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Entretien avec Pierre-Paul Renders

Pierre-Paul Renders
Pierre-Paul Renders : le bonhomme est aussi disert qu'enjoué.

Pierre-Paul Renders est né en 1963 à Bruxelles. Il est licencié et agrégé en philologie classique et diplômé en réalisation (cinéma et télévision) à l'IAD (Institut des Arts de Diffusion). Les plus attentifs connaissent son travail de réalisateur sur Thomas est amoureux, remarqué par la critique et, plus récemment, sur Comme tout le monde, que vient de programmer Canal + (Be1 en Belgique), après une sortie par trop éclair en salle.
C'est un projet parallèle à la réalisation de ce film et - forcément - bédé qui nous a amené à le rencontrer. Une rencontre plutôt sympatoche, avec un bonhomme disert et enjoué.

Pierre-Paul Renders, vous faites preuve d'une belle souplesse en réalisant ce grand écart professionnel qui vous fait passer du cinéma à la bande dessinée !
Le hasard des rencontres. En l'occurrence avec Denis Lapière. Qui lui, avait déjà fait le trajet en sens inverse, passant de la bédé vers le cinéma avec L'Avion.

Scénariste bédé et réalisateur cinéma. Deux métiers proches ou lointains ?
Je rapproche le métier de scénariste bédé de la conception très européenne du réalisateur. Un réalisateur la plupart du temps auteur, soit une conception très différente de la réalisation à l'américaine où on voit plutôt des "faiseurs" à l'ouvrage. Mon premier film - Thomas est amoureux -,  je l'avais réalisé sur un scénario de Philippe Blasband. Pour le deuxième, je tenais à écrire moi-même le scénario. Le hasard a voulu que je rencontre Denis Lapière. Je l'ai interviewé dans le cadre de mon job de critique bédé, pour le Journal du Médecin (Belgique), à l'occasion de la sortie de la Dernière des salles obscures, publiée également chez Dupuis, avec Paul Gillon au dessin.  De fil en aiguille, cette rencontre nous a menés à écrire à quatre mains.


Le dessin de Rudy Spiessert fait mouche sur une histoire bien pesée.

Difficile, ce mode d'écriture ?
Pas vraiment. L'avantage, avec quelqu'un comme Denis Lapière, c'est qu'on peut écrire sans complexe, chacun respecte l'autre, sans pour autant souffrir de paralysie. On peut repasser sur ce que l'autre a écrit sans rencontrer de problème d'ego. Le travail était tellement proche entre nous deux que la paternité des idées qui jalonnent Comme tout le monde devient difficile à définir.

Pas de différence de style, donc, entre vous et Denis Lapière ?
Je dirais que je me considère comme un scénariste sensible à la structure, un peu comme un architecte. De son côté, je dirais que Denis apporte une réelle épaisseur aux personnages, il travaille beaucoup sur l'émotion. C'était un enrichissement mutuel permanent, chacun s'apportant énormément.


La cover de l'intégrale, en format 195 x 250. Nouveau format pour un modèle très "roman-graphique".

Un travail très différent de l'écriture cinématographique ?
Le travail scénaristique de la bande dessinée a ses exigences propres. Un découpage, un rythme, que j'ai découverts avec Denis. Les contraintes existent, j'en connaissais certaines par mon travail de critique bédé et vu ma consommation assez élevée en la matière. J'en ai découvert d'autres. À rebours, ce qui me frappe, c'est qu'il y a encore beaucoup d'éléments approximatifs dans le monde de la bédé. Mais ce n'est pas une critique, que du contraire ! On ne peut pas se permettre d'approximation avec le cinéma où les enjeux financiers sont beaucoup plus pesants. En bédé, le rapport avec l'éditeur est beaucoup plus décontracté.  Je dois néanmoins nuancer le qualificatif d'"approximatif" dont j'affuble le monde bédé. On voit des gens comme Sfar et Trondheim visiblement s'amuser et se défouler dans Donjon, mais on se rend compte, plusieurs dizaines d'albums plus tard, qu'il y avait une vaste trame narrative. Nuance, donc.

D'autres surprises liées au travail bédé ?
J'ai été étonné de la rapidité entre le travail d'écriture et la publication. C'est très différent du travail au cinéma qui est beaucoup plus lent. Mais nous avions la chance de travailler avec Rudy Spiessert, dont le dessin est à la fois rapide et soigné. J'ai été surpris de découvrir une gestation accélérée de la bande dessinée. Je recevais très rapidement des crayonnés par lot de 10 pages.

Vous avez d'autres projets en bédé ? Encore avec Denis Lapière ?
Je n'ai pas envie de déflorer la chose. Ou de décevoir…

Permettez-nous d'insister !
Bon, c'est encore à l'état embryonnaire. Un projet assez ambitieux, qui me fera progresser de dix marches d'un coup. Une sorte de saga, avec ramifications et personnages multiples, tout un univers narratif. On travaille là-dessus depuis une année. Avec un premier développement prévu en bande dessinée. Mais je n'en dirai pas plus.

Revenons-en à Comme tout le monde. Vous annoncez dans la postface qu'il y a eu pas moins de 13 versions du scénario pour atteindre la version film. À la neuvième, après avoir parlé du scénario à un directeur des éditions Dupuis, une tangente est née, direction la bédé. Vos inspirations étaient-elle cinématographiques ou bédéesques ?

L'affiche du film
L'affiche du film

Côté inspiration, je reconnais des inspirations multiples. Et pas vraiment du côté de la bande dessinée. Il y a d'abord cette nouvelle d'Asimov, publiée dans les années 50 (Le Votant, 1955, publié dans le recueil Le robot qui rêvait), qui racontait l'histoire d'une personne unique désignée par ordinateur et à qui on soumettait une série de questions très ordinaires, dont les réponses allaient déterminer le nouveau président des États-Unis… Il y a aussi la télévision, des émissions telles que la Famille en or ou Attention à la marche. Des émissions où tout le monde pouvait gagner, des primes à la normalité, en somme, très loin des forts en thème de Questions pour un champion… Côté cinéma - et ce scénario était avant tout écrit pour le cinéma - il y a des films tels que Brazil ou Truman Show. Le thème de la vidéo-surveillance développé dans ces deux films m'a profondément influencé. Mais j'avais ressenti une frustration à la vision du Truman Show. Le film se terminait sur Jim Carrey passant de l'autre côté du miroir. Je voulais savoir ce qui se passait au-delà. C'est cet aspect que j'ai tenu à développer dans Comme tout le monde. La revanche du héros qui passe de l'autre côté. Au risque de se perdre. Au risque de se reconstruire sur ses propres valeur.

Un tome 1 paru dans la collection Expresso. L'intégrale qui suit dans un format plus petit… Voilà qui va faire rager les amoureux d'une bibliothèque bien ordonnée !
Cette intégrale est la première du genre, chez Dupuis. Rudy en est très content, même si le dessin est réduit. Je trouve que la lisibilité n'en pâtit absolument pas. Le format autorise une perception globale de la page. Ce qui donne, aussi, un objet moins encombrant, très dense, agréable à tenir dans la main (195 x 250 mm). Je pense que ce format pourrait bien inspirer d'autres publications.

Propos recueillis par Benoît Dorthu en décembre 2007
© Benoît Dorthu / Auracan.com, 2008
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Reproduction interdite sans autorisation préalable.
Photo de l'auteur © D.R.
Visuels © Renders, Lapière, Spiessert, Dupuis

A lire également : la chronique de Comme tout le monde.

 

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Benoît Dothu
13/01/2008