Entretien avec P. Pevel, E. Willem et C. Arleston
"Les Artilleuses me permettent de développer un nouvel aspect du Paris des Merveilles qui s’exprime à travers le dessin..."
Paris 1911. les Artilleuses font un retour fracassant en se livrant à l’une de leurs activités favorites : l’attaque de banque à main armée. Aventurières et hors-la-loi, elles sont trois : Lady Remington, Miss Winchester et Mam’zelle Gatling. N’hésitant jamais à faire parler la poudre, elles sont connues de toutes les polices d’Europe. Ce coup, cependant, pourrait bien être leur dernier. Car le vol d’une mystérieuse relique – la Sigillaire – leur vaut d’être pourchassées non seulement par les Brigades du Tigre, mais également par les redoutables services secrets du Kaiser. Seulement voilà, ce Paris est le Paris des Merveilles, un Paris où vivent aussi des fées, des enchanteurs, des gnomes et même quelques dragons – ce qui n’est pas sans conséquences. Entre autres merveilles, la Tour Eiffel est en bois blanc, les Champs Élysées sont bordés d’arbres dont les feuilles rendent de la lumière dès la nuit tombée, et une ligne de métro mène directement à Ambremer, capitale du Monde Féérique.
Après la signature de Gabriel Katz (La Pierre du Chaos - dessins S. Créty), c’est celle d’un autre leader français de l’imaginaire que nous retrouvons chez Drakoo. L’écrivain Pierre Pevel y développe en effet son univers du Paris des Merveilles en compagnie d’Etienne Willem au dessin. Le Vol de la Sigillaire, premier tome des Artilleuses offre une bien agréable évasion. Le récit est mené tambour battant, les héroïnes sont sympathiques et on mesure que cette uchronie nous réserve encore bien des surprises. Nous avons rencontré Pierre Pevel, Etienne Willem et Christophe Arleston, directeur artistique de Drakoo à la Foire du Livre de Bruxelles
Etienne Willem, Christophe Arleston et Pierre Pevel |
Pierre, vous intéressiez-vous particulièrement à la BD avant ce projet ?
Pierre Pevel : Je lisais de la BD franco-belge et des comics. L’idée de devenir scénariste m’avait bien frôlé à un moment mais sans plus, faute de temps, d’une part, et d’autre part parce qu’il s’agit d’un travail très particulier qui demande un sérieux investissement...ou parfois un coup de pied au derrière ! Voici une dizaine d’années, Etienne Willem est venu me rencontrer en évoquant l’idée d’une adaptation en BD du Paris des Merveilles, mais pour diverses raisons ce n’était pas possible alors... Le temps a passé, nous nous sommes consacrés à d’autres projets tous les deux, mais l’idée d’un trio de braqueuses aventurières s’est peu à peu précisée entretemps. Quand nous avons appris le lancement de Drakoo, on a pensé que c’était peut-être le bon moment et on s’y est mis. Les premières planches ont plu et voilà...
Etienne Willem : Avec la sensation qu’en un an, après une longue attente, tout a été à une vitesse folle !
PP : Complètement ! Mais pour en revenir à votre question, pour moi il s’agit vraiment d’une nouvelle aventure, avec ses exigences. Je découvre cela avec beaucoup de plaisir, tout en m’imposant la rigueur nécessaire à ce que cela fonctionne bien. Je ne sais pas si j’aurais pris autant de plaisir à une adaptation d'un roman. Les Artilleuses vivent leur aventure dans le même univers mais ont été créées pour la BD. Elles me permettent donc de développer un nouvel aspect du Paris des Merveilles, avec un point de vue différent qui s’exprime à travers le dessin.
Etienne, comme vous l’aviez évoqué lors de précédentes interviews, il s’agit d’un univers qui vous plaît particulièrement...
EW : Oui, et que j’ai d’abord découvert à travers les romans, c’était déjà alors quelque chose qui me parlait. L’écriture de Pierre est très visuelle, en lisant ses livres j’avais directement certaines images qui me venaient en tête et l’envie de les dessiner... Ceci dit, ça peut être un piège, car d’autres lecteurs ont sans doute leur vision du Paris des merveilles, qui peut également être influencée par les illustrations de couverture des romans, par exemple. Donc on espère que ces lecteurs accepteront ma vision de cet univers...
