yan vivant, et je devais conserver certaines de ses caractéristiques dans son autre version. Et puis il fallait imaginer comment il allait agir, comment ça allait se passer avec les autres personnages de l’histoire. Malgré les nombreux essais, j’avais la sensation qu’il manquait toujours quelque chose. Ensuite je me suis posé moins de questions, j’ai moins cherché, et le résultat est venu plus naturellement. En partant de Yan vivant, ce qui pouvait lui donner un maximum d’expressions en étant mort, c’était ses yeux. Et j’ai choisi de lui dessiner de grands yeux.

C’est aussi ce qui permet qu’il n’ait jamais l’air endormi, et, au contraire, qu’il transmette beaucoup d’énergie ! On doit aussi penser que le lecteur (se) projette beaucoup sur le personnage. Voyez la créature de Frankenstein dans son aspect classique popularisé par le cinéma. Elle n’est pas expressive mais la rencontre entre son histoire et le spectateur fait qu’on lui attribue des sentiments, des émotions…et ça fonctionne.

Un cadavre en cavale est centré sur Yan, mais en arrière-plan, on voit que sa famille évolue, et les dégâts provoqués au sein de celle-ci par sa disparition. S’agit-il d’un aspect plus sombre que vous allez développer ?

JB : Oui, le deuxième tome sera davantage axé sur cette facette. Yan a changé, mais sa famille aussi, et il va devoir agir pour la protéger. Nous voulons conserver le côté aventure un peu déjanté, mais c’était intéressant d’explorer cette dimension. J’espère avoir trouvé un bon équilibre entre l’humour et l’émotion, comme entre l’humour, l’action et le macabre…  Et puis j’ai l’impression qu’en BD, il existe de nombreux héros orphelins, et là Yan va se battre pour sa famille…comme vous le découvrirez à la lecture du prochain album !

PC : Je crois que l’équilibre dont parle Jocelyn est le ciment du projet. Et mon scénariste dose bien. En découvrant l’histoire, les éléments principaux m’ont plu tout de suite, puis en avançant dans sa réalisation, j’ai découvert d’autres aspects, d’autres connotations, et tout ça contribue à un matériel riche, à un scénario nourrissant.

Mikaël (Bootblack – Dargaud ndlr) nous avait parlé de la place de la BD au Québec et de son marché limité. Aujourd’hui, vous rencontrez pour la première fois vos lecteurs belges, cela représente-t-il un moment particulier ?

JB : Si vous connaissez un peu le hockey sur glace, pour nous c’est comme d’être transférés d’un petit club local dans l’équipe des Canadiens (club légendaire multi-titré de Montréal ndlr). Et quand un nouveau joueur y fait son entrée, on mesure les réactions des anciens et des nouveaux fans…

PC : Mort et déterré semble plaire, les critiques de l’album sont généralement positives et nous avons pu réaliser l’histoire que nous voulions raconter comme nous voulions le faire. Cela représente beaucoup de boulot mais jusqu’à maintenant l’accueil est vraiment très satisfaisant, et nous sommes très heureux que notre jeune zombie soit, apparemment, déjà connu !

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Pierre Burssens
09/10/2019