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Entretien avec Jean-Christophe Lambrois

"Le point de départ de Kamiti c’est un rêve et une passion..."

Les jeunes éditions Kamiti étaient représentées officiellement pour la première fois lors de la fête de la BD de Bruxelles en septembre. Alors que l’on évoque sans cesse un marché saturé et des auteurs en difficulté, certains se lancent encore dans l’aventure de l’édition BD. On pense évidemment aux éditions Anspach qui, avec Sourire 58 et Léopoldville 60, ont su se trouver un lectorat, mais aussi à Kamiti, au démarrage modeste…mais prudent. Quoi qu’il en soit, le pari est audacieux et mérite d’être salué. Nous avons rencontré Jean-Christophe Lambrois, le fondateur et directeur de Kamiti.

Comment est né Kamiti ?

Jean-Christophe Lambrois : Le point de départ de Kamiti c’est un rêve et une passion. Bien avant d’imaginer devenir éditeur, j’ai, pendant mon enfance, dessiné des pages et des pages mettant notamment en scène un personnage, Michel, fortement influencé par Tintin. C’était un rêve de gosse. Puis j’ai entrepris des études éloignées de la BD sans jamais vraiment m’en détacher et l’envie de me lancer dans l’aventure de l’édition est apparue.

A l’heure actuelle et au vu du marché il s’agit d’un sacré défi…

Oui, et je ne vous cache pas que j’ai beaucoup hésité pendant trois ou quatre ans. J’ai commencé à penser à un véritable business plan en 2013, avant de créer concrètement la structure de Kamiti en 2016. Les trois premiers albums ont, eux, été publiés en 2018. Mais il s’agit effectivement d’un défi, d’un pari…  Le nombre de publications est impressionnant, les gros tirages se font rares, de nombreux auteurs sont en difficulté et il n’est vraiment pas simple de partir de zéro pour se lancer dans ce domaine, qui plus est en rétribuant les auteurs décemment…

Comment se différencier des autres dans un tel contexte ?

Au départ, ça me semble assez illusoire de viser en priorité la rentabilité financière. Il est nécessaire de se faire connaître, ça demande du temps, et d’essayer de trouver des financements ailleurs. Heureusement qu’il existe des outils comme le financement participatif (crowdfunding) qui permettent de se rapprocher d’un point d’équilibre…

Parmi vos publications on retrouve pas mal de science-fiction. Doit-on y voir une orientation spécifique que vous voulez donner à Kamiti ?

La SF est un genre qui m’a toujours intéressé mais je ne m’interdirais pas quelque chose comme de l’Heroïc Fantasy si je trouvais qu’un projet proposé en vaille vraiment la peine. En BD, la SF est un genre assez difficile. Actuellement j’étudie 2 ou 3 projets assez intéressants dans ce domaine, projets qui relèvent plutôt d’une légère anticipation et ouvrent à la réflexion, un peu dans le style de Bienvenue à Gattaca au cinéma. Plusieurs scénaristes avec lesquels je suis en contact sont intéressés par la SF et il reste des zones du genre à défricher en BD. La hard science, par exemple, a longtemps effrayé nombre de lecteurs, or quand on voit aujourd’hui l’engouement autour de l’œuvre de quelqu’un comme Liu Cixin, tout est possible !


Extrait de Hot space

Et vos autres publications ?

Clairement, il s’agit pour moi à chaque fois de coups de cœur. Un titre comme Aeka réconcilie, d’une certaine manière, l’univers manga et le style franco-belge dans un récit que je qualifierais de Japan Fantasy. L’album a reçu le prix Bulles de Cristal 2019 décerné par un jury de jeunes lecteurs, ce qui fut non seulement une surprise mais surtout un bel encouragement à continuer pour les auteurs et…l’éditeur.

Vous avez déclaré, lors d’une interview à des confrères, vouloir éditer les albums que vous auriez eu envie de lire…

Effectivement, ou des choses qui s’en rapprocheraient en tous cas. La BD reste une passion même si, hormis dans le cadre de ce travail d’édition, j’en lis moins qu’avant. Donc je stocke, j’accumule… J’aimerais aussi trouver des projets correspondant à une durée de lecture qui me semble adéquate. Je me souviens que quand, jeune, je lisais un Blake et Mortimer, ça me demandait parfois une heure quinze, une heure vingt, ce qui semble fort long. A l’inverse, de nombreux albums sont lus en vingt minutes ! J’aimerais que les livres que j’édite puissent offrir une heure d’évasion au lecteur, sans textes excessifs. On peut évidemment pour cela jouer sur la pagination, mais comme éditeur, des pages supplémentaires sont synonymes de dépenses supplémentaires et je dois évidemment en tenir compte…

De votre côté, ne seriez-vous pas tenté de revenir au scénario ?

L’envie est là, et je dispose de cinq ébauches d’histoires auxquelles je travaille un peu de temps en temps. Mais j’ai besoin de temps et de tranquillité pour cela. Je pense que je m’y remettrai sérieusement un jour ou l’autre, mais je suis incapable de vous dire quand !

Aujourd’hui, concrètement, quels sont les objectifs de Kamiti ?

Dans l’immédiat, il nous faut renforcer la distribution, encore balbutiante. C’est un levier essentiel à notre développement. L’objectif suivant est d’atteindre un équilibre financier d’ici deux ou trois ans, et pour une réelle stabilité financière on se donne dix ans. Celle-ci permettrait à Kamiti d’éditer de dix à quinze albums par an et de soutenir convenablement chacun de ces titres. Certains éditeurs publient beaucoup plus, mais envisager cela dans le contexte actuel ne me paraît pas réaliste.


Extrait de 300 grammes (a paraître)

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Pierre Burssens
17/12/2019