PP : Jusqu’à maintenant personne n’est venu s’en plaindre, en tous cas...
On trouve un joli folder présentant Les Artilleuses sur le stand Bragelonne, éditeur des romans. Bragelonne a-t-il eu un droit de regard sur l’album ?
Christophe Arleston : Non, ils ne sont absolument pas intervenus. Pierre Pevel est maître de son univers. Par contre, au niveau de la promo, on fonctionne en synergie. Et le dépliant promotionnel Drakoo présente aussi, de son côté, les romans publiés chez Bragelonne, puisqu’on y retrouve Le Paris des Merveilles mais aussi des oeuvres de Gabriel Katz.
Christophe, aviez-vous, dès le départ, la volonté d’amener des écrivains de l’imaginaire à scénariser des albums Drakoo ?
CA : Pas vraiment, ça s’est produit un peu par hasard. J’ai rencontré Pierre Pevel grâce à Etienne Willem, mais dans le même temps, parallèlement, d’autres écrivains manifestaient leur envie d’aborder la BD ou commençaient même à élaborer des projets. Avec pour avantage qu’il s’agit d’auteurs qui, premièrement, ne méprisent pas la BD, et qui souvent ont déjà travaillé pour d’autres domaines comme les jeux de rôle etc. Et à partir de là, il est plus aisé de les amener à un type d’écriture qui est nouveau pour eux.
Ils savent raconter, et finalement il leur reste à acquérir la technique scénaristique de la BD. Tout débutant commet des erreurs, mais elles se corrigent assez rapidement. Le premier synopsis des Artilleuses ressemblait à un roman, ou à une longue nouvelle... Mais j’avais confiance en Etienne pour rectifier le tir, car un récit en BD est finalement une succession d’ellipses. De plus, je ne voyais pas l’intérêt pour une nouvelle maison d’édition de proposer les auteurs habituels du genre, déjà présents ailleurs.
Le Vol de la Sigillaire est votre première publication qui se détache des univers typiquement fantasy...
CA : Les trois premiers albums Drakoo, bien que très différents les uns des autres, relevaient de la fantasy, c’est vrai, mais leur publication a été programmée de cette manière tout simplement parce que ces trois tomes étaient prêts. Mais Drakoo a pour ambition d’aborder tous les aspects de l’imaginaire et pour tous les âges. Nous avons un album jeunesse en préparation, mais aussi deux projets de SF, du merveilleux...rien n’est interdit, pourvu que la qualité soit là !
Etienne, pour le dessinateur, quel était le principal défi des Artilleuses ?
EW : Le Paris d’Haussmann n’est pas ce qu’il y a de plus simple à représenter, même si je l’ai approché pour la série La Fille de l’Exposition universelle (scén. Manini - Grand Angle), mais en plus, comme il s’agit du Paris des Merveilles, je devais pouvoir y incorporer des personnages et des éléments fantastiques et merveilleux.
De plus l’ensemble devait être suffisamment homogène pour être crédible et que le lecteur ne trébuche pas sur telle ou telle case. Le récit doit suivre son cours. Voilà pour la composante visuelle, mais j’imagine que Pierre a dû être confronté à une recherche d’équilibre assez proche pour l’écriture de ses romans.
Les Artilleuses pourraient-elles emprunter le chemin inverse, passer de la BD à un roman ?
PP : Je n’y ai pas pensé jusqu’à maintenant. Ce n’est pas impossible mais je tiens à ce que ces héroïnes conservent leur existence propre. On pourrait peut-être les retrouver dans une nouvelle où leurs exploits pourraient être cités, ou pourquoi pas, à la une d’un journal... Le tout est de conserver la cohérence de cet univers.
Propos recueillis par Pierre Burssens le 6 mars 2020
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© Pierre Burssens / Auracan.com
Visuels © Willem, Pevel / Drakoo Photos © Pierre Burssens