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Entretien avec Maryse et Jean-François Charles

"Quand nous entreprenons un projet, nous avons envie d’emmener le lecteur à la découverte d’un monde"

Alors qu’elle arrive à Paris, Li y termine ses études secondaires et entame une licence de journalisme. Dans le même temps, depuis son pays d’origine, Monsieur Zhang, son mystérieux mentor,  lui apprend par courrier que Mao lève une armée et que la famine sévit. Deux ans plus tard, la Mandchourie sera envahie par le Japon. En France, Li découvre l’amour. Mais comment concilier cet amour naissant et sa volonté d’aider son pays qui paraît tellement lointain ?

Comme dans leurs précédentes séries, Maryse et Jean-François Charles insèrent précisément l'histoire de China Li parmi les faits historiques et permettent au lecteur, tout en s'émouvant des déboires de la jolie héroïne d'en apprendre beaucoup sur la construction de ce pays placé aujourd'hui de manière funeste sous les feux de l'actualité. Le siècle chinois a fait passer la Chine du moyen-âge à l'époque moderne, en se débarassant d'un carcan ancestral au prix de beaucoup de violence et de bouleversements pour, d'une certaine manière, s'enfermer dans un autre carcan. Alors que vient de paraître L'honorable Monsieur Zhang, tome 2 de China Li, Maryse et Jean-François Charles répondent à nos questions.

China Li avait été initialement annoncé comme un triptyque, or on apprend aujourd’hui que la série sera plus longue…

Jean-François Charles : Effectivement, en avançant dans le récit nous nous sommes rendus compte qu’il y avait vraiment beaucoup de choses à raconter, avec une vie de près de 80 ans inscrite dans le Siècle chinois. Faire tenir tout cela en trois tomes nous aurait obligés à éluder certains aspects et aurait été frustrant. Nous en avons discuté avec l’éditeur et nous nous dirigeons vers cinq tomes. A l’heure actuelle, il existe une tendance série, notamment à la télé, et les albums supplémentaires nous permettront de développer davantage les personnages, mais aussi les ambiances, les décors etc.

L’honorable Monsieur Zhang débute à Paris. Était-ce courant à l’époque, pour les Chinois, d’envoyer leurs enfants en Europe ?

Maryse Charles : Pour les lettrés chinois, fortunés, c’était assez fréquent, et Paris brillait culturellement. De plus, la présence française en Chine était importante, à travers notamment la concession de Shangaï. Après une enfance malheureuse Li rencontre l’amour en France mais aussi de nouvelles désillusions…

Avant d’être envoyée en reportage photo en Chine, Li retrouve Monsieur Zhang à travers les actualités diffusées dans un cinéma. Quelle était la perception que les européens pouvaient avoir de l’invasion japonaise en Chine ?

J-F C. : La Chine était lointaine et ce qui s’y déroulait n’était pas à l’ordre du jour. On commençait plutôt à s’inquiéter de la montée des extrémismes en Europe. Pourtant, en nous documentant, on a pu lire, et c’était la première fois que les événements étaient présentés sous cet angle, que d’une certaine manière Staline aurait choisi Mao comme allié et l’aurait aidé, car il craignait que les Japonais se tournent vers la Russie. Il était donc préférable qu’ils se focalisent sur la Chine, alors très faible…  Si ça n’avait pas été le cas, imaginez ce qui se serait passé en Russie pendant la seconde guerre mondiale, avec les Allemands à l’Ouest et les Japonais à l’Est…

L’honorable Monsieur Zhang comporte quelques scènes très dures, notamment en rapport avec les fameux supplices chinois. Dans leur réalisation, abordez-vous celles-ci de manière particulière ?

M C. : Pas vraiment. Le contexte général du récit est très dur, mais c’était le contexte de l’époque que nous essayons de compenser un petit peu par un côté davantage romantique. Quant à la torture, elle faisait partie de l’histoire et de la Culture chinoise, avec ce mélange de cruauté et de raffinement, et ce n’est pas si vieux que ça. D’ailleurs, aujourd’hui encore, au nouvel an chinois, la Chine procède régulièrement à des exécutions et c’est la famille du condamné qui doit payer la balle qui mettra fin à ses jours.

Est-ce ce contexte qui vous a amené à nommer la série China Li plutôt que China dreams, comme India dreams ou World war dreams qui font partie de votre bibliographie ?

J-F C. : On n’y a pas pensé de cette manière. Nous voulions quelque chose de différent, mais on a quand même gardé le China, et on voulait aussi mettre en scène une héroïne.

On sait que vos voyages ont souvent été déterminants quant aux thématiques de vos précédentes séries. Qu’en a t’il été cette fois ?

J-F C. : Quand nous entreprenons un projet, nous avons envie d’emmener le lecteur à la découverte d’un monde. Dans ce cas nous ne connaissions pratiquement rien de la Chine hormis l’un ou l’autre restaurant chinois. Et le point de départ, concrètement, correspond à la toute première scène du tome 1, ce personnage qui rentre dans un restaurant et prononce cette phrase : J’ai retrouvé Li. A partir de là, le lecteur se questionne : Qui est-elle ? Quelle est son histoire ? Et c’est comme ça que, nous aussi, nous avons fonctionné.

Nous possédions quelques livres qui évoquaient plus ou moins précisément l’histoire de la Chine, nous avons procédé à des recoupements, nous avons mis certaines choses en parallèle mais j’étais pratiquement à la moitié des planches de Shangai, le premier album, quand l’idée du voyage s’est imposée, alors que, pourtant, je ne voulais pas y aller !

Avez-vous retrouvé là-bas des traces des événements historiques que vous évoquez dans la BD ?

M C. : En partie, oui, et puis je pense que se trouver sur place aidait, en quelque sorte, à comprendre…  C’était très enrichissant et nous sommes heureux d’y avoir été.

J-F C. : On a abordé ça comme un voyage d’études. Ainsi, j’ai photographié beaucoup de choses qui peuvent sembler anodines, des clenches de portes, des châssis, des arbres, les plats à table, qui ne ressemblent absolument pas à ce que nous connaissons ici, les chaises dans un vieil hôtel dans lequel nous avons logé, et à l’arrivée ce sont tous ces petits éléments qui renforcent le réalisme du récit. Il était aussi intéressant de découvrir la lumière, les couleurs sur place, qui sont très différentes de celles de notre série précédente (India Dreams n.d.l.r). De plus, j’ai souvent remarqué qu’il est souvent plus facile, plus simple de dessiner des choses après les avoir vues en réalité plutôt que de les imaginer.

Bien qu’il occupe la couverture et donne son nom à ce nouvel album, L’honorable Monsieur Zhang garde une grande part de mystère…

M C. : Vous en saurez plus à son sujet dans le prochain album. On va découvrir peu à peu son enfance, pourquoi et comment est-il arrivé où il est…  Et donner corps à ces personnages en imaginant leur passé, leur vie, c’est ce qui nous passionne !

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Pierre Burssens
29/01/2